Intervention de Thierry Roquefeuil

Réunion du 15 octobre 2014 à 9h00
Commission des affaires économiques

Thierry Roquefeuil, président du CNIEL :

Monsieur Herth, la filière laitière fait aujourd'hui face non à un aléa économique, mais aux conséquences économiques d'un aléa politique. La crise actuelle remet en question les fondements mêmes d'un secteur, fort de 70 000 producteurs et de plus de 600 entreprises de transformation, qui écoule 60 % de sa production sur le marché intérieur et en exporte 40 %. Avant d'être exporté, le lait est d'abord transformé sur notre territoire, générant de la richesse ; la filière présente un excédent de la balance commerciale d'environ 7 milliards d'euros. Malgré ces résultats, nos producteurs ont, ces dernières années, traversé bien des difficultés dont ils paient toujours les frais ; l'embargo russe qui vient s'y ajouter fait suite à une décision politique prise par les vingt-huit. Dans ce contexte, qui doit être tenu pour responsable et assumer le problème économique qui en découle ?

Depuis début septembre, nous nous adressons à la Commission européenne par l'intermédiaire de nos organisations professionnelles et des pouvoirs publics français pour lui demander d'assumer les conséquences de sa décision en aidant la filière laitière qui en est victime. Nous appelons de nos voeux une intervention de la Commission sur l'ensemble des marchés pour en extraire le surplus de production, le stocker et le réinjecter le jour où les prix auront remonté. Nous sommes satisfaits de voir le ministre porter notre revendication ; il s'agirait d'un signal à l'ensemble du monde laitier, de la Nouvelle Zélande aux États-Unis. Ainsi, les Chinois ont depuis le début de l'année massivement importé des produits laitiers, incités par les aides fiscales décidées par leurs pouvoirs publics ; désormais, et tant qu'aucune décision n'est prise, ils s'attendent à une baisse des prix dans les mois à venir, qui leur permettrait d'acheter moins cher sur le marché européen. C'est pourquoi la réponse de la Commission – qui nous apparaît parfaitement appropriée – doit intervenir très rapidement, en dépit du changement du commissaire. Au lieu d'accuser tel ou tel pays de manquer aux règles du jeu, ce sont ces règles qu'il faudrait changer en relevant le niveau d'intervention de la Commission. En effet, le niveau actuel du prix de retrait – 200 euros les 1 000 litres – ne correspond pas aux réalités de l'économie laitière ; aussi les États les plus touchés par les conséquences de l'embargo russe voient-ils des entreprises fermer.

Au niveau national, nous sollicitons le soutien de la grande distribution. Certes, dans nos négociations, nous demandons depuis des années de coller aux évolutions du marché. Alors que celui-ci était en hausse depuis deux ans, nous réclamions à la grande distribution d'augmenter ses prix. Lorsque nous lui demandons aujourd'hui de nous aider dans cette période difficile, elle nous renvoie cette exigence : les marchés baissant, pourquoi ne baisserait-elle pas ses tarifs ? Nous sommes donc pris à notre propre jeu. Cependant, le problème économique renvoyant dans ce cas à une cause politique, nous demandons à la grande distribution de nous soutenir. En effet, faut-il qu'en 2015, les entreprises laitières soient en difficulté, le revenu des producteurs s'approchant de zéro, alors qu'une partie de nos concitoyens profite d'un meilleur pouvoir d'achat parce que la grande distribution a baissé les prix sur nos produits ? En vertu de quelle logique notre filière doit-elle souffrir d'une décision politique tandis que d'autres en sortent gagnants ? La meilleure solution serait que l'intervention de la Commission stabilise – voire fasse remonter – les cours, pour que nous puissions rester sur des tarifs cohérents avec le marché et acceptables pour tous.

Nous essayons de nous concerter au maximum avec les pouvoirs publics afin d'obtenir d'urgence des décisions à l'échelle européenne. L'Association laitière européenne (EDA) qui regroupe toutes les entreprises du secteur, tout comme le Comité des organisations professionnelles agricoles (COPA) se sont prononcés en faveur d'un niveau plus élevé de l'intervention. L'Europe laitière tout entière tient cette position et attend une réponse rapide. Si nous passons ce cap, nous aurons le temps de revenir sur les problèmes spécifiques de la filière laitière française, objet de notre ambition.

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