Le texte dont nous sommes aujourd'hui saisis a été signé il y a plus de quatre ans, le 21 juin 2008, à Alger. Il s'agit d'un accord ayant pour objet le développement de la coopération dans le domaine de la défense entre la France et l'Algérie. L'examen de ce texte est attendu à l'occasion de la visite du chef de l'Etat François Hollande en Algérie, prévue en décembre prochain.
Vous savez que pour des raisons historiques, les relations que notre pays entretient avec l'Algérie sont très denses sur les plans humain et économique, mais qu'elles sont souvent complexes et passionnelles. Chaque fois que l'on parle de ce pays, il y a un contexte qu'il faut dépasser. Rappelons qu'en 2003, Jacques Chirac avait effectué une visite d'Etat en Algérie et avait lancé avec Abdelaziz Bouteflika l'idée d'un traité d'amitié qui a été finalement écartée, par la suite, en raison principalement des conflits mémoriels. Mais en dépit des points de tensions qui existent, le développement de relations constructives et stratégiques avec l'Algérie est souhaitable car l'Algérie est un partenaire important pour la France en Afrique.
Avant d'en venir au contenu de l'accord, je vais évoquer la place de l'Algérie en matière de défense dans son environnement régional. L'Algérie est membre de l'Union africaine, du dialogue 5+5 et du dialogue méditerranéen de l'OTAN. Son armée, qui compte 400 000 hommes, est une des plus puissantes de la région. Du fait de sa situation géographique, elle a un rôle capital à jouer dans la stabilité régionale. Cela est d'autant plus vrai, vous le savez, depuis qu'Al Qaida au Maghreb Islamique et d'autres groupes terroristes sont implantés au Sahel, donc aux frontières de l'Algérie, et profitent de la faiblesse des Etats de la région pour se renforcer. La lutte contre le terrorisme islamique est une préoccupation constante de la France comme de l'Algérie, qui en ont été victimes par le passé. Dans cet environnement régional instable, la France a tout intérêt à ce que l'Algérie soit un pays stable, démocratique et prospère. Les attentats qui ont frappé notre pays en 1995, témoins d'une importation de la guerre civile algérienne, ont montré que toute déstabilisation majeure en Algérie pouvait avoir des conséquences graves sur notre territoire. La coopération entre la France et l'Algérie ne peut que contribuer à la réalisation de ces objectifs – une Algérie stable dans un environnement régional sécurisé.
Comme vous le voyez, le besoin de coopération est réel, mais le cadre juridique actuel est inadapté. En effet, les relations entre la France et l'Algérie en matière de défense sont pour l'instant encadrées par une convention de coopération militaire et technique signée le 6 décembre 1967. Ce texte prévoit que la France fournit une assistance technique militaire à l'Algérie. Mais elle ne prévoit pas d'exercices et manoeuvres qui auraient lieu sur le territoire algérien ; elle n'établit pas d'instances de dialogue entre les autorités françaises et algériennes ; et surtout, elle ne couvre pas le personnel civil participant aux coopérations.
L'accord que nous examinons aujourd'hui permet de remédier à ces insuffisances. Avant tout, je tiens à attirer votre attention sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un accord de défense classique tel que nous en avons longtemps eu avec des Etats africains. Cet accord ne prévoit en aucun cas l'aide ou l'assistance militaire de la France en cas de menace ou d'agression contre l'Algérie. Il interdit d'ailleurs expressément au personnel militaire ou civil d'une des parties présent sur le territoire de l'autre partie dans le cadre d'une coopération de prendre part à des opérations de guerre, à des actions de maintien ou de rétablissement de l'ordre, de la sécurité publique ou de de la souveraineté nationale.
J'en viens maintenant au contenu de l'accord qui nous est soumis. En premier lieu, les parties conviennent de développer leur coopération dans un grand nombre de domaines. Cela inclut notamment la lutte antiterroriste, la formation du personnel, l'organisation d'exercices conjoints, l'échange de vues et de renseignements, l'acquisition de systèmes d'armes, la recherche scientifique et de technologie et la santé militaire.
Il faut savoir que la plupart de ces coopérations existent déjà depuis plusieurs années. Notre coopération en matière de défense a été suspendue dans les années 1990 à cause de la situation intérieure en Algérie, puis a retrouvé un nouveau souffle à partir de 2003. Récemment, des exercices conjoints, portant notamment sur l'action de l'Etat en mer, ainsi que des escales et des visites de bases militaires, ont été organisés de façon satisfaisante. Des militaires algériens suivent des formations ou des stages dans des établissements militaires français. Le principal intérêt de l'accord réside donc dans les structures et le cadre juridique qu'il crée pour les encadrer.
Tout d'abord, et c'est une nouveauté par rapport à la convention de 1967, l'accord qui nous est soumis institue une commission mixte franco-algérienne. Elle se réunit au moins une fois par an, alternativement en France et en Algérie, afin de planifier les coopérations, d'en assurer le suivi et d'en dresser un bilan. Elle est subdivisée en quatre sous-commissions spécialisées : la sous-commission stratégique, la sous-commission militaire, la sous-commission des armements et la sous-commission de la santé militaire. Elle est déjà mise en place depuis plusieurs années et permet une meilleure gestion de la coopération tout en constituant un cadre de dialogue et de connaissance de nos partenaires algériens.
Le deuxième apport principal du nouvel accord par rapport à la Convention signée en 1967, c'est le cadre juridique qu'il met en place pour les coopérations. Il établit en effet un cadre protecteur pour les personnels français participant aux coopérations, non seulement les militaires mais aussi les civils – ce qui le distingue de la convention de 1967 qui ne couvrait que les militaires. Il clarifie les compétences de juridiction de telle sorte que dans la pratique, il est peu probable qu'un personnel français qui commettrait une infraction au cours d'une activité de coopération en Algérie soit jugé par les tribunaux algériens. Pour plus de sûreté, la France a joint à l'accord une déclaration interprétative unilatérale qui a été acceptée par l'Algérie. Cette déclaration renforce la protection juridique de nos personnels en spécifiant que la France ne pourra pas remettre aux autorités algériennes un membre du personnel français ou algérien ayant commis une infraction si celui-ci est susceptible d'encourir la peine de mort au titre du droit algérien applicable.
Enfin, l'accord qui nous est soumis comporte d'autres dispositions relatives au soutien financier et logistique des activités organisées. Il enjoint aussi les Parties à conclure un accord régissant les échanges d'informations classifiées entre elles et fixe des règles provisoires. Vous pouvez trouver plus d'informations dans mon rapport.
Finalement, qu'est-ce que la ratification de l'accord apporterait à la France ?
Tout d'abord, cela permettra que nos coopérations soient encadrées juridiquement. Comme je l'ai souligné, nos personnels militaires et surtout civils ne bénéficient pas d'une protection suffisante, et cela peut faire obstacle à la mise en place de nouvelles coopérations dont bénéficieront la France comme l'Algérie.
En second lieu, la non-ratification par la France est régulièrement invoquée par l'Algérie pour justifier de la faiblesse de la coopération bilatérale en matière d'armements. Nous en avons vendus pour 45 millions d'euros en 2005 et pour seulement 9,4 millions d'euros en 2009. Il est en effet regrettable que nos exportations d'armements et d'équipements vers l'Algérie soient aujourd'hui limitées, alors que ce pays est un des principaux acheteurs d'armes en Afrique. Nous pouvons espérer que la ratification de l'accord créera un climat plus favorable aux échanges et ouvrira aux industriels français de la défense de meilleures perspectives d'exportations de matériels vers l'Algérie. En tout cas, cela ne pourra plus être utilisé comme prétexte.
Enfin, la ratification de l'accord aurait une signification symbolique forte et peut contribuer à ouvrir une nouvelle ère pour les relations franco-algériennes. Après Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, et Manuel Valls, ministre de l'Intérieur, le chef de l'Etat François Hollande doit se rendre en Algérie début décembre. Ratifier cet accord – ce que l'Algérie a déjà fait en 2011 – montrera à nos partenaires algériens que nous avons une volonté politique forte de développer la coopération en matière de défense entre nos deux Etats. Il faut donner à cet accord toute son importance mais rien que son importance.
Bien sûr, la ratification de l'accord ne mettra pas fin comme par miracle aux désaccords qui existent entre la France et l'Algérie sur certains points. Les profits que nous pourrons en tirer dépendront de la volonté politique dont nous et nos partenaires algériens feront preuve. Cependant, pour les raisons que j'ai exposées, je suis convaincu que l'accord que nous examinons aujourd'hui peut apporter une vraie plus-value à nos relations avec l'Algérie. Il permet de franchir une étape supplémentaire et de regarder vers l'avenir. Il constitue un progrès.
C'est donc au bénéfice de ces observations que je vous recommande d'adopter le projet de loi qui nous est soumis.