Intervention de Najat Vallaud-Belkacem

Réunion du 21 octobre 2014 à 21h30
Commission élargie

Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Je me réjouis de vous présenter un budget en augmentation – de plus de un milliard d'euros : ce n'est pas anodin. Il devient ainsi le premier budget de la nation. C'est une source de fierté pour tous ceux qui pensent que beaucoup se joue à l'école.

Les questions posées par le rapporteur spécial recouvrent nos ambitions pour l'école. Nous avons des réformes importantes à conduire cette année : réforme des programmes, réforme du collège, réforme de l'évaluation.

Tout démontre que l'une des raisons pour lesquelles notre système scolaire n'est pas suffisamment performant, c'est son déterminisme social, c'est le fait qu'il conforte les inégalités sociales plus qu'il ne les corrige. Il nous faut chercher jusque dans le moindre détail toutes les raisons qui expliquent ce déterminisme social, les raisons pour lesquelles on ne pousse pas, on n'encourage pas suffisamment les élèves. Ces raisons, nous les trouverons dans les programmes, dans le « socle » – ce qu'on veut que les élèves aient acquis à la fin de leur scolarité pour que cela leur soit vraiment utile dans la vie –, enfin dans la façon dont on les évalue.

Or une comparaison internationale montre vite que notre système de notation, « classant », est assez décourageant, ne permet pas de développer la confiance en soi, l'estime personnelle des élèves et conduit bien souvent à un échec intériorisé. Nous avons par conséquent décidé de lancer un vaste débat à ce sujet – un débat complexe qu'il ne faut surtout pas caricaturer – en nous y prenant d'une façon inédite puisque nous avons lancé une conférence nationale sur l'évaluation des élèves avec la mise en place d'une conférence de consensus, à savoir d'un jury composé de trente personnes : pour moitié des professionnels de l'éducation, enseignants ou non-enseignants, et pour moitié des usagers de l'éducation nationale, parents d'élèves ou lycéens. Elles seront amenées à se retrouver régulièrement, à auditionner des spécialistes, à se rendre compte par elles-mêmes des expérimentations menées ces dernières années pour noter, évaluer autrement, pour donner un autre sens à l'évaluation dans les procédures d'orientation, d'affectation, pour expliquer aux parents d'une autre manière ce que signifie l'évaluation. Ce jury de trente personnes me rendra ses recommandations au mois de décembre afin que je puisse, parallèlement à la réforme des programmes, réformer la façon dont on note.

En ce qui concerne le collège, il convient d'intervenir car les difficultés significatives que rencontrent de nombreux élèves à l'entrée de la classe de sixième ne font que s'aggraver ensuite et montrent que l'organisation n'y est peut-être pas optimale pour leur réussite. Le fonctionnement actuel du collège ne prend pas suffisamment en considération les difficultés des uns et des autres ; la pédagogie n'y est pas suffisamment différenciée et on a beaucoup de mal à « raccrocher » les décrocheurs. Aussi nous faut-il faire de cette étape de la vie scolaire des élèves français un moment où ils peuvent progresser et non pas conforter le retard pris à la fin de l'école primaire. C'est pourquoi nous allons lancer, dès le début de l'année 2015, une réflexion visant à mieux prendre en charge tous les élèves sans pour autant revenir sur le collège unique. Nous voulons un collège plus hétérogène pour que chacun soit pris en compte.

Pour ce qui est des programmes, je me contenterai de vous indiquer un calendrier puisque les nouveaux programmes ne sont pas encore définis, à l'exception de ceux de l'école maternelle, déjà proposés par le Conseil supérieur des programmes (CSP) et que j'adopterai pour qu'ils entrent en vigueur à la rentrée 2015. Les programmes du primaire et du collège seront à leur tour proposés par le CSP et je les adopterai pour la rentrée 2016.

Dès la rentrée 2014, nous allons adopter ce qui donne sens à chacun de ces programmes, à savoir le socle commun. Il s'agit d'une réforme majeure pour laquelle les enseignants ont été consultés. J'en profite pour redire à quel point il est important que les enseignants soient consultés sur ce que l'on souhaite que les élèves aient appris à la fin de leur scolarité obligatoire ; c'est la meilleure façon, en effet, pour les professeurs, de s'approprier ce qu'ils apprennent.

À notre demande, le Conseil supérieur des programmes va nous soumettre des propositions pour l'élaboration d'un parcours d'éducation artistique et culturelle présent tout au long de la scolarité et qui pourra entrer en vigueur à la rentrée 2015.

De la même manière, le fameux programme d'enseignement moral et civique qui, lui, vaudra pour le lycée, entrera également en vigueur à la rentrée 2015, après que le CSP aura livré ses propositions.

J'en viens au numérique. Le ministère de l'éducation partage évidemment les ambitions exprimées par le Président de la République. Contrairement à ce que j'ai pu lire, le numérique n'a pas vocation à remplacer les enseignants ; c'est bien sûr une formidable opportunité certes de moderniser nos pratiques pédagogiques mais surtout de s'adapter aux élèves, de mettre en oeuvre des pratiques différenciées qui permettent aux enfants d'une même classe d'avancer à une vitesse différente, de proposer des exercices de nature différente et d'être en interaction et donc de progresser en suivant son chemin personnel.

Au fond, les réformes que je viens de décrire – évaluation, programmes, numérique – ont vocation à faire réussir tout le monde. Nous sommes en effet persuadés que la réussite n'a pas de définition unique et que chacun peut progresser sur son chemin personnel.

Le numérique, censé rendre le système éducatif plus efficace, faire progresser l'égalité, sera introduit de façon systématique en 2016. Il ne s'agira pas seulement pour les élèves de disposer de tablettes mais, encore plus important, de former les enseignants à apprendre aux élèves le numérique ou à apprendre aux élèves par le numérique – on peut apprendre l'anglais, la géographie, les mathématiques par le numérique, moyen de rendre ces matières plus interactives et de faire en sorte que les élèves se les approprient mieux. Le numérique permettra de disposer d'une offre de ressource éducative intégrée dans les tablettes ; autrement dit, les manuels scolaires ne seront pas seulement « scannés » mais la tablette devra offrir des fonctionnalités interactives ludiques nouvelles. En outre, vous ne serez pas insensibles à la dimension industrielle du plan numérique puisque, par définition, ce plan permettra le soutien d'une filière alors que, vous le savez, l'offre anglo-saxonne progresse vite et fortement en la matière.

Vous avez par ailleurs évoqué le cas des enfants intellectuellement précoces. Là encore le système scolaire doit pouvoir s'adapter. Sachez que la circulaire de rentrée de cette année mentionne explicitement la nécessité d'accorder une attention particulière à ces élèves et invite à prévoir les aménagements pédagogiques nécessaires pour les accompagner dans de bonnes conditions. Les parents d'enfants intellectuellement précoces, au cas où l'établissement ne semble pas apporter la réponse adaptée à la situation, doivent se rapprocher des services académiques qui proposeront des solutions particulières. Nous allons mettre en place des ressources pour les enseignants qui s'occupent de ces élèves – je renvoie au site « Éduscol ».

L'une des nouveautés, depuis 2012, est bien la réintroduction de la formation des enseignants tant il est vrai qu'enseigner, cela s'apprend. Nous accueillons cette année 22 000 fonctionnaires stagiaires lauréats du concours. C'est un défi en tant que tel. On pourra toujours considérer que ce dispositif n'est pas totalement satisfaisant, mais je suis très fière que le Gouvernement ait réussi à installer dès la première année ces ESPE, quitte à devoir les améliorer ensuite. Nous avons souhaité les installer au sein des universités parce qu'il nous a semblé très important de les adosser à la recherche pour faire en sorte que les apprentis professeurs puissent très tôt dans leur carrière s'habituer à évaluer leurs pratiques, à voir évoluer leurs connaissances. Cette ambition rend forcément la tâche difficile. La plupart des fonctionnaires stagiaires sont en alternance dans des salles de classe. Nous faisons en sorte que les équipes des universités soient pluricatégorielles, les enseignants-chercheurs des UFR devant participer activement à l'activité de l'ESPE. Le dispositif prend corps et nous l'améliorons en permanence.

Nous avons voulu donner la priorité au primaire car nous pensons que c'est dès le plus jeune âge que les choses se jouent ; et les inégalités et les retards qui apparaissent alors sont ensuite très difficiles sinon impossibles à rattraper. Aussi, la plupart des postes créés, depuis 2012, l'ont été dans le primaire, le dispositif « plus de maîtres que de classes » a été mis en place, on préscolarise les enfants avant l'âge de trois ans. Enfin, cette priorité se traduit par la création de l'indemnité de suivi et d'accompagnement des élèves (ISAE), d'un montant annuel de 400 euros. Nous avons par ailleurs financé 10 000 contrats aidés très utiles au quotidien pour assister les directeurs d'école dans leurs tâches administratives et éducatives.

Vous m'avez demandé, monsieur le rapporteur spécial, quel type de collaboration pouvait être envisagé entre l'enseignement agricole et l'éducation nationale. Cette collaboration est d'ores et déjà étroite : certaines formations sont communes et nous cherchons à mutualiser les bonnes pratiques pédagogiques. Il est vrai, vous l'avez souligné, que l'enseignement agricole connaît un certain nombre de succès et nous souhaitons établir des passerelles entre les deux systèmes. Une convention de partenariat a été signée entre nos deux ministères et, sur le plan national comme sur le plan local, les rendez-vous sont réguliers et nous les associons à tout ce qui concerne la définition des certifications.

J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer l'éducation prioritaire en séance publique. La carte actuelle ne correspond pas forcément à la réalité de la difficulté sociale et mérite une actualisation. Ensuite, l'éducation prioritaire, qui existe depuis le début des années 1980, a donné des résultats mitigés. On pouvait en conclure soit que le principe n'était pas bon, soit que les moyens engagés se révélaient insuffisants. Nous optons pour le second terme de l'alternative. Nous changeons par conséquent la carte et engageons plus de 350 millions d'euros. Les moyens indemnitaires s'en trouveront renforcés pour que les équipes pédagogiques restent plus longtemps dans les établissements, la stabilité des équipes se révélant très importante pour la réussite des projets et des élèves. On formera ainsi davantage les enseignants au sein des établissements d'éducation prioritaire. Enfin, l'accompagnement jusqu'à seize heures trente sera renforcé dans les collèges pour les élèves de sixième afin qu'ils soient vraiment « tutorés ».

En ce qui concerne l'enseignement adapté, les SEGPA permettent vraiment aux élèves de bénéficier de conditions d'apprentissage adaptées à leurs besoins. Ces structures comportent un petit nombre d'élèves, seize au plus, et les enseignants sont des professeurs des écoles spécialisés. Les élèves découvrent le monde professionnel dès la classe de quatrième.

Vous avez raison, madame la rapporteure pour avis, ces structures ne doivent pas être fermées sur elles-mêmes. Je souhaite que l'on s'inscrive dans une logique d'inclusion et c'est pour cela que les élèves des SEGPA doivent pouvoir bien davantage qu'ils ne le font participer, aux côtés de leurs camarades du même âge des classes « ordinaires », à des cours ou des apprentissages qui réuniraient tous les élèves du collège, comme les activités artistiques, les activités physiques et sportives, la technologie.

Pour ce qui est de l'exigence du redoublement pour intégrer l'enseignement adapté, vous connaissez ma position générale : le redoublement va devenir exceptionnel parce qu'on sait qu'il ne constitue pas un moyen efficace de remédier aux difficultés. Il n'y a par conséquent pas de raison que le redoublement reste une condition pour entrer dans une structure d'enseignement adapté. J'ai demandé à mes services d'agir en conséquence.

Enfin, madame la rapporteure pour avis, vous avez évoqué les EREA dotés d'un internat. C'est pour moi l'occasion d'affirmer mon attachement aux internats. Je fais en sorte que dans le cadre du programme d'investissement d'avenir nous puissions en financer plus que par le passé. Les EREA ont une spécificité, un savoir-faire en matière d'encadrement pédagogique et éducatif qui doit pouvoir profiter à tout établissement qui accueille des élèves qui rencontrent les mêmes besoins que ceux des SEGPA.

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