Intervention de général Jean-Pierre Bosser

Réunion du 15 octobre 2014 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

général Jean-Pierre Bosser, chef de l'état-major de l'armée de terre :

Certains d'entre vous me connaissent, puisque j'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer devant la délégation parlementaire au renseignement et devant la représentation nationale, en tant que directeur de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD).

Ayant pris mes fonctions actuelles depuis quarante-cinq jours, je m'en tiendrai à une présentation synthétique de la manière dont je perçois cette armée, au moment où je prends mon commandement.

Qu'il me soit d'abord permis de rendre hommage à mon prédécesseur, le général d'armée Bertrand Ract Madoux. Le mérite du constat positif que je dresse sur l'armée de terre lui revient en grande partie. Il a réussi notre retrait d'Afghanistan avec deux semestres d'avance, l'intervention aéroterrestre au Mali et le déploiement de la force Sangaris en République centrafricaine. Je salue la clairvoyance de ses choix en matière de préparation opérationnelle, mission majeure du chef de l'état-major de l'armée de terre, et l'énergie qu'il a déployée pour doter l'armée de terre des équipements dont elle a besoin.

La portée des enjeux ainsi que les risques que courent nos soldats et, de plus en plus, nos concitoyens justifient la tonalité grave de mes propos. Celle-ci traduit le niveau d'exigence qui m'anime et le désir d'une transparence totale vis-à-vis de vous. Nous partageons la même ambition pour la France et le même objectif pour nos armées.

Celles-ci étant plus que jamais au coeur du débat national, nous devons nous assurer qu'elles pourront continuer à être à la hauteur des enjeux sécuritaires de notre pays. Pour ce qui est de l'armée de terre, vous pouvez être sûrs de ma détermination.

Je vous remercie d'inviter une nouvelle fois le chef de l'état-major de l'armée de terre à vous faire part de son analyse sur l'adéquation entre les ressources mises à la disposition de l'armée et la mission qui lui est confiée.

La loi de programmation militaire (LPM) offre le meilleur point d'équilibre possible entre l'indispensable redressement des comptes publics et la nécessité de conserver une défense forte. L'économie générale du texte, en cohérence avec les ambitions stratégiques de la France, repose sur des hypothèses de ressources volontaristes et innovantes – le ministre de la Défense a évoqué le rôle potentiel de sociétés de projets –, ainsi que sur des équilibres budgétaires fragiles. Dans un contexte économique qui se durcit, la nation consent un effort réel pour la période 2015-2019.

Dans l'attente d'un retour à meilleure fortune, la LPM peut venir renforcer la tension sur les finances publiques et contrarie parfois le plan d'économies de l'État. Reste que la concrétisation de l'effort de défense passe par un respect scrupuleux des équilibres instaurés par la LPM, le rendez-vous des capacités militaires avec les besoins opérationnels étant un enjeu commun aux armées. À cet égard, je salue le rôle capital joué par les membres de votre commission.

L'année 2015 est un jalon essentiel pour la défense, particulièrement pour l'armée de terre. Les politiques menées devront respecter une trajectoire de ressources tendue, dont dépend la préservation des intérêts de sécurité et de défense. En concrétisant les priorités affichées, en matière de renouvellement des équipements aéroterrestres et de capacité de remontée de l'activité opérationnelle, l'année 2015 doit permettre à l'armée de terre d'atteindre les objectifs fixés par le Livre blanc, tout en répondant aux enjeux opérationnels du moment. Toutefois, l'amélioration des conditions d'exercice du métier et la réussite de la déflation des effectifs constituent deux défis majeurs d'ici à 2019.

Mon propos portera d'abord sur les missions et les engagements de l'armée de terre, puis sur les moyens qui lui sont nécessaires, enfin sur le moral de l'armée de terre.

L'état du monde valide de manière assez dramatique l'analyse stratégique du Livre blanc. La situation géopolitique confirme la nécessité de disposer de moyens militaires complets et cohérents, à même de dissuader d'éventuels agresseurs, de défendre ou de protéger nos concitoyens, et d'intervenir rapidement en cas de crise. Ce constat nous conforte dans le choix d'un modèle d'armée équilibré, reposant sur la complémentarité des composantes terrestres, aériennes et navales. La conjugaison des moyens et de leur emploi combiné sur le terrain permet à nos forces de couvrir tout le spectre des opérations, comme l'attestent les opérations Barkhane et Sangaris. Les équilibres internes entre les capacités offrent aux autorités politiques la liberté de choisir parmi plusieurs opérations militaires différenciées la réponse la mieux adaptée.

Je ne détaillerai pas les principaux fronts d'insécurité auxquels notre pays fait face. Le ministre de la Défense les a répartis en trois catégories : les menaces de la force, qu'on voit ressurgir en Europe, les risques de la faiblesse – qui alimentent le chaos en RCA ou en Libye -, et le terrorisme transnational, qui expose directement la France et l'Europe aux plus grands dangers.

La réalité de nos engagements opérationnels et l'évolution des menaces m'amènent à quatre constats qui orienteront mes choix en matière d'efforts à maintenir et d'inflexions à apporter dans les domaines de l'entraînement, des équipements et de l'organisation de l'armée de terre.

Premier constat : l'armée de terre contribue de façon globale à la défense et à la sécurité des Français, parce qu'elle dispose d'une gamme complète de capacités complémentaires et polyvalentes, ce qui lui permet de couvrir l'ensemble du spectre stratégique. Ses capacités conventionnelles crédibilisent la force de frappe nucléaire et constituent en quelque sorte un premier échelon de dissuasion. Quelque 12 000 soldats de l'armée de terre assurent la protection de nos concitoyens en remplissant des missions de sécurité intérieure, de sécurité civile et de service public en plus du contrat opérationnel qui prévoit un engagement de 10 000 hommes sur le territoire national. Actuellement, 12 000 hommes sont déployés hors de métropole, dont plus de la moitié en opérations extérieures, sur une force que le Livre blanc établit, pour 2019, à 66 000 hommes projetables. En réalité et au quotidien, ce sont près de 22 000 soldats et plus de 3 000 matériels majeurs qui sont placés tous les quatre mois en posture opérationnelle.

Deuxième constat : l'urgence s'impose désormais comme une probabilité commune de nos interventions, ce qui implique une capacité réactive de mobilisation et de mise en mouvement de nos forces. Le déclenchement de l'opération Harmattan s'est traduit par l'appareillage en quatre jours et sans préavis de dix-huit hélicoptères de combat sur le bâtiment de projection et de commandement (BPC) Tonnerre. Lors de l'opération Serval, quelques heures après l'ordre présidentiel, les unités prépositionnées en Afrique ont convergé vers le Mali, pour repousser dès le lendemain les forces djihadistes, avec les forces spéciales et l'armée de l'air. La liberté d'action et la réactivité, qui permettent à la France d'agir partout avec ses forces terrestres, reste un atout de premier ordre et un facteur de puissance qui nous singularise. Notre dispositif outre-mer et à l'étranger, ainsi que notre dispositif d'alerte Guépard, intégré depuis septembre à l'échelon national d'urgence décrit dans le Livre blanc, joueront un rôle crucial dans cette réactivité. Il faut donc les préserver.

Troisième constat : au durcissement des opérations militaires répond une exigence individuelle et collective de protection de la force et des hommes. Je veux à cette occasion saluer le courage et le dévouement dont nos soldats témoignent quotidiennement, comme ils l'ont fait cette nuit encore, en Centrafrique. Sur tous les théâtres d'opération, ils exécutent leur mission avec le sens du devoir que vous leur connaissez.

La première protection de nos combattants tient à la qualité de leur préparation opérationnelle, dont le niveau d'exigence conditionne l'aptitude à faire face à la diversité des situations et à la brutalité des combats. Ce fut le cas au Mali, dans l'Adrar des Ifoghas. L'opération Sangaris les met chaque jour face à des hommes déterminés. Ce sont l'entraînement, l'aguerrissement et l'expérience qui permettent aux soldats français de conserver l'avantage tactique et de surclasser les forces morales de l'adversaire.

La deuxième protection des combattants est la qualité des équipements. Entre 2008 et 2013, 109 véhicules terrestres ont subi des dommages de guerre lourds, dont la moitié par engins explosifs improvisés (Improvised Explosive Device, IED), et dix-huit hélicoptères ont été touchés par des tirs directs. Le 11 mars 2014 au Mali, nos soldats sont sortis indemnes d'une attaque par explosifs parce qu'ils étaient embarqués à bord d'un engin blindé.

Quatrième constat, s'il est prématuré de parler de rupture ou de surprise stratégique, je suis convaincu que nous assistons à une dégradation brutale de la sécurité nationale et internationale. La menace terroriste devenue transnationale fait tache d'huile. Elle modifie la nature des dangers qui pèsent sur la France et l'Europe. Elle accroît l'ampleur des défis à relever. Dans la bande sahélo-saharienne, l'ennemi contre lequel se bat la force Barkhane s'affranchit des frontières, du sud de la Libye aux confins de la Mauritanie. Au Levant, Daech ne constitue pas qu'un groupe terroriste, mais une armée de 25 000 djihadistes qui manoeuvrent et poursuivent des objectifs stratégiques, en affichant leur volonté expansionniste. Plus de 1 000 combattants européens enrôlés dans ses rangs sont revenus dans l'espace Schengen. Ma connaissance du sujet me persuade de la nécessité d'intégrer dans notre réflexion le retour sur le sol national d'une menace qui pendant les vingt dernières années restait confinée à l'extérieur. On ne peut exclure l'hypothèse que cette menace agisse en utilisant des modes d'action militaires et se concrétise par des actions armées contre des militaires. La nature des opérations et l'envergure des défis sécuritaires inscrivent désormais – de manière durable – l'action militaire hors et à l'intérieur de nos frontières. Ce constat conforte le contrat opérationnel de l'armée de terre, qui est réaliste et structurant. Son corollaire est qu'il faut entretenir à son meilleur niveau une capacité d'action terrestre, réactive et apte au combat de contact alors qu'elle est déjà éprouvée par deux décennies d'opérations et qu'elle ne bénéficie pas toujours des niveaux de ressources pour s'entraîner et se moderniser au rythme prévu.

La deuxième partie de mon propos portera sur les équipements et la remontée de l'activité opérationnelle.

Le PLF pour 2015 concrétise les efforts de renouvellement des équipements aéroterrestres et de remontée de l'activité opérationnelle, dans la limite des incertitudes qui planent encore sur le budget. Les prochaines années doivent nous permettre d'achever le renouvellement de la gamme d'équipements – véhicules de l'avant blindé (VAB), AMX 10RC, Gazelle et Puma – entrés en service dans les années 1970, quand il s'agissait de répondre aux besoins de la Guerre froide. Depuis 2005, l'arrivée de nouveaux équipements renforce incontestablement la capacité opérationnelle de l'armée de terre. Le système fantassin à équipements et liaisons intégrés (FELIN) fait de notre infanterie une des plus modernes du monde. Le déploiement des véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) en RCA et leur engagement immédiat en opérations confirment l'extraordinaire plus-value tactique de ce matériel, avérée au Mali, en Afghanistan et au Liban. Le camion équipé d'un système d'artillerie (CAESAR) offre à nos forces des capacités d'appui mobiles et rapides, fortement sollicitées en Afghanistan et au Mali. Les cinq premiers lance-roquettes unitaires (LRU) livrés au premier régiment d'artillerie de Belfort donnent à la France une capacité de frappe ciblée à 70 kilomètres de distance, quelles que soient les conditions météorologiques. L'hélicoptère Tigre s'est imposé comme une pièce maîtresse d'appui feu dans nos engagements en Afghanistan, en Libye, en Somalie et dans la bande sahélo-saharienne. Enfin, en matière d'équipements, je ne veux pas oublier la commande, en 2013, du missile moyenne portée (MMP), successeur du Milan.

L'année 2015 confirme la dynamique positive en faveur de l'armée de terre, notamment grâce à la fin du plan d'équipements VBCI et FELIN, et la poursuite de l'arrivée des hélicoptères de nouvelle génération Tigre HAD et Caïman. La pertinence des choix capacitaires est confirmée par l'épreuve des opérations. Nous n'avons jamais connu d'échec ni d'impasse dans nos choix programmatiques, au contraire. Cela m'amène à saluer la performance de notre industrie d'armement terrestre, qui associe, à des industriels innovants, des armées exigeantes et une DGA compétente. Nos choix capacitaires privilégient une gamme de moyens médians et compacts, reposant sur un compromis mobilité-projection-protection parfaitement adapté aux opérations actuelles. Ce bilan positif ne doit pas masquer les conséquences de trois ans d'économies. Les reports de commandes et de livraisons étirent la période de recouvrement entre deux générations de matériels, ce que j'estime regrettable pour plusieurs raisons.

D'un point de vue opérationnel, nous sommes contraints d'employer des équipements d'anciennes générations parvenus à leur point limite d'évolutivité. Le VAB, conçu en 1970 pour une charge utile de douze tonnes, en porte seize dans sa dernière version dite à dessein Ultima. Autrement dit, on arrive aux limites de l'engin.

D'un point de vue économique, l'allongement de la période de recouvrement représente un surcoût majeur, tant humain que financier. Les matériels modernes n'ayant rien à voir avec les anciens, la coexistence des parcs de nouvelle génération et des parcs anciens impose d'assurer la permanence et la concomitance des soutiens. La bonne maîtrise du vieillissement de ces matériels hors d'âge, qui devra être assurée pour encore une quinzaine d'années, a un coût qui devient prohibitif. C'est pourquoi il est capital de respecter la LPM, qui prévoit, fin 2015, le lancement de nos programmes prioritaires. Tout le monde a les yeux fixés sur la première étape du programme Scorpion, indispensable au renouvellement du combat de contact, notamment sur le segment médian. Cette notification devrait intervenir dans les prochaines semaines.

Ne nous cachons pas cependant, que, avec la LPM 2014-2019, nous serons loin d'atteindre l'objectif capacitaire du programme Scorpion. La première étape prévoit la livraison de 92 véhicules blindés multirôles (VBMR) sur 980, de quatre engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) sur 110 et la rénovation de 12 Leclerc sur les 200 initialement prévus. Il faudra donc faire preuve d'un volontarisme budgétaire répété, année après année, pour pouvoir projeter en 2021 un groupement tactique interarmes sur VBMR, et disposer en 2023 d'une première brigade interarmes SCORPION projetable. En 2015, interviendront deux opérations majeures. La première concerne la mobilité des forces spéciales, avec le lancement d'un programme de véhicules destinés à remplacer les P4 et les véhicules légers de reconnaissance et d'appui (VLRA). La seconde a trait au successeur du système de drone tactique intérimaire (SDTI), qui sera à bout de souffle en 2017 et qu'il faut songer à remplacer pour éviter une rupture capacitaire. La nécessité, déjà avérée en Afghanistan, de disposer de drones tactiques se confirme dans la bande sahelo-saharienne. Il s'agit en effet de compléter la gamme de drone MALE dont les priorités d'emploi de niveau stratégique ne permettent de couvrir qu'à hauteur de 20 % les besoins vitaux en renseignement du chef tactique. Les obsolescences incompatibles avec le maintien en service du SDTI au-delà de 2017 nécessitent le lancement de son successeur dès 2015, pour lequel le financement est programmé.

Pour la première fois depuis cinq ans, la LPM laisse espérer une remontée de l'activité opérationnelle, grâce à une augmentation du budget consacré à l'entretien programmé des matériels (EPM) terrestres et aéroterrestres, conformément à l'objectif que s'était fixé le général Ract Madoux. Une hausse de 9 % est prévue pour l'entretien des matériels terrestres et de 7 % pour les matériels aéroterrestres. L'augmentation de l'EPM doit s'inscrire dans la durée, afin de faciliter ou d'accélérer la remise en condition – la « régénération » – des matériels de retour d'Afghanistan et du Mali. À ce jour environ 1 500 engins rentrés d'Afghanistan et du Liban et 500 du Mali doivent être remis en état dont notamment 620 VAB, dont la moitié provient des régiments d'infanterie. Pour les intégrer dans leur chaîne de remise en condition, nos industriels ont besoin d'une visibilité sur deux à trois ans. Sur les 620 VAB, que j'ai mentionnés, seulement 102 ont rejoint les forces après avoir été remis en condition.

L'armée de terre a pu répondre, grâce à son niveau d'entraînement, à une période de fort engagement. Pour l'heure, le capital d'expérience constitué en opération compense les insuffisances dues à nos faibles ressources en matière d'instruction et d'entraînement. La LPM prévoit quatre-vingt-dix journées de préparation opérationnelle et 180 heures de vol pour les pilotes, hors simulation ; ces niveaux ne sont pas atteints. C'est pourquoi nous prenons certaines mesures, dont une, emblématique, touche tous les théâtres d'opérations : l'armée de terre a réparti ses équipages entre trois familles. Si le premier rang, représentant 60 % des personnels, est prêt à être engagés dans une opération, les deuxième et troisième rangs requièrent une remise à niveau pouvant durer six mois à un an. De même, toutes les troupes aéroportées n'effectuent pas le nombre minimal de six sauts par an, entraînant des difficultés pour répondre aux besoins de l'échelon national d'urgence. La préparation est un enjeu capital car au combat le niveau d'entraînement du soldat participe autant que son casque et que son gilet de protection à sa sauvegarde. Les incertitudes classiques qui pèsent encore sur la fin de gestion 2014, donc sur l'exercice budgétaire 2015, m'incitent à une certaine prudence.

Ne voulant pas vous laisser penser, de manière un peu naïve, que tout va bien dans l'armée de terre, je consacrerai la dernière partie de mon exposé au moral des soldats, qui m'importe pour des raisons tant opérationnelles qu'humaines : c'est un enjeu capital. Je veux le redresser en métropole pour l'amener au niveau que l'on rencontre sur les théâtres d'opérations extérieures. Les soldats que l'on voit sur le terrain, heureux d'exercer leur métier, ont souvent un moral beaucoup plus moyen, voire fragile, quand on les retrouve quatre mois plus tard dans leur garnison. Cette lente érosion, qui se confirme d'année en année, tient d'abord au manque de visibilité sur l'avenir, imputable à l'empilement des réformes comme à la dégradation des conditions de vie et d'exercice du métier. C'est à travers leurs conditions de travail que les personnels de l'armée de terre – dont 70 % sont sous contrat – apprécient la reconnaissance de la Nation et la solidité de son lien avec les armées.

Ne vivant pas bien le présent et ne pouvant se projeter dans l'avenir, nos soldats doutent de la pertinence des réformes, qui leur semblent imposées par un mode technocratique et dictées par des enjeux économiques de court terme. Ils s'interrogent sur leur devenir professionnel, personnel et familial, faute de posséder une vision pluriannuelle du volume de déflation. Le point positif est que nos hommes éprouvent encore le besoin de faire remonter cette inquiétude par la voie du commandement, dont ils reconnaissent la légitimité et sur lequel ils savent pouvoir s'appuyer pour porter l'intérêt collectif.

L'état de l'infrastructure illustre parfaitement les difficultés que rencontrent nos hommes. Le soldat de l'armée de terre vit au quotidien, jour et nuit, en caserne. Le quartier constitue son environnement, sa maison, sa chambre. Or les crédits d'entretien et de maintenance ont baissé ces quatre dernières années, pour atteindre aujourd'hui le seuil d'un euro par mètre carré… Fin 2013, au lendemain d'une visite dans un régiment l'Île-de-France, le ministre a déclenché un plan d'urgence pour améliorer les conditions de vie et de travail. Ce plan a permis de recenser 700 points noirs, dont la moitié concerne les formations de l'armée de terre. Les difficultés persistant en matière de soutien et d'infrastructure tirent vers le bas un moral fragilisé par les dysfonctionnements du système LOUVOIS et cristallisent le ressentiment contre la réforme. Une des préoccupations majeures du chef de l'état-major des armées est d'améliorer, au-delà du niveau de ressources, la gouvernance du soutien. Nous avançons avec lui pour résoudre ce problème, dont dépend en partie l'adhésion de la communauté militaire au changement.

Les dysfonctionnements du logiciel LOUVOIS ont touché 59 000 militaires de l'armée de terre, autrement dit un « terrien » sur deux, et parfois plusieurs fois durant la même année. On imagine les dégâts causés sur le plan du moral et de la confiance dans l'administration. Les difficultés familiales engendrent des situations de stress prononcé, surtout quand le militaire, engagé dans une OPEX, est éloigné de sa base arrière. Je mesure chaque jour les effets destructeurs que produit ce système d'information encore instable. Le ministre de la Défense en a fait une affaire personnelle et mobilise toute son administration pour résoudre ce problème. Le centre expert des ressources humaines et de la solde (CERHS) de la direction des ressources humaines de l'armée de terre est passé de 300 à 700 personnes, grâce à l'arrivée de 128 militaires, de 257 vacataires et de 10 réservistes. Il traite en priorité les victimes des moins-perçus. Je tiens d'ailleurs à saluer le travail remarquable des agents et des militaires, auxquels j'ai rendu visite lundi dernier.

Enfin concernant les déflations, si l'armée de terre était habituée à des réductions d'environ 3 000 postes, celles-ci seront d'environ 4 000 en 2015, soit une augmentation d'un tiers. À cet égard, la LPM fixe des objectifs non pour 2019 mais pour 2018, ce qui nous oblige à avancer sur quatre temps au lieu de cinq. L'objectif de dépyramidage, qui touche prioritairement les officiers, se heurte à des questions d'acceptabilité et de faisabilité. Beaucoup de départs anticipés ayant été sollicités ces dernières années, il ne reste plus guère de réserve pour réaliser nos objectifs, d'autant que les officiers jouent un rôle moteur dans l'acceptation de la réforme par leurs hommes. Quoi qu'il en soit, nous devrons dynamiser encore notre politique d'aide aux départs volontaires, et identifier, sélectionner et accompagner nos jeunes plus qu'aujourd'hui vers le départ. Au moment où je vous parle, et compte tenu de ma présence devant vous, j'ai demandé à mon adjoint, le général Bertrand Houitte de La Chesnais, d'aller annoncer aujourd'hui à Châlons-en-Champagne les mesures de restructuration qui touchent l'armée de terre, à commencer par la dissolution, à l'été 2015, de la 1ère brigade mécanisée et de son régiment d'artillerie de marine. Je me rendrai sur place vendredi matin.

J'ai reçu pour mission de présenter au ministre, avant la fin de l'année, un projet pour la future armée de terre, visant à donner de la visibilité à nos hommes au moins jusqu'en 2020. Le général Ract Madoux avait pensé, à juste titre, pouvoir franchir la LPM 2014-2019 à partir du modèle reconfiguré en 2008, mais la déflation actuelle ne nous permettra pas de conserver la maquette de 2008, d'où l'importance de créer un nouveau modèle. Il faut une architecture plus lisible et plus pérenne, une chaîne de commandement plus simple et plus verticale, qui s'appuie sur cinq pôles d'excellence que sont les ressources humaines, la maintenance logistique, les forces classiques, les forces spéciales et notre expertise au profit du territoire national. L'étape suivante consistera à proposer les grandes lignes consolidées de cette armée de terre nouvelle au chef d'état-major des armées et au ministre de la Défense. J'aurai besoin de votre soutien pour porter ce projet, il en va de notre responsabilité commune de conserver pour la France une armée de terre à la hauteur de son besoin.

Mesdames, messieurs les députés, nous portons le même regard sur la qualité de l'engagement de nos soldats. Vous partagez ma fierté quand vous voyez nos hommes sur le terrain. Je vous remercie de l'attachement que vous leur témoignez par vos visites et vos paroles élogieuses, auxquelles ils sont très sensibles. La reconnaissance que nous devons à leur sens du bien commun, qu'ils mettent au service de l'intérêt supérieur de la Nation avec un dévouement sans égal, doit aussi se manifester de façon tangible. Elle passe par les moyens qu'ils sont légitimement en droit d'attendre pour remplir leurs missions.

C'est tout l'enjeu du PLF 2015 qui marquera de façon concrète le volontarisme que notre pays affiche pour soutenir sur la période 2015-2019 l'ambition stratégique qu'il poursuit. Cet enjeu repose d'une part sur une fin de gestion 2014 équilibrée et d'autre part sur la mise à disposition d'un niveau de ressources 2015 cohérent avec l'ambition de la LPM. Je vous remercie de votre attention.

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