Intervention de Manuel Valls

Réunion du 14 novembre 2012 à 16h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Manuel Valls, ministre de l'Intérieur :

Plusieurs députés ont évoqué le problème posé par le « cyber-jihadisme ». Internet est aujourd'hui, en effet, un outil majeur pour les terroristes, en particulier pour Al-Qaida et les mouvements qui s'en réclament. Leurs sites – par exemple la revue Inspire – permettent de raccourcir les parcours de radicalisation et d'éviter de se faire repérer en allant sur zone. Les risques que vous évoquez sont réels, madame Zimmermann, mais à la limite, les terroristes n'ont même plus besoin de voyager.

Ces réseaux informatiques permettent de diffuser la propagande, d'endoctriner, de recruter les aspirants au jihad violent – souvent des jeunes âgés de 16 à 30 ans. Ils sont aussi des outils logistiques, utiles pour communiquer et donc pour s'organiser très discrètement. Enfin, ils jouent un rôle pédagogique, en donnant par exemple des conseils pour la fabrication de bombes.

Ce « cyber-jihadisme » ne peut être combattu avec un foisonnement d'incriminations, qui empêcherait toute vision d'ensemble du phénomène, mais grâce à l'articulation des dispositions existantes, comme celles relatives à l'association de malfaiteurs – une notion qui, selon tous les magistrats antiterroristes, fait la force de notre pays – ou à la complicité. La loi sur la presse, dont l'article 2 ter du projet de loi renforce les moyens de procédure – délais de prescription allongés, recours à la détention provisoire – fait aussi partie des éléments dont nous disposons. Elle offre un cadre juridique, mais celui-ci date de 1881, et risque de se révéler très vite inadapté. Une évolution doit donc être envisagée.

M. Pietrasanta et M. Valax se sont interrogés sur l'ampleur de la menace. Elle s'accroît, évidemment, compte tenu du contexte géopolitique que j'évoquais tout à l'heure : troubles au Pakistan, retrait de nos forces en Afghanistan, crise de Syrie, situation dans les pays concernés par le Printemps arabe, ou dans ceux qui, comme le Maroc ou les États du Sahel, sont confrontés à la menace terroriste… Ce qui nous inquiète, ce sont les réseaux, les groupes, les cellules tels que ceux que l'on voit combattre en Syrie. Quelquefois, des Français sont concernés, comme celui qui a été arrêté au Mali.

Nous avons eu à connaître un terrorisme extérieur – palestinien, kurde, arménien – et un terrorisme intérieur ou proche de nos frontières – ETA, Action directe, le groupe de Khaled Kelkal ou celui de Roubaix, dans lequel, déjà, on observait un phénomène de conversion religieuse. Mais un danger supplémentaire vient incontestablement du lien entre les menaces extérieures et intérieures. Il faut donc faire évoluer le renseignement, améliorer les relations entre tous les services présents sur le terrain – sous-direction de l'information générale, renseignement intérieur, gendarmerie –, développer leur capacité à fournir de l'information et à déterminer ce qui relève de l'antiterrorisme, renforcer les liens avec l'administration centrale.

Bien sûr, un travail doit également être effectué au niveau international, monsieur Pietrasanta, en particulier avec les pays africains. Je me suis ainsi rendu en Algérie il y a un mois – un pays qui lui-même a connu le terrorisme –, et j'ai senti les responsables très disponibles sur cette question. Le pays a d'ailleurs soutenu le vote par le Conseil de sécurité de la résolution présentée notamment à l'initiative de la diplomatie française. Et même s'il a sa propre vision de la situation au Sahel, il nous accompagne dans la lutte contre le terrorisme.

Au niveau national comme au niveau international, monsieur Molac, nous avons besoin d'outils. On ne peut pas appeler au développement d'une coopération européenne ni tenter de convaincre nos amis britanniques de ne pas quitter l'espace judiciaire européen tout en prétendant appliquer « à la carte » le mandat d'arrêt européen, sans quoi on perdrait toute crédibilité. Je suis d'accord avec vous : l'échec que constitue pour nous tous l'affaire Merah n'est pas dû à une faille de la législation. Mais la nature de la menace terroriste est autrement plus large, et légiférer est nécessaire.

Vous tracez comme ligne rouge l'indépendance de la justice : je partage ce point de vue, et c'est précisément pourquoi nous ne pouvons pas intervenir lors de l'application d'un mandat d'arrêt européen.

Je ne céderai jamais au romantisme s'agissant de tout engagement ayant recours à la violence : cela mène à une impasse, une impasse mortelle. Nous l'avons vu dans le passé. Nous devons être très respectueux à l'égard de nos amis Espagnols, qui ont, eux aussi, subi le terrorisme, alors même que le Pays basque espagnol est la région d'Europe bénéficiant de la plus grande autonomie. Des dizaines de milliers de victimes se sont réunies en associations, notamment les proches des élus, de gauche ou de droite, qui ont été assassinés, blessés ou meurtris à vie. C'est à eux de mener ce processus. Si nous pouvons les aider, faisons-le. Mais nous ne pouvons pas remettre en question la fermeté de notre engagement.

À cet égard, monsieur Fenech, c'est bien Pierre Joxe, un ministre socialiste, qui, au début des années quatre-vingt, a convaincu le président de la République, grâce à l'entregent de deux ambassadeurs – Pierre Guidoni à Madrid, Joan Reventos à Paris –, d'extrader les étarras.

Je l'ai dit, monsieur Pietrasanta, les propos de Mme Souad Merah sont choquants, inadmissibles. Il est important que la justice fasse son travail.

M. Doucet s'interroge sur la possibilité d'étendre aux sites faisant l'apologie du terrorisme les dispositions de la loi du 5 mars 2007 qui répriment la consultation de sites pédopornographiques. Même si ces dispositions constituent une référence à laquelle j'ai eu moi-même recours, la question de la criminalité terroriste sur Internet ne me semble pas devoir être envisagée à partir de ce seul modèle. Des similitudes existent, mais la question est techniquement et juridiquement complexe, et nous devons prendre le temps de l'examiner à fond. Je sais, en tout état de cause, que M. le président de la Commission sera attentif à ce que le débat ait lieu sur ce sujet.

M. Fenech a retracé l'histoire de nos législations antiterroristes, sans volonté de polémique, mais en attribuant tous les mérites à la droite… L'équilibre de la loi de 1986 relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l'État fait l'objet d'un consensus : c'est dans cet esprit que je travaille aujourd'hui. À cet égard, je vous remercie d'avoir indiqué que vous voteriez ce projet de loi.

Il se trouve que j'ai eu récemment l'occasion de discuter avec Charles Pasqua du cas d'Action directe – je rencontre régulièrement mes prédécesseurs. N'oublions pas que la loi d'amnistie de 1981, outre qu'elle faisait référence aux précédents de 1969 et 1974, a remis en liberté des membres du groupe qui n'avaient pas commis de crimes de sang, et qui seraient de toute façon rapidement sortis de prison. La radicalisation d'Action directe est intervenue après.

Tout cela montre bien la nécessité de faire preuve de vigilance, même si nous disposons d'une législation de grande qualité et de services qui font leur travail. Les événements de mars dernier nous l'ont rappelé, mais aussi ceux de Sarcelles, le 19 septembre. L'attaque à la grenade contre une épicerie casher était en effet motivée par une volonté de tuer. Mais le recueil d'indices sur place a permis de remonter une piste et de faire le lien avec un individu qui nous avait déjà été signalé par des services étrangers. Ce travail de renseignement indispensable peut atteindre son objectif, mais aussi, parfois, le manquer. Il exige en tout état de cause une très grande qualification et des moyens suffisants. Je compte beaucoup sur le futur livre blanc de la défense pour donner à la direction centrale du renseignement intérieur les moyens dont elle a besoin.

Monsieur Larrivé, nous étudierons toutes les idées, dès lors qu'elles débouchent sur des solutions efficaces, opérationnelles et compatibles avec nos principes constitutionnels, et à condition qu'elles ne complexifient pas inutilement la loi pénale. C'est ce que demandent les juges antiterroristes. C'est pourquoi nous avons souhaité compléter le travail de grande qualité effectué par Michel Mercier aussitôt après le 19 mars. Le temps dont nous avons disposé nous a même permis d'aller plus loin qu'il ne le prévoyait s'agissant de l'incrimination des Français commettant des actes terroristes à l'étranger. En revanche, sur certaines dispositions que contenait son texte, nous nous interrogeons encore. Cela ne signifie pas que nous ne sommes pas prêts à agir, mais nous tenons à trouver le bon cadre juridique. Cela étant, je reste très ouvert à l'égard des propositions de Mme Kosciusko-Morizet ou de M. Ciotti.

En réponse aux préoccupations de ce dernier, je proposerai plusieurs amendements élaborés par le ministère des Finances et destinés à améliorer la procédure de gel des avoirs d'une personne engagée dans des actes de terrorisme, notamment en facilitant l'accès aux données financières et bancaires ou en étendant le champ d'application de cette procédure aux personnes qui incitent à des actes de terrorisme.

Quant à l'accès direct aux sources de renseignement, il exige une réflexion plus ambitieuse sur l'encadrement de l'action antiterroriste, laquelle pourrait être conduite dans le cadre de la mission que mène le président Urvoas.

Je remercie M. Ciotti de son engagement à soutenir ce texte, qui fait en effet écho au travail de Michel Mercier. Nous avons repris l'ensemble des dispositions utiles contenues dans le projet présenté le 11 avril en conseil des ministres, mais nous en avons écarté d'autres, notamment celles portant un risque d'inconstitutionnalité. Enfin, le projet de loi s'est enrichi de l'adoption par le Sénat de certains amendements. Mon cabinet et moi-même sommes disponibles pour travailler sur d'éventuelles autres propositions. En tout état de cause, je vous remercie pour vos contributions à ce débat.

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