Intervention de Serge Bardy

Réunion du 15 octobre 2014 à 9h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Bardy :

J'ai également présenté ce travail à l'hôtel de Lassay le 10 septembre dernier en présence de 250 professionnels, de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et de personnalités comme MM. Erik Orsenna, Louis Gallois et Guillaume Duval.

Par ailleurs, nos propositions sont un clin d'oeil aux « 34 chantiers » du ministère du redressement productif de l'époque.

Je tiens à remercier pour leur appui le président de notre commission, M. Jean-Paul Chanteguet, et le président du groupe socialiste, républicain et citoyen, M. Bruno Le Roux. Je remercie également les collègues ici présents qui ont contribué à alimenter et à enrichir le rapport, notamment MM. Jean-Yves Caullet, Jean-René Marsac, François-Michel Lambert, Dominique Potier, Philippe Noguès, Jacques Krabal et Jean-Jacques Cottel : avant d'engager mon travail, j'ai en effet tenu à réunir les députés qui avaient rendu des rapports sur des sujets connexes. Je remercie enfin M. Christophe Bouillon, qui a défendu des amendements issus de ce rapport lors de la discussion du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.

Nous aurons mené en tout une centaine d'auditions, rencontré 250 personnes et fait 25 visites de terrain. Nous avons rassemblé une documentation importante. Des responsables d'entreprises et des experts nous ont remis les études qu'ils avaient réalisées. L'accueil réservé à ce rapport montre tout l'intérêt des professionnels pour les perspectives qui y sont développées.

Vous l'avez dit, monsieur le président, le Premier ministre me demandait dans sa lettre de mission d'« étudier le potentiel de déploiement de l'économie circulaire dans la filière de production de papier recyclé en France ». Quatre objectifs étaient fixés :

– évaluer, en concertation avec les professionnels, les moyens d'action permettant d'optimiser la gestion des déchets de papiers graphiques ;

– rechercher les moyens de réduire le coût de la collecte des ordures ménagères et des emballages, en comparaison avec des exemples de pays voisins ;

– étudier les moyens de favoriser la demande de produits à base de fibres recyclées ;

– identifier de nouveaux modèles organisationnels plus proches de l'économie circulaire, où la chaîne d'acteurs se structure de façon à sécuriser les approvisionnements des papetiers et à leur permettre de procéder à de nouveaux investissements.

Les réunions avec les parlementaires, les auditions et les visites de sites nous ont permis d'avoir une vue d'ensemble assez précise. L'industrie papetière est très ancienne et aujourd'hui très automatisée. La taille des machines varie entre 70 et 140 mètres de long, voire plus, et entre 2,5 et 8 mètres de large. Leur fonctionnement requiert peu de salariés pour des installations de cette importance.

Notre postulat de départ était de co-construire une stratégie en travaillant de manière collaborative. Nous avons donc organisé deux points d'étape à mi-parcours avec les acteurs de la filière. Le premier a eu lieu le 17 avril dernier à Paris, au Conseil économique, social et environnemental. C'était la première fois que se trouvaient réunis tous les acteurs de la production et de la distribution, les entreprises d'insertion, les collectivités territoriales, les représentants de l'État, ainsi que des organismes comme ÉcoFolio ou Éco-Emballages.

Le deuxième point d'étape s'est tenu le 24 avril à la chambre de commerce et d'industrie d'Angers et a rassemblé des professionnels venus de tout l'Ouest. Nous avons pu confronter ainsi notre compréhension de la situation avec leur expérience et leur savoir.

Nous avons également organisé trois ateliers de travail, le premier consacré à l'économie, avec M. Nicolas Bouzou, économiste, auteur d'une étude sur le papier recyclé avec ÉcoFolio, le deuxième consacré à l'environnement, avec Me Arnaud Gossement, le troisième au social, avec Mme Nathalie Boyer, de l'association Orée. Nous avons été nous-mêmes surpris par l'affluence à ces séances.

J'adresse cet égard tous mes remerciements mon collaborateur M. Gautier Givaja. Il a été la cheville ouvrière de nos travaux et a largement contribué à la préparation d'un rapport dont la qualité doit beaucoup à son implication.

Il nous est rapidement apparu qu'il n'existait pas de filière du papier recyclé en France. En tout état de cause, la dimension de filière ne pouvait se réduire au papier recyclé graphique. Les professionnels nous ayant fait valoir que le postulat de départ risquait de déséquilibrer le marché, nous avons, en concertation avec eux, élargi la perspective de la mission à l'économie circulaire au sein de la filière cellulose. Selon nous, la seule chance d'avenir de cette filière cellulose est le développement d'un véritable modèle organisationnel fondé sur l'économie circulaire et articulé autour de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) appliquée à l'ensemble des acteurs.

De l'aveu même des entrepreneurs, le secteur fonctionne « en silos », chacun ignorant ce que se passe en amont et en aval. M. Louis Gallois nous a confirmé que cette situation est fréquente en France, contrairement ce qui se passe en Allemagne. Venant du monde de l'informatique, je ne pouvais l'imaginer !

Cela dit, la chaîne de valeur représente de 200 000 à 250 000 emplois (dont 11 % de la filière bois), un chiffre d'affaires de 20 milliards d'euros et 1,2 milliard d'euros de déficit du commerce extérieur. La communication graphique, quant à elle, représente 2,3 % du PIB national.

La chaîne de valeur cellulose n'est quasiment pas prise en compte dans la filière bois. Elle se répartit entre de nombreux acteurs affiliés à des OPCA (organismes paritaires collecteurs agréés) différents et à des comités stratégiques de filière différents au sein du Conseil national de l'industrie (CNI).

La filière est un outil d'analyse et d'élaboration stratégique permettant d'avoir une vision commune. Après avoir auditionné le CNI à deux reprises, nous proposons la mise en place d'un comité stratégique de filière cellulose, à l'instar de ce que l'on a fait pour l'aluminium et pour la restauration. La RSE serait placée au centre du dispositif, afin de créer un horizon partagé fondé sur le dialogue social.

Les acteurs se sont emparés de cette proposition et nous ont même demandé de leur fixer des contraintes, par exemple en conditionnant le CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi) à des obligations en matière de dialogue social et de RSE. Si la RSE, définie par la norme ISO 26 000, n'est pas une approche contraignante, elle permettrait toutefois de fédérer les OPCA.

Une fois cette analyse posée et partagée, nous avons défini 34 chantiers pour la filière cellulose. Trois d'entre eux ont déjà été pris en compte dans le cadre du projet de loi relatif à la transition énergétique, par la voie d'amendements défendus par M. Christophe Bouillon. Les chantiers encore en gestation font l'objet d'une mobilisation des acteurs, qui nous sollicitent souvent pour appuyer leur démarche.

Nous ouvrons notre liste par trois chantiers relatifs aux talents humains : la nomination d'un chargé de mission national du contrat stratégique de filière – idée suggérée par M. Louis Gallois ; la mobilisation autour de la RSE pour structurer la filière ; la mise en place d'une plateforme de profilage des compétences, sur le modèle de ce que l'on a fait aux Pays-Bas pour faire face à la crise de l'industrie papetière : une telle plateforme a permis d'opérer des transferts de compétence, par exemple du graphisme vers l'industrie ou de l'industrie vers la distribution, et d'obtenir un taux de retour à l'emploi de plus de 81 % pour les personnes de plus de cinquante ans, et encore plus élevé pour les jeunes.

Ensuite, pour pallier les manques de ressources qui surviennent parfois et font monter les prix, nous préconisons la mise en place des consignes en matière de pré-collecte, de collecte, de valorisation des flux et de mise à disposition.

Une troisième série de chantiers concerne l'énergie, qui est le premier pilier de la compétitivité de ce secteur, devant les ressources et les compétences. Ils visent à mieux maîtriser le coût et l'accès à l'énergie des électro-intensifs et gazo-intensifs, nos coûts étant actuellement un peu supérieurs à ceux de l'Allemagne.

La dernière série vise à promouvoir les démarches éco-responsables : intégration des critères environnementaux au rapport qualité-prix, exemplarité de l'État, transparence et traçabilité des écolabels.

J'en viens aux suites données à la mission.

Tout d'abord, la commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique a modifié à plusieurs reprises le texte dans un sens conforme à nos recommandations. Sont ainsi prévues la généralisation d'une tarification incitative en matière de collecte des déchets – nous avons constaté sur le terrain qu'aussi bien le citoyen que les collectivités en tirent bénéfice –, la valorisation des combustibles solides de récupération, pour lesquels il n'existe pas de filière en France alors qu'il en existe une en Allemagne, et la promotion des achats publics socialement responsables et écologiques. Le texte affirme aussi le principe de proximité – soit dit en passant, ce principe est inscrit dans la loi en Espagne, mais fait l'objet d'une contestation du groupement industriel FEDEREC auprès de l'Union européenne.

Trois amendements complémentaires adoptés en séance concernent le tri des papiers de bureaux, l'harmonisation progressive des consignes de tri et des signalétiques, ainsi que l'exemplarité de l'État en matière de commande publique de papier.

Nous aurons à faire avancer les autres chantiers auprès des ministères compétents.

Enfin, il faudra identifier les régions intéressées par une expérimentation d'animation d'une filière cellulose au niveau territorial.

Un élément de comparaison pour terminer : en matière de collecte séparée du papier, l'Espagne réalise 9 % de sa collecte en porte-à-porte et 88 % par apport volontaire – plus largement, l'apport volontaire dépasse 50 % pour les déchets ménagers. En France, le porte-à-porte représente 65 % et l'apport volontaire 35 %. Aussi le coût est-il de 85 euros par tonne pour l'Espagne et de 190 euros pour la France, tandis que les recettes sont respectivement de 90 et 70 euros. L'Espagne tire donc un bénéfice de 5 euros par tonne, tandis que la France doit supporter un coût de 120 euros.

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