La semaine dernière, la mission d'information sur la lutte contre l'insécurité sur tout le territoire adoptait son rapport, dont il vous revient désormais d'autoriser la publication.
Ce rapport est le fruit d'un travail débuté il y a un an. Depuis le 6 novembre 2013, nous avons procédé à une soixantaine d'auditions et de tables rondes. Le temps dont nous avons disposé nous a permis d'entendre les directeurs d'administration centrale du ministère de l'intérieur et de plusieurs autres ministères, les organisations syndicales de policiers nationaux et municipaux, des magistrats, des élus, des représentants des bailleurs sociaux, des acteurs de la médiation sociale et de la prévention spécialisée, des professeurs et des chercheurs, etc.
Notre mission s'est également rendue sur le terrain, à Paris, en Seine-Saint-Denis et dans les Yvelines, mais aussi en région, à Lille, à Marseille, à Montpellier, à Nice, à Orléans, à Rennes et en Saône-et-Loire. Ces visites nous ont permis de bénéficier de l'éclairage supplémentaire et précieux de nombreux acteurs de la sécurité publique : préfets, procureurs de la République, responsables des services déconcentrés de l'État et des collectivités territoriales, acteurs associatifs, etc. Je tiens bien évidemment à remercier aujourd'hui l'ensemble des personnes entendues par la mission pour l'aide qu'ils lui ont apportée.
Avant de présenter les principales propositions que nous formulons, permettez-moi de revenir un instant sur le champ de nos travaux. Conscients qu'il nous fallait le délimiter, nous avons fait le choix de consacrer une attention particulière à l'insécurité du quotidien, à la « délinquance de proximité », auxquelles les forces de sécurité comme la justice n'ont pas toujours les moyens de répondre de manière efficace. Nous avons donc exclu de notre réflexion certaines formes de criminalité et de délinquance, comme le terrorisme, la criminalité organisée ou encore la délinquance économique et financière. Nous n'avons pas non plus souhaité aborder de manière spécifique la question de la délinquance des mineurs car il nous est apparu que l'importance de ce sujet imposait d'y consacrer une réflexion propre, ce qui ne signifie toutefois pas que nous ne faisons pas état de certaines données en la matière. Nous n'avons pas davantage examiné le thème, très vaste, des causes sociologiques de la délinquance, même si nous demeurons convaincus que les politiques en matière d'éducation et d'emploi contribuent fortement à la prévention de la délinquance.
En revanche, nous avons souhaité faire porter la réflexion sur les moyens susceptibles d'être mobilisés pour mieux lutter contre l'insécurité non seulement dans les quartiers les plus touchés par le phénomène mais aussi sur l'ensemble du territoire. Aussi nous a-t-il semblé pertinent de ne pas limiter notre travail à une évaluation des zones de sécurité prioritaires (ZSP). Ces dernières apparaissent certes comme une réponse adaptée à la délinquance enracinée et comme le « laboratoire » d'une politique partenariale de sécurité repensée (la coproduction de sécurité) mais ne sauraient toutefois résumer à elles seules la politique de sécurité publique conduite par l'actuelle majorité.
Guidée depuis le commencement de nos travaux par la conviction que l'amélioration de la lutte contre l'insécurité suppose une approche globale, allant de la prévention de la délinquance à la sanction judiciaire, nous formulons soixante propositions sur des thèmes aussi différents que l'organisation des forces de sécurité sur le territoire et l'amélioration des liens qu'elles entretiennent avec la population, les polices municipales, la prévention de la délinquance, la réponse pénale ou encore la sécurité privée qui, forte de 150 000 agents, apparaît de plus en plus comme un acteur majeur de la sécurité.
Je voudrais rappeler que la mission a connu, à l'été, un épisode regrettable. En effet, les membres du groupe UMP ont fait le choix de démissionner et ont, pour expliquer leur décision, invoqué le changement d'affectation du général Bertrand Soubelet, ancien directeur des opérations et de l'emploi de la gendarmerie nationale, qu'ils ont interprété comme la sanction d'une parole trop « libre » devant la mission lors de son audition le 18 décembre 2013. Je tiens à remercier M. Philippe Goujon, ancien vice-président et co-rapporteur, avec qui j'ai travaillé de manière cordiale et efficace et qui a participé activement aux travaux de la mission. Je reste convaincu que la réflexion sur l'amélioration de la politique de sécurité publique implique la participation de tous les courants politiques et qu'un consensus républicain – à tout le moins un consensus a minima – serait nécessaire sur les questions de sécurité alors même que la lutte contre l'insécurité est l'objectif – légitime – de toutes les majorités politiques.
Quoi qu'il en soit, je souhaite que les soixante propositions que formule la mission – dont peu appellent l'intervention du législateur – puissent trouver une traduction concrète dans les meilleurs délais. Je souhaiterais vous en présenter quelques-unes.
Avant toute chose, il nous est apparu indispensable de rappeler à quel point la poursuite des créations d'emplois dans la police, la gendarmerie et la justice et l'amélioration des conditions matérielles de travail des personnels étaient fondamentales. Comme l'a souligné M. Alain Bauer, l'État doit être cohérent : soit il dégage les moyens financiers nécessaires soit il recourt à la décentralisation, ce que nous ne souhaitons pas, pas plus que la reprise par la sécurité privée ou les polices municipales des missions de l'État.
Dans le domaine de l'organisation et de l'emploi des forces de sécurité, nous formulons différentes propositions visant à mieux adapter le service public de la sécurité aux réalités des territoires. Nous souhaitons par exemple que les critères de répartition des effectifs de la police et de la gendarmerie évoluent afin de mieux tenir compte des niveaux de la délinquance constatés. Nous recommandons également, s'agissant de la police nationale, que l'organisation territoriale de la sécurité publique soit simplifiée, dans le but de renforcer la présence des effectifs sur la voie publique. Enfin, nous souhaitons que l'effort de mutualisations entre les deux forces s'intensifie, notamment en matière de police technique et scientifique, sans aller jusqu'à la fusion, évoquée par certains syndicats de la police nationale.
Nous avons constaté que les ZSP, aujourd'hui au nombre de quatre-vingts, ont permis une évolution remarquable des méthodes de travail des forces de sécurité, se traduisant par la concentration des moyens et la fixation, au plan local, d'un nombre restreint d'objectifs mais aussi par un décloisonnement entre les services (police, gendarmerie, douanes, finances publiques…) et par le développement d'initiatives visant à rapprocher les forces de sécurité de la population. Nous souhaitons donc que ces bonnes pratiques puissent être exportées vers le reste du territoire. Nous formulons par ailleurs différentes propositions pour améliorer le dispositif des ZSP, en particulier pour renforcer le rôle des maires, dont nous souhaitons qu'ils puissent, lorsqu'ils le souhaitent, participer à la cellule de coordination opérationnelle des forces de sécurité intérieure et qu'ils copilotent les cellules de coordination opérationnelle du partenariat, compétentes pour les actions de prévention de la délinquance.
S'agissant des polices municipales, la mission a tenu à faire part de son soutien à la disposition introduite par la proposition de loi sénatoriale, votée en première lecture au Sénat le 16 juin 2014, relative à la fusion, dans un même cadre d'emplois, des emplois de policiers municipaux et de gardes champêtres. Nous considérons par ailleurs que le renforcement de l'efficacité de l'action de ces polices – qui emploient à ce jour 20 000 personnes à l'échelle nationale – passe aussi par l'amélioration de leur coopération avec les forces de sécurité nationales et la consolidation de la formation de leurs agents. C'est pourquoi nous proposons, entre autres, la diversification du catalogue des formations ainsi que l'organisation de la formation continue suivant un rythme triennal et non plus quinquennal.
Notre mission est convaincue que la progression de la lutte contre l'insécurité suppose aussi de recréer du lien entre les personnels du service public de la sécurité et la population afin de remédier à la rupture que les syndicats de la police nationale ont, à maintes reprises, pointée du doigt. Améliorer la formation continue des personnels pour leur permettre de mieux connaître leur environnement ; renforcer la présence de nos forces de sécurité sur les réseaux sociaux et l'interaction numérique entre la police et la gendarmerie, d'une part, et nos concitoyens, d'autre part ; prolonger l'action engagée en faveur de la prise en charge des victimes en poursuivant le déploiement d'intervenants sociaux dans les commissariats de police et les brigades de gendarmerie sont autant de pistes qui doivent guider l'action des pouvoirs publics.
Dans le domaine de la prévention de la délinquance, nous appelons de nos voeux une gouvernance plus cohérente, prenant mieux en compte le rôle central des maires au niveau local. Nous recommandons également des mesures visant à consolider la médiation sociale et à promouvoir la prévention spécialisée, celle-ci souffrant actuellement d'une crise des vocations des éducateurs et du désengagement financier des départements. Afin de faciliter la participation des procureurs de la République à la politique de prévention de la délinquance, il serait souhaitable de placer auprès d'eux des chargés de mission dédiés à la mise en oeuvre des différentes actions partenariales dans ce domaine. Nous proposons également le doublement des crédits du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), actuellement de l'ordre de 50 millions d'euros, grâce à l'augmentation de la part des amendes routières qui y est affectée et au développement de nouvelles sources de financement : nous proposons ainsi qu'une partie de la contribution sur les activités privées de sécurité serve à financer la politique de prévention de la délinquance par l'intermédiaire du FIPD. Je rappelle que le secteur de la sécurité privée emploie 150 000 agents et que son chiffre d'affaires s'élève à plus de six milliards d'euros. La contribution, qui est assise sur le chiffre d'affaires des entreprises de sécurité privée et dont le taux est de 0,5 %, a rapporté en 2013 28 millions d'euros. La moitié environ est affectée au Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) et l'autre moitié est reversée au budget général de l'État. La part affectée au CNAPS est supérieure à son besoin de financement ; ce « trop-perçu », ainsi que la part reversée au budget général de l'État, pourraient être affectés au FIPD, ce qui permettrait une montée en puissance de la politique de prévention de la délinquance, dans le cadre de la nouvelle stratégie nationale 2013-2017.
Enfin, nous formulons quelques propositions destinées à adapter la réponse pénale dont la grande majorité des policiers, des gendarmes et des magistrats que nous avons rencontrés nous ont dit qu'elle n'était pas toujours efficace face à certaines formes de délinquance.
Ainsi, il nous semble tout d'abord nécessaire de rendre juridiquement et matériellement possible le recours à la procédure de l'amende forfaitaire – procédure rapide et efficace – pour sanctionner les contraventions de la cinquième classe. Le cadre légal existe depuis l'entrée en vigueur de la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles mais la publication du décret n'est pas intervenue à ce jour, en raison de l'existence de désaccords entre les ministères de l'intérieur et de la justice sur un certain nombre de points. Il serait souhaitable que ces blocages puissent être rapidement surmontés afin que la disposition votée par le Parlement trouve une application concrète.
Ensuite et toujours dans le but de favoriser la rapidité et, par là même, l'efficacité de la réponse pénale et de désengorger, en partie, les tribunaux, nous proposons la contraventionnalisation de certaines infractions qui font aujourd'hui l'objet de peines délictuelles et dont le régime des poursuites comme la nature de la sanction sont, de l'avis de nombreux praticiens, inadéquats.
Ainsi, nous appelons de nos voeux, à l'instar de la commission de modernisation de l'action publique présidée par M. Jean-Louis Nadal – dont le rapport a été remis à Mme la garde des Sceaux en novembre 2013 –, la transformation en contraventions de la cinquième classe de la première occurrence des infractions de conduite sous l'empire d'un état alcoolique, de conduite sans permis de conduire ou malgré sa suspension et de défaut d'assurance. Ces infractions qui représentent plus du tiers des délits sanctionnés – 135 000 condamnations environ pour la seule conduite sous l'empire d'un état alcoolique – nécessitent, dans leur immense majorité, la rédaction d'une procédure complète par un policier ou un gendarme, un appel à la permanence du parquet en vue d'une décision d'orientation, une transmission de la procédure au bureau d'ordre et, selon le cas, un audiencement devant le tribunal correctionnel ou la mise en oeuvre de la procédure d'ordonnance pénale, de composition pénale ou de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Or, comme le rapport sur la refondation du ministère public le rappelait fort justement, la grande majorité des infractions routières traitées par les parquets sont des affaires simples, dont l'élucidation ne pose pas de difficulté et pour lesquelles l'administration de la preuve de la culpabilité est généralement aisée. Voilà pourquoi il nous semble que ces infractions pourraient utilement être sanctionnées par la voie d'une amende contraventionnelle forfaitisée. Je précise que la répétition de ces infractions resterait passible de peines délictuelles, en l'occurrence les peines prévues à ce jour en cas de primo-condamnation.
Par ailleurs, nous sommes favorables à la contraventionnalisation de l'infraction d'occupation illicite des parties communes des immeubles, qui est une véritable nuisance pour les habitants des immeubles concernés et qui alimente fortement le sentiment d'insécurité. La loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, modifiée par la loi du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public, n'a pas, dans ce domaine, donné de résultats probants. Nous le savons, la réponse pénale actuelle est largement inopérante et les peines prévues – deux mois d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende – sont, dans les faits, très rarement prononcées. C'est pourquoi faire de cette infraction – dès lors qu'elle n'est accompagnée d'aucune autre activité prohibée – une contravention de la quatrième classe, dont le montant serait forfaitisé, rendrait la sanction plus rapide et, en quelque sorte, plus certaine, et contribuerait sans doute également à rassurer les habitants des quartiers concernés quant à la réalité de la répression. Cette proposition a l'assentiment des bailleurs sociaux comme des policiers et des gendarmes.
Même si nous avons souhaité faire porter le champ de nos travaux sur les moyens d'améliorer la politique de sécurité publique, notre rapport aurait été incomplet s'il n'avait pas abordé la question de la sécurité privée. Aussi avons-nous formulé quelques propositions dans ce domaine, destinées à poursuivre le mouvement de professionnalisation d'un secteur qui demeure encore trop peu régulé. Des dispositions législatives seraient, en la matière, nécessaires.
Pour conclure, nous espérons que nos propositions contribueront à la définition d'une politique de sécurité publique repensée, fondée sur une approche partenariale renouvelée. Nous pourrons ainsi progresser pour améliorer la sécurité de nos concitoyens sur tout le territoire. Enfin, je voudrais remercier les membres de la mission qui ont travaillé de longs mois sur le sujet.
Le 25/10/2014 à 11:54, président.FNGC (Pdt de la FNGC) a dit :
Bonjour Monsieur le Député,
la Fédération Nationale des Gardes Champêtres (FNGC) se réjouit de votre analyse et attends avec une certaine impatience la programmation du projet de fusion des Gardes Champêtres et des policiers municipaux à l'Assemblée Nationale... Nous sommes heureux de lire qu'une complémentarité est recherché entre les forces de sécurité de l'Etat et les "polices municipales et rurales". Il est en effet regrettable que dans les zones rurales, il n'existe plus de lien aussi étroit avec la Gendarmerie nationale et les Gardes Champêtres, notamment dans le cadre du renseignement, préalable de la sécurité publique et de la sécurité intérieure du pays. Enfin, il est évident que notre formation doit évoluer et le CNFPT doit anticiper nos besoins également dans le cadre de la police de l'environnement depuis l'ordonnance de 2012 élargissant nos attributions. Bien cordialement J-A
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