Je sais d'emblée que nos échanges seront denses et dynamiques. Nous vous avons auditionnée il y a peu de temps, madame la ministre, ce qui nous a permis d'examiner au fond les grandes orientations que vous conduisez à la tête de ce grand ministère que vous êtes la première femme à diriger – il est important de le rappeler.
Vous êtes une ministre heureuse et nous sommes heureux avec vous de constater qu'avec une hausse de ses crédits de plus de un milliard d'euros, ce budget répond incontestablement, pour la seconde année consécutive, à l'ambition de la loi d'orientation et de programmation du 9 juillet 2013 pour refondation de l'école, avec la création de 9 561 postes en 2015, l'amélioration de l'accompagnement des élèves, la remise en place de la formation des enseignants, la réforme de l'éducation prioritaire.
Pour la première fois depuis longtemps, le budget de l'éducation nationale redeviendra, en 2015, le premier budget de la nation. C'est dire combien la priorité est donnée à l'avenir du pays à travers les générations montantes.
M. Alain Fauré, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire. La mission « Enseignement scolaire » est redevenue premier budget de la nation ; ses crédits s'accroissent en 2015 de 2,03 % en autorisations d'engagement, avec 64,93 milliards d'euros, et de 2,44 % en crédits de paiement, avec 65,01 milliards d'euros – pensions incluses bien sûr.
Seront créés 9 561 postes dont 5 734 d'enseignants et 144 dans l'enseignement technique agricole.
Les orientations fermes et innovantes qu'a su donner le Président de la République dès la rentrée 2012 sont ainsi confirmées, qu'il s'agisse de la priorité donnée au primaire, de l'accueil des enfants en situation de handicap, de l'éducation prioritaire, de l'importance accordée à la formation des enseignants ou encore de l'ouverture au numérique. Ces orientations étaient également celles de la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école que nous avons votée l'année dernière et dont ce budget est une traduction.
Les données chiffrées correspondant à ces évolutions très positives figurent dans le document écrit qui vous a été distribué. Laissez-moi avant tout, madame la ministre, saluer vos premières actions.
Au-delà de l'aridité des chiffres, je souhaite vous interroger sur les objectifs, la logique de la politique d'éducation nationale, la mission dévolue aux encadrants. Notre système nous apparaît, en effet, parfois exagérément fondé sur la notation, la sélection, la sanction. Il me semble qu'il faut dégager une nouvelle vision forte fondée sur une notation qui stimule et non qui décourage, sur l'accompagnement, sur la bienveillance. Ce terme, vous le retenez vous-même : il figure à la page 12 du projet annuel de performances. Je pourrais citer ainsi l'exemple de chefs d'établissement et d'enseignants qui ont obtenu des résultats tout à fait convaincants, en agissant prioritairement de cette manière. Quelle est votre analyse ?
Alors que se déroule la consultation nationale sur le socle commun de connaissances, de compétences et de culture, qui définit les éléments que doit acquérir chaque élève au cours de sa scolarité obligatoire, pourriez-vous faire le point sur plusieurs grandes réformes annoncées : où en est-on de celle des « cycles et des socles », pour reprendre le mot d'un de vos prédécesseurs, M. Vincent Peillon, de celle des programmes, de la réforme du collège ? Pouvez-vous nous donner des informations sur le plan d'ensemble pour le numérique éducatif annoncé par le Président de la République ?
L'école, dites-vous, doit être inclusive et nous nous efforçons d'accueillir et de prendre en charge tous les enfants, ceux en particulier qui sont en situation de handicap. L'échec scolaire reste pourtant un « point dur » de notre système éducatif ; les phénomènes d'absentéisme, de décrochage interrogent les responsables que nous sommes. Nous devons les combattre plus vigoureusement. Une question souvent oubliée reste celle des enfants intellectuellement précoces qui connaissent souvent des difficultés scolaires. Quelle est, là aussi, votre analyse ?
La loi pour la refondation de l'école a prévu la création des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) mises en place à la rentrée 2013. Nous savons tous l'importance de « l'effet maître » sur les élèves et la nécessité d'avoir des enseignants bien formés. Quelles informations pouvez-vous nous donner sur le fonctionnement des ESPE ? Quelle place feront-elles à l'enseignement de la pédagogie, du numérique éducatif, aux disciplines scientifiques, techniques et industrielles, insuffisamment prises en compte ?
En ce qui concerne l'école primaire, priorité de l'action gouvernementale, nous soutenons la réforme des rythmes scolaires et sommes d'accord pour estimer, comme il est indiqué sur le site de votre ministère, que « la semaine avec cinq matinées, c'est mieux pour les écoliers ». Quel bilan pouvez-vous dresser de l'application de cette importante réforme ?
Pour l'enseignement technique agricole, les efforts des années précédentes sont poursuivis et 165 postes, dont 140 d'enseignants, sont créés, en conformité avec les engagements du Président de la République. Deux questions néanmoins : comment développer les indispensables mutualisations entre l'enseignement scolaire et l'enseignement agricole ? En effet, des marges importantes existent encore en la matière. L'enseignement agricole, qui sait accompagner les élèves et les insérer dans le milieu professionnel, mais qui souffre d'une diminution de ses effectifs, ne devrait-il pas davantage être préconisé dans le cadre des orientations scolaires ? Serait-il possible qu'une convention soit passée entre les deux systèmes éducatifs afin de les rapprocher ?
Enfin, la politique d'éducation prioritaire est au coeur de l'esprit républicain. Pourtant, malgré une dépense en faveur de l'éducation en croissance chaque année, malgré les efforts menés à travers le plan pluriannuel « Éducation prioritaire », malgré la politique revivifiée en faveur des réseaux d'éducation prioritaire dans l'enseignement du premier degré, cette politique reste peut-être à redéfinir et à amplifier. Quelle est, là encore, votre analyse ?
Mme Sylvie Tolmont, rapporteure pour avis pour l'enseignement scolaire, de la commission des affaires culturelles et de l'éducation. Comme le rapporteur spécial, je me félicite de ce projet de budget conforme aux ambitions de la loi pour la refondation de l'école que nous avons adoptée l'an dernier. Il faut mesurer les efforts accomplis depuis le vote du collectif budgétaire qui a suivi les élections de 2012, et je ne citerai qu'un seul chiffre : selon le ministère de l'éducation nationale, le nombre de classes primaires ouvertes depuis ce changement d'orientation est égal à 3 000.
Par ailleurs, je tiens à saluer le lancement de la réforme de l'éducation prioritaire et de son zonage, avec la préfiguration, à l'occasion de cette dernière rentrée scolaire, des 102 réseaux d'établissements choisis parmi les plus difficiles (REP). Les enseignants de l'éducation prioritaire disposeront d'un temps dédié pour se concerter ou recevoir les parents – soit neuf jours par an dans les écoles ou une heure trente par semaine environ dans les collèges – et, dans les établissements relevant des REP+, de trois jours annuels de formation. Ils bénéficieront en outre d'une revalorisation très significative à compter de la rentrée 2015, soit une augmentation des indemnités actuelles de 50 % en REP et de 100 % en REP+. Enfin, les établissements de l'éducation prioritaire mobiliseront un grand nombre de postes créés l'année prochaine, soit 1 100 dans le premier degré, 881 dans le second degré et 100 postes de personnels de santé ou sociaux.
Mon avis sur les crédits proposés pour l'enseignement scolaire ne pourra donc qu'être favorable.
J'évoquerai à présent le thème d'investigation que j'ai choisi cette année, conformément aux usages de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, et qui n'est pas sans lien avec l'éducation prioritaire. Il s'agit de la situation des sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) et des établissements régionaux d'enseignement adapté (EREA) à l'heure de la refondation de l'école. Ces structures qui scolarisent, à partir de la classe de sixième, un peu plus de 100 000 élèves n'ont pas bonne réputation et sont peu connues des responsables publics.
Elles dérogent très clairement au principe de l'école inclusive posé par la loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l'école de la République, c'est-à-dire au droit pour chaque enfant, même lorsqu'il a des besoins particuliers, d'être scolarisé dans les mêmes conditions que les autres élèves et avec eux. En outre, le cycle CM1-CM2-6e prévu par la loi du 8 juillet 2013 remet en question la pertinence d'une orientation vers ces filières à l'issue du CM2. De plus, cette même loi dispose que le redoublement est exceptionnel. Or, jusqu'à ce jour, les textes qui encadrent l'enseignement adapté imposent le maintien de l'élève une année supplémentaire en primaire avant de pouvoir intégrer une SEGPA ou un EREA.
Faut-il pour autant supprimer ces structures ? Je ne le pense pas car l'état actuel du collège ne lui permettrait pas d'accueillir de manière satisfaisante des jeunes qui peuvent se situer « au-delà de la grande difficulté scolaire et psychologique » pour citer les propos d'une enseignante. Je considère même que les SEGPA et les EREA constituent une chance voire un modèle pour l'école d'aujourd'hui car leur organisation leur permet d'offrir un cadre bienveillant à des élèves dont les besoins sont très particuliers. Il s'agit, pour ceux des SEGPA, d'élèves ayant à 84 % redoublé leur CP et issus à plus de 70 % de catégories sociales défavorisées et, pour les élèves d'EREA, de jeunes qui ont souvent été orientés vers ces établissements pour en intégrer l'internat, en réponse à des situations de déshérence familiale.
Or ces structures constituent pour leurs élèves des milieux « protecteurs » et capables de personnaliser la réponse apportée à la situation de chacun d'entre eux. Certes, elles souffrent de certains dysfonctionnements que j'analyse dans le rapport que je présenterai la semaine prochaine. Il faut donc les adapter sans pour autant les dénaturer et je me félicite, à cet égard, de la mise en place au sein du ministère de deux groupes de travail chargés de réfléchir à ces évolutions.
Pour ma part, madame la ministre, je vous interrogerai sur trois points :
D'abord, ne faudrait-il pas favoriser la constitution de groupes mêlant des collégiens et des élèves de SEGPA dans certaines disciplines, cela afin d'éviter « l'assignation » de ces derniers dans une filière « à part » ? Dans le même esprit, il faudrait encourager les retours de ces élèves dans la voie « ordinaire », ce qui suppose que les commissions départementales chargées de l'orientation vers les enseignements adaptés réexaminent chaque année la situation des élèves de SEGPA et d'EREA.
Parallèlement, ne pourrait-on pas supprimer la condition du redoublement, exigée pour intégrer l'enseignement adapté ? Maintenir une année de plus un élève qui est « en souffrance » depuis le CP dans le milieu scolaire dit ordinaire me semble une mesure inutile et coûteuse.
Enfin, en ce qui concerne les EREA dotés d'un internat, leur maintien me paraît indispensable, même lorsque le collège sera devenu réellement « inclusif ». Le savoir-faire souvent remarquable de leurs équipes enseignantes devrait être d'ailleurs mis à contribution par les ESPE. Aussi ne pourrait-on pas faire des EREA les plus en pointe des centres d'innovation et de formation sur la prise en charge d'élèves en grande difficulté ?