Intervention de Manuel Valls

Réunion du 14 novembre 2012 à 16h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Manuel Valls, ministre de l'Intérieur :

Aujourd'hui, la France doit faire face à une menace terroriste particulièrement forte. Elle doit donc impérativement se défendre en adaptant ses moyens de détection, d'identification et de répression : c'est tout l'enjeu du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, adopté par le Sénat à une très large majorité, dont nous discutons ensemble. Au cours des dernières décennies, notre pays a été meurtri par le terrorisme mais n'a jamais cédé aux menaces. Il les a toujours combattues avec détermination, et il les combattra encore fort de sa cohésion. C'est donc dans un esprit de rassemblement, d'appel à l'unité nationale qui s'impose, que ce texte entend défendre les fondements de notre démocratie, de nos valeurs et de notre République mis en cause par ces actions terroristes.

Les tragédies de Montauban et de Toulouse de mars dernier ont été les révélateurs des menaces nouvelles qui pèsent sur notre pays, qu'il faut affronter avec lucidité. Ces menaces sont liées au jihadisme, à l'embrigadement d'individus souvent jeunes, habitant généralement des quartiers populaires, qui passent à l'acte à l'issue de parcours de radicalisation plus ou moins longs pouvant mêler des faits de délinquance, d'antisémitisme virulent, d'instrumentalisation des conflits du Proche-Orient et du Moyen-Orient, des passages en prison ou des séjours à l'étranger dans des camps d'entraînement.

Je ne veux établir aucune hiérarchie entre les menaces : le terrorisme doit être combattu dans sa globalité, à notre niveau et par la coopération européenne et internationale. Il doit être combattu pour ce qu'il est, c'est-à-dire une attaque délibérée contre nos institutions et les valeurs qu'elles défendent. Il ne peut y avoir aucune espèce de complaisance à l'égard de ces mouvements.

Le projet de loi entend prendre la pleine mesure d'un contexte de montée des menaces. Ces menaces sont liées, avant tout, au jihadisme global. Elles viennent simultanément de l'extérieur de notre pays, mais aussi de l'intérieur. C'est pourquoi j'ai pu parler, au Sénat et en d'autres occasions, d'un ennemi intérieur. Les liens qui existent entre menace extérieure et menace intérieure constituent sans doute une caractéristique nouvelle aggravante dont il faut prendre toute la dimension.

Ainsi en est-il de la menace provenant du cyberespace. Si Internet est un outil de communication et de liberté, il peut se révéler aussi un outil d'embrigadement, de propagation de la haine ainsi que de formation d'apprentis terroristes. Il constitue également un outil de mise en relation à des fins logistiques entre individus et groupes agissants. Ce phénomène nécessite de prendre des mesures adaptées, ce qui n'est pas toujours facile pour des raisons liées au droit, aux libertés. En tout cas, la réflexion sur ce sujet est indispensable.

La zone afghano-pakistanaise demeure un territoire où les candidats au jihad viennent se former et basculent dans le terrorisme. Dans des camps, des combattants volontaires, souvent venus d'Europe, reçoivent une formation paramilitaire, parfois sommaire, qui leur permet d'agir de retour dans leur pays. C'est sans doute ce que fit Mohamed Merah avec un passeport français puisqu'il était français.

L'affaire Merah a révélé des failles incontestables dans notre système de renseignement, qu'il faut traiter avec mesure : il ne s'agit pas tant de mettre en cause le travail de nos services que d'en tirer les enseignements utiles pour aujourd'hui et pour demain. J'ai souhaité que tous les enseignements soient tirés. Le 19 octobre, le rapport rédigé par MM. Léonnet et Desprats, respectivement inspecteur général et contrôleur général de la police nationale, m'a été remis. Je l'ai adressé au président de votre Commission ainsi qu'à M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des Lois du Sénat. Ce rapport, basé sur un retour d'expérience approfondi, établit un diagnostic et émet des propositions concrètes afin de renforcer l'efficacité des services de renseignement. J'entends mettre en oeuvre dans les prochains jours, car on ne peut pas perdre de temps, les adaptations nécessaires au sein de la direction centrale du renseignement intérieur.

L'échange d'informations entre les services est essentiel. Nous en avons eu une parfaite illustration avec le démantèlement, début octobre, de la cellule terroriste qui venait d'agir, le 19 septembre dernier, contre une épicerie casher à Sarcelles, dans le Val-d'Oise. Elle s'apprêtait, semble-t-il, à passer à l'action sur notre territoire mais organisait aussi des filières vers la Syrie. Les services de police et de renseignement ont mené, dans cette affaire, en étroite collaboration avec la justice, une action remarquable qui démontre aussi toute leur efficacité et leur savoir-faire.

Votre Commission a souhaité, dans une optique plus large, confier à une mission d'information une réflexion sur le cadre juridique des services de renseignement. C'est utile. Je renouvelle ici mon entière disponibilité tant vis-à-vis des travaux de cette mission que de la justice. Hormis ce qui mettrait en danger les informateurs ou l'identité de certains de nos agents, il n'y a rien à cacher. Nous devons transparence et vérité.

Mohamed Merah a été le révélateur tragique d'une menace intérieure renouvelée, puisque le terrorisme n'avait plus frappé notre pays depuis près de quinze ans, qui demande un travail de surveillance lourd et méticuleux. D'autant plus que le processus de radicalisation des individus peut être très rapide, demandant parfois quelques mois à peine. Je ne vous cache pas mon inquiétude face à l'activisme sectaire de certains groupes, notamment salafistes, qui gangrène un certain nombre de quartiers dans notre pays. Des reportages de presse de très grande qualité ont été réalisés sur ces phénomènes, qui ne sont d'ailleurs pas propres à notre pays. Nos amis Américains ont eu, au cours des dernières années, à étudier les processus de radicalisation après le 11 septembre 2001, les attentats de Madrid et de Londres ou un certain nombre de tentatives aux Pays-Bas ou en Australie. Il faut étudier ce qui se passe ailleurs pour en tirer les leçons, même si notre culture ne nous y incline pas naturellement, car ces phénomènes se développent depuis plusieurs années déjà.

Si la détection est difficile, la réponse policière et judiciaire est tout autant complexe pour peu que l'on veuille préserver notre État de droit. Toutefois, la vigilance et l'action s'imposent, et il ne faut rien laisser passer. Je n'hésiterai pas, comme je l'ai d'ailleurs déjà fait, à faire expulser des prédicateurs étrangers qui tiennent des discours contraires à nos valeurs. L'autre phénomène est la conversion. Au-delà, l'affaire Merah est une mise en garde pour notre société qui doit se mobiliser tout entière afin de combattre les idéologies de haine qui tentent de s'y propager. À ce titre, je renouvelle devant vous ma condamnation la plus ferme des propos tenus par la soeur de Mohamed Merah, diffusés dimanche soir par la chaîne de télévision M6, qui constituent une apologie du terrorisme et de l'antisémitisme et une provocation à la haine religieuse et raciale. L'antisémitisme est souvent le fil conducteur de telles actions, et tous ceux qui tiennent des propos de cette nature doivent être combattus avec détermination par tous les moyens légaux, administratifs ou judiciaires. Les démocraties ont des faiblesses mais aussi une force : le droit. Le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire.

La menace extérieure vient aussi d'autres aires géographiques que la zone afghano-pakistanaise. Dans la péninsule arabique, Al-Qaïda a désigné la France comme une cible prioritaire après les États-Unis d'Amérique. La Syrie en guerre est aussi un terrain de motivation et de préparation au jihad. Si en Égypte, en Libye, en Tunisie, les printemps arabes ont été porteurs d'espoir démocratique, ce dont il faut se réjouir, ils ont également introduit des facteurs d'instabilité. Dans ces pays, des groupes ultra-radicaux ont pignon sur rue. Certains, se revendiquant ouvertement du jihad, agissent à visage découvert. Leurs actions peuvent viser directement ou indirectement notre pays. Voilà pourquoi nous devons renforcer la coopération avec ces pays, ce qui n'est pas toujours facile. Dans la zone sahélienne, particulièrement au Mali, des groupes terroristes soumettent les populations, commettent des actes barbares et font peser une menace sur nos intérêts, et d'abord sur nos ressortissants – je pense évidemment à nos otages –, mais aussi sur notre pays. Al-Qaïda au Maghreb islamique – AQMI – le MUJAO – Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest – ont désigné la France comme ennemi. Il faut agir avec détermination, comme le fait le président de la République et comme il l'a souligné hier encore, pour que le Sahel ne devienne pas l'Afghanistan de l'Afrique à quelques heures de l'Europe. Les propos, recueillis par le journal Le Monde, du Président du Niger, en visite en France ces derniers jours, doivent également être lus avec beaucoup d'attention. Nous devons agir pour que le Mali retrouve son intégrité territoriale. C'est la responsabilité de la communauté internationale, et tout particulièrement des pays africains.

Le terrorisme qui menace notre sol n'est pas seulement lié au jihad. Sans établir de hiérarchie, je peux citer d'autres organisations violentes plus anciennes. L'organisation terroriste basque ETA doit faire l'objet d'une action déterminée, en parfaite coopération avec les autorités espagnoles, jusqu'à obtenir sa dissolution. Il n'y a pas de « processus de paix » au Pays basque espagnol, il y a le combat déterminé contre le terrorisme qui a tué près de 800 personnes. En Corse, le recours à la violence terroriste, de plus en plus mêlé au crime organisé, reste une tentation prégnante et appelle, à la demande de la société corse, une même fermeté. Je n'oublie pas non plus les risques liés à l'ultra-droite comme à l'ultra-gauche.

Face aux évolutions de la menace terroriste, il nous faut adapter notre réponse législative. Le projet de loi est le fruit d'un travail commun entre les ministères de la Justice et de l'Intérieur. Il vise à garantir l'efficacité de notre lutte antiterroriste en prenant en compte les attentes identifiées par les services de sécurité et les magistrats que nous avons rencontrés avec Christiane Taubira. Il s'appuie sur deux volets : le premier proroge les dispositions temporaires de la loi du 23 janvier 2006, qui permet à notre système de renseignement de mieux détecter, identifier et appréhender la menace ; le second volet, répressif, a pour but de sanctionner plus activement les activités terroristes.

Concernant la détection et l'identification, ce projet de loi porte sur trois domaines bien connus des spécialistes de ces questions. D'abord, les contrôles d'identité dans les gares routières ou ferroviaires, notamment sur les trains à grande vitesse transfrontaliers. Ces contrôles ont démontré leur utilité pour interpeller des individus impliqués dans des activités terroristes. Ils doivent donc être favorisés en veillant à ne pas enfermer l'action de contrôle des services de police dans un délai trop court.

Ensuite, le cyberespace étant devenu un terrain permettant aux terroristes de communiquer entre eux, de recruter, de s'organiser, il est nécessaire d'autoriser l'accès des services de renseignement aux données de connexion. Cette activité s'effectue sous le contrôle préalable d'une personnalité qualifiée directement subordonnée à une autorité administrative indépendante, dont Jean-Jacques Urvoas est membre. Notre modèle garantit la fluidité et la judiciarisation des informations accumulées dès lors que les faits détectés justifient l'ouverture d'un cadre d'enquête.

Enfin, l'accès à certains traitements automatisés administratifs – carte nationale d'identité, passeport, permis de conduire – permet aux services spécialisés de procéder à de multiples vérifications. Il permet également, dans une démarche d'anticipation, de suivre les déplacements internationaux d'individus, notamment ceux suspectés d'islamisme radical. De manière plus générale, ces consultations de fichiers participent de l'activité permanente de documentation des services habilités. Ces dispositions doivent prendre fin le 31 décembre 2012. Toutefois, preuve ayant été faite de leur efficacité et de leur utilité, il convient de les proroger, ce que propose le texte de loi, jusqu'à la fin de 2015.

Le volet préventif visant à poursuivre et à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste est complété par un volet répressif. Au lendemain des tueries de Montauban et de Toulouse, le président de la République Nicolas Sarkozy, le Premier ministre François Fillon et le garde des Sceaux Michel Mercier avaient préparé un texte qui, faute de temps, n'avait pu être adopté. Le Premier ministre avait alors indiqué son souhait de le voir porté par la prochaine majorité, quelle qu'elle soit, issue de l'élection présidentielle.

Pour complète qu'elle soit, la législation française en matière de lutte contre le terrorisme ne permet pas de poursuivre et de condamner les personnes qui, bien que n'ayant commis aucun acte délictueux en France, participent à l'étranger à un acte terroriste ou à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Le projet de loi vise à combler ce manque. Il prévoit aussi de poursuivre pénalement les ressortissants français qui se rendraient à l'étranger pour y pratiquer des activités d'endoctrinement en vue d'intégrer des camps d'entraînement. La neutralisation judiciaire des jihadistes revenant ou tentant de revenir sur notre sol est un impératif. Nous l'avons vu, face à une continuité territoriale de la menace, il faut impérativement garantir une continuité territoriale des poursuites. En matière de répression, le projet de loi propose également d'améliorer nos procédures d'expulsion. L'objectif est de pouvoir agir plus rapidement contre les ressortissants étrangers qui, sur notre sol, soutiennent le terrorisme ou constituent une menace grave pour l'ordre public.

Le texte issu des débats au Sénat me satisfait globalement, même si je ne doute pas que le travail de votre Commission puisse encore l'améliorer. Permettez-moi de citer quelques avancées déjà obtenues au Sénat. La prorogation des dispositions composant le volet préventif de ce projet de loi jusqu'au 31 décembre 2015 répond à notre souci d'efficacité dans la lutte contre le terrorisme en étendant les compétences des services enquêteurs. Je me suis engagé, et je confirme cet engagement devant vous, à repenser l'articulation des dispositions de l'article 6 de la loi de 2006 avec celles de la loi du 10 juillet 1991 relatives au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques, dans une optique de réunification des dispositifs au cours de la législature. Cette démarche, à laquelle le Parlement devra être associé, permettra de créer les conditions de la cohérence.

L'ensemble des dispositions a été adopté avec les modifications suivantes : à l'article 2, la compétence du juge pénal a été étendue aux actes commis par des personnes titulaires d'un titre de séjour les autorisant à résider sur le territoire français ; un nouvel article 2 bis crée un délit d'instigation, en application de la décision-cadre du 28 novembre 2008 ; en matière de provocation ou d'apologie d'actes de terrorisme, un nouvel article 2 ter modifie la loi du 29 juillet 1881 en portant la prescription de trois mois initialement à un an et en prévoyant désormais la détention provisoire pour les délits de l'article 24, alinéa 6 ; la portée de l'article 3 relatif à la commission d'expulsion a été réduite aux seuls actes de terrorisme, et l'obligation d'accorder un délai supplémentaire à la personne étrangère qui justifie d'un motif légitime a été votée ; enfin, l'article 7 introduit une correction pour permettre l'application de la loi sur l'ensemble du territoire.

Madame le rapporteur, vous proposez des ajouts avec lesquels, je vous le dis d'emblée, le Gouvernement est d'accord. Je vous remercie pour la qualité de votre travail. Je suis prêt à débattre des modifications que l'opposition souhaite proposer, sachant que je garde à l'esprit deux soucis : le premier, sur lequel nous pouvons tous nous retrouver, est de conserver l'équilibre entre liberté et sécurité ; le second est l'efficacité. Sur des sujets complexes, nous ne souhaitons pas voir adopter des amendements qui ne trouveraient pas d'application concrète. S'il faut davantage de temps pour les étudier, notamment en fonction des nouvelles technologies, ce temps sera pris.

Pour être complet, j'indique que le Gouvernement a souhaité déposer trois amendements, élaborés en liaison avec le ministère de l'Économie, des finances et du Budget, sur le gel des avoirs criminels. J'y reviendrai plus en détail.

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