Intervention de Pascal Canfin

Réunion du 31 octobre 2012 à 9h30
Commission élargie : aide publique au développement

Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement :

Les retards dont vous vous plaignez sont imputables à la charge de travail considérable qu'entraîne, outre le lancement des assises, la conjonction de plusieurs évaluations. Je vous prie d'excuser mon administration pour cet engorgement, mais je constate que le retard existe aussi quand une mission est confiée à un cabinet extérieur comme Ernst & Young, qui ne remettra son rapport qu'en novembre.

M. Mancel a parlé d'une baisse générale du budget. Si les programmes 110 et 209 diminuent d'environ 200 millions, nous disposerons cependant d'une capacité d'engagement supplémentaire de 160 millions, grâce aux 10 % de la TTF estimée à 1,6 milliard. La somme, qui ne figure pas dans les crédits de paiement, est mentionnée dans les documents que vous avez reçus. Pour les trois prochaines années, nous bénéficierons ainsi d'une capacité d'engagement de 480 millions. À cet égard, nous avons tenu notre engagement, même s'il prend une forme budgétaire peu lisible.

Ces 10 % se scinderont en deux parties. La première, dédiée à l'environnement et au climat, passera essentiellement par le Fonds vert créé à Copenhague, qui ne sera opérationnel qu'en 2014. De ce fait, nous n'aurons pas à la décaisser en 2013. La seconde partie de la taxe ira au poste santésida.

Soit dit sans polémique, le gouvernement précédent, qui avait instauré la TTF, prévoyait qu'elle abonderait le budget général de l'État, sans plus de précision. C'est nous qui, dans le contexte contraint que vous connaissez, avons choisi d'en affecter 10 % à l'aide au développement.

Ainsi, plutôt que d'une baisse de l'effort en faveur de la solidarité internationale, on peut parler d'une quasi-stabilité des crédits, puisque la diminution de 200 millions est compensée par 160 millions supplémentaires. De plus, nous avons récupéré 200 millions du FED, le Fonds européen de développement, qui n'avaient pas été décaissés. On peut donc considérer que la capacité d'engagement réelle est stable, voire qu'elle augmente. En tout cas, notre logique consiste à stabiliser l'effort en faveur de la solidarité internationale.

Quelles leçons tirer du rapport de la Cour des comptes, du bilan d'Ernst & Young et des différents efforts d'évaluation ? La première leçon que j'en ai tirée m'a conduit à organiser des Assises du développement et de la solidarité internationale. Du 5 novembre à début mars, ces assises, engagement de campagne de François Hollande, ouvriront un débat public qui n'a pas eu lieu depuis quinze ans. Elles s'articuleront autour de cinq chantiers.

Nous nous interrogerons d'abord sur notre vision du développement après 2015, dans un contexte où il est désormais impossible de séparer les objectifs du millénaire de lutte contre la pauvreté et ceux du développement durable – c'était également la position du précédent gouvernement. Dans ce domaine, les agendas se rejoignent. Ainsi, il est impossible de réfléchir sur la pauvreté au Sahel sans prendre en compte l'impact du changement climatique sur les écosystèmes les plus vulnérables.

En second lieu, nous nous interrogerons sur l'efficacité et la transparence de l'aide. En la matière, la France est en retard sur certains de ses voisins, notamment britanniques. Depuis des années, les parlementaires souhaitent que nous progressions dans ce domaine. Nous nous y emploierons dès le 5 novembre. En ce moment, avec les services du Quai d'Orsay et de Bercy, je travaille à délimiter un cadre permettant de définir les contours de notre aide, trop souvent évaluée en termes d'input, c'est-à-dire de montants, plutôt que d'effets produits, ce qui serait un bien meilleur indicateur. Consacrer de l'argent à une politique qui ne marche pas – parfois d'ailleurs parce qu'elle ne marche pas – ne relève pas d'un bon pilotage politique.

M. Gaymard regrette que les pays du Sud soient contraints de rembourser leurs dettes. Est-ce un si mauvais indicateur, que l'investissement ait dégagé chez eux une capacité de remboursement ? N'est-ce pas au contraire le signe que l'investissement a créé du développement ? Dans le cadre des assises, je proposerai des pistes pour évaluer l'efficacité de notre aide.

Le troisième dossier concerne la cohérence des politiques publiques pour le développement. Comment s'assurer que nos politiques agricoles ou commerciales et nos politiques de développement n'entrent pas en contradiction ? Nous ferons en sorte de progresser sur ce thème.

Les partenariats avec les acteurs non gouvernementaux – entreprises, ONG, syndicats, fondations, collectivités locales – constitueront le quatrième sujet. Comment améliorer l'efficacité de l'écosystème institutionnel, qui fait que notre aide publique au développement passe par des canaux très différents ?

Nous aborderons enfin la question des innovations. Quand on réfléchit sur l'aide publique au développement, on projette de faire des routes ou de construire une centrale, bref on prévoit de se lancer dans de grands équipements. Or, quand on demande aux Kenyans ce qui, au cours des dernières années, a le plus contribué au développement, ils répondent que c'est le mobile banking, lequel permet d'exécuter des opérations bancaires sur des téléphones portables, innovation qui n'a pas été financée par l'aide publique au développement. Cet exemple fait réfléchir sur la rétroaction des innovations, qui se mettent parfois en place au Sud avant de s'imposer au Nord. Il est en effet bien plus facile de recourir au mobile banking à Nairobi qu'à New York ou à Paris. Par ailleurs, la capacité d'innover en matière d'aide publique au développement est un beau sujet de réflexion. Il faut être où l'on nous attend, et travailler avec les start-up ou les PME qui ne demandent qu'à développer leurs innovations au Sud.

Autant de sujets qui seront traités aux assises. En ce qui concerne votre participation, nous avons souhaité la présence de cinq parlementaires : deux députés et de deux sénateurs, choisis par le président de leur assemblée, et un député européen de la Commission du développement. Il serait bon qu'ils assistent à tous les chantiers, mais, s'ils le souhaitent, ils seront libres de siéger ensemble aux mêmes débats.

La deuxième leçon que j'ai tirée du rapport de la Cour des comptes, c'est qu'il faut améliorer le pilotage par l'État de la politique de développement, notamment améliorer les relations entre Bercy et le Quai d'Orsay. Auparavant, les administrateurs appartenant à des ministères différents pouvaient tenir des discours différents lors des réunions des conseils d'administrations de l'Agence Française de développement. J'ai donc souhaité qu'ils se réunissent de manière informelle avant ces réunions pour se mettre d'accord sur un seul discours car la parole de l'État ne peut être qu'unique. De la sorte, cette parole y gagne en crédibilité, en force et en efficacité.

S'agissant du reste de l'Agence française de développement, je vois son directeur général tous les quinze jours. Il s'agit pour moi de faire non du micro management – ce serait contreproductif et inefficace, et ce n'est pas mon rôle – mais d'exercer une tutelle politique sur une agence publique. C'est l'occasion de discuter des grandes orientations stratégiques de celle-ci, secteur par secteur. Ainsi, quand l'alternance a eu lieu, nous avons souhaité repousser de quelques semaines le cadre sectoriel « énergie » qui allait être voté et, avec l'ensemble des autorités de tutelle, nous l'avons réorienté. Aujourd'hui, les 5 à 6 milliards d'investissement prévus dans les trois prochaines années dans le secteur de l'énergie iront en priorité vers trois branches : d'abord, celle des énergies renouvelables ; ensuite, celle de l'efficacité énergétique – la mauvaise qualité des réseaux en Afrique entraîne une déperdition colossale d'énergie ; enfin, celle de la décarbonisation. Ces trois priorités constituent, dans ce secteur, la feuille de route de l'AFD, qui a été approuvée par le conseil d'administration du mois d'octobre.

Nous travaillons maintenant sur d'autres cadres sectoriels ? C'est le cas le cadre dit de « sécurité financière ». C'est la première fois que l'AFD va formaliser, noir sur blanc, les règles qu'elle applique en matière de lutte contre la corruption. Cela concerne aussi bien le droit d'alerte en matière de corruption ou de risque de corruption, que la transparence financière ou les paradis fiscaux. Nous regardons évidemment ce qui se fait ailleurs, à la Banque européenne d'investissement, à la Banque mondiale ou à la KfW –Kreditanstalt für Wiederaufbau – en Allemagne. Notre objectif est que la France, à travers l'AFD, ait une attitude exemplaire en la matière.

Une des priorités validées dans le nouveau plan d'orientation stratégique adopté au précédent conseil d'administration de l'AFD est la responsabilité sociale des entreprises. Au représentant de Vinci qui trouve anormal que, dans tel aéroport de tel pays, l'argent de l'AFD aille à un prestataire chinois, on ne peut fournir que la réponse suivante : d'abord, il est interdit de conditionner l'octroi de l'aide ; ensuite, ce serait contreproductif car si nous décidions que nos financements ne vont qu'à nos entreprises et que les autres pays fassent la même chose, nos entreprises ne recevraient alors qu'une toute petite partie du gâteau. Pour résoudre ce problème, il a été décidé, dans le cadre du plan d'orientation stratégique, que les appels d'offres de l'AFD devraient comporter des règles de responsabilité sociale et environnementale. Ainsi, seules les entreprises qui les respecteront pourront bénéficier de ses financements. Si les entreprises chinoises respectent ces clauses, tant mieux ; sinon, elles ne pourront pas répondre au marché. Dans les deux cas, ce sera positif et source de progrès : soit nous tirons la mondialisation vers le haut, y compris chez certains compétiteurs qui, parfois, ne respectent pas toutes les règles du jeu ; soit nous imposons des règles du jeu qui excluent ceux qui ne les respectent pas et font de la concurrence déloyale. Le principe a été acté, même s'il faudra un certain temps pour que tous les appels d'offres de l'AFD contiennent des clauses sociales et environnementales.

Toutefois, en cas d'appel d'offres commun avec d'autres bailleurs, nous risquons de ne trouver confrontés à une difficulté. Si nous tentons d'imposer nos clauses sociales et environnementales à d'autres bailleurs tels que la Banque mondiale, la Banque européenne d'investissement ou la Banque japonaise, et que ceux-ci n'en veulent pas, ils risquent fort de nous exclure du dispositif et de chercher un autre partenaire. Pour que le système soit efficace, il faut qu'il soit adopté par tous. En tout cas, les agences y réfléchissent . Quoi qu'il en soit, le processus est d'ores et déjà engagé, et c'est pour moi un élément prioritaire de l'évolution de l'Agence française de développement.

J'en viens à l'Afrique.

L'Afrique subsaharienne représente 60 % du coût budgétaire de l'APD, contre 20 % pour l'Afrique du Nord et le bassin méditerranéen. Ainsi, 80 % du coût budgétaire de l'aide publique au développement française va en Afrique, hors Afrique du Sud. On ne peut donc pas dire que ce ne soit pas une priorité. C'était une priorité, cela le reste. De ce point de vue, il n'y a pas de changement.

Comment voyons-nous notre relation avec l'Afrique ?

Premièrement, cette relation doit reposer sur un partenariat dans le cadre de la diplomatie mondiale. Que ce soit dans les négociations sur la biodiversité ou dans celles sur le climat, l'axe euro-africain est le plus progressiste dans la mesure où il a l'ambition de contribuer à la création d'un droit international sur ces sujets. Le premier élément de notre accord partenarial stratégique est la volonté de tirer la mondialisation vers le haut, par opposition certaines alliances plus « conservatrices » avec les États-Unis, le Canada et certains pays émergents. Certes, cet axe euro-africain est minoritaire, mais c'est un élément de progrès.

Deuxièmement, cette relation avec l'Afrique doit également reposer sur des accords bi-latéraux. Je souhaite que davantage d'entreprises françaises soient présentes en Afrique, et qu'elles y respectent des règles du jeu conformes à nos valeurs et à nos intérêts. De la sorte, non seulement nous empêcherons les pires pratiques de se développer en Afrique, mais, de plus, nous y gagnerons. C'est pourquoi, tout comme Pierre Moscovici, je suis de très près la négociation européenne sur la transparence des investissements des multinationales européennes des secteurs extractif et forestier ; à cet égard, une directive européenne, qui est en cours de négociation, devrait être finalisée avant la fin de l'année. La France est aujourd'hui, avec les pays scandinaves, le pays le plus offensif en la matière. Nous avons même relevé d'un degré l'ambition du précédent gouvernement d'assurer la transparence des investissements des entreprises européennes.

Cette transparence est absolument nécessaire, car seule la capacité des États africains de lever des impôts leur permet de mener des politiques publiques en matière de santé ou d'éducation, d'assurer les conditions de leur développement et, au final, de se passer de notre aide. Il serait paradoxal que les grandes entreprises ne paient pas d'impôts, ou pas suffisamment. Car ces pays, s'ils sont privés des moyens de mener leurs politiques publiques, feront appel à nous, via nos propres impôts, pour financer leur développement. Autant faire en sorte que, sur place, les conditions d'exploitation des ressources économiques soient équitables et bénéficient directement aux pays du Sud. Cela me semble plus logique, plus efficace et politiquement souhaitable.

Dans le même état d'esprit, dans le cadre de l'action de la Banque mondiale, la France sera le premier pays au monde à financer des contrats équitables, de façon que les États du Sud puissent, dans le cadre de la négociation de ces contrats, s'offrir les services de fiscalistes et d'avocats ayant les mêmes compétences que celles des fiscalistes et des avocats des grandes entreprises. Pierre Moscovici l'a annoncé à l'occasion de la réunion des ministres des finances la zone franc. Nous allons consacrer quelques millions d'euros à cette action, dont l'impact est déterminant pour les États concernés – plusieurs centaines de millions d'euros de royalties. Ce type d'action me semble être l'avenir de l'aide publique au développement. Un tel exemple répond à vos préoccupations de transparence et d'efficacité de notre action en matière d'aide publique au développement.

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