Intervention de général Jean-Pierre Bosser

Réunion du 15 octobre 2014 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

général Jean-Pierre Bosser, chef de l'état-major de l'armée de terre :

S'agissant des restructurations, la première question à laquelle nous devons répondre est celle du modèle d'armée dont nous avons besoin. En 1972, le premier Livre blanc sur la défense nationale mettait en avant un corps blindé mécanisé tourné vers l'est pour faire face à la menace soviétique et une force d'action rapide destinée aux interventions extérieures. À partir de ces principes a été créé un modèle d'armée qui a perduré jusqu'en 1994 et au deuxième Livre blanc, très rapidement suivi de la décision du président de la République de professionnaliser les armées. Le Livre blanc de 2008 a obéi à un double impératif dicté à la fois par l'évolution des menaces et par les économies à réaliser. Il s'est traduit par le resserrement du format de l'armée de terre. Entre 2009 et 2013 environ 22 000 postes ont été supprimés, et 21 régiments et sept états-majors opérationnels ont été dissous.

Le Livre blanc de 2013 ne fut, quant à lui, pas accompagné de la mise en oeuvre d'un nouveau modèle, le précédent ne datant que de cinq ans – une durée insuffisante pour rebâtir un nouveau modèle d'armée de terre. Aujourd'hui, nous devons nous projeter dans l'avenir en tenant compte des menaces et des besoins futurs. L'aérocombat, les forces spéciales, le command and control, le cyber et le renseignement sont des fonctions qu'il faut mettre en avant. Force est de constater que nous nous retrouvons avec deux brigades lourdes, trois brigades médianes et deux brigades légères, déséquilibrées en volume et en qualité d'équipement, ce qui complique le quotidien de nos hommes, leur préparation opérationnelle et la constitution d'éléments de projection. Voilà pourquoi, il faut développer un nouveau modèle.

S'agissant des déflations d'effectif, il existe trois leviers pour parvenir à la cible : les dissolutions, les effets de structure et les mises en sommeil propices à une remontée en puissance. Une dissolution d'unité dans un département est de plus en plus difficile à admettre, surtout si le département concerné est en difficulté économiquement. Je pense donc que les dissolutions de régiments seront désormais très peu nombreuses et ciblées sur des territoires où le « niveau d'acceptabilité » le permet – ce qui laisse une marge de manoeuvre très faible. Les déflations 2015 portent sur environ 4 000 postes pour l'armée de terre, un régiment n'en compte que 900 : même à raison d'un régiment par an, vous voyez qu'on est loin du compte.

Les effets de structures ont déjà été largement utilisés – peut-être reste-t-il un peu de marge au sein des états-majors, et encore cela reste à vérifier si on veut bien prendre en compte qu'entre 2008 et 2013, l'armée de terre a divisé son nombre d'état-major par deux et réduit leurs effectifs de 47 %. La méthode dite par « échenillage » n'est pas raisonnable. Mieux vaut procéder par suppression de capacités cohérentes, dans le cadre d'un choix tactique – ainsi, nous avons supprimé cette année toutes les sections de reconnaissance des régiments d'infanterie, et si nous devions remonter en puissance ultérieurement, il serait toujours temps de recréer ces unités. Cela me semble plus responsable que d'éparpiller les postes à gagner de façon aléatoire et bêtement mathématique parmi toute la ressource.

En 2015, les seules dissolutions de grandes unités toucheront d'une part l'état-major et la compagnie de commandement et de transmission de la 1re brigade mécanisée, d'autre part le 1er régiment d'artillerie de marine, tous deux implantés à Châlons-en-Champagne. Toutes les autres suppressions, parfaitement géolocalisées, concernent soit des escadrons, soit des sections, soit des structures dans l'environnement des forces – ainsi allons-nous probablement supprimer une musique militaire.

Aucun régiment d'infanterie ne sera dissous en 2015. La conquête de l'Adrar des Ifoghas a montré que nous avons besoin de combattants qui soient capables, chargés à 45 kg, de se confronter à l'adversaire, les yeux dans les yeux. En République centrafricaine, dans le cadre de l'opération Sangaris, ce sont encore les combattants débarqués qui font face aux ex-Séléka à Bambari. Tous les spécialistes reconnaissent que les pays dotés d'une armée manquent actuellement de troupes à pied, capable de s'engager au sol au contact, au péril de leur vie. Nous n'avons pas voulu entamer les études du modèle futur en dissolvant des unités dont nous aurons peut-être besoin ultérieurement.

S'agissant de LOUVOIS, le logiciel continue à donner des signes de faiblesses. Ainsi, il est très fréquent que, sans avoir changé de situation familiale, certains personnels ne perçoivent pas la même solde d'un mois sur l'autre. À chaque dysfonctionnement, on essaie de corriger les erreurs par des « patchs », mais nous n'obtenons pas pour autant une amélioration sensible de la situation. Le ministre met toute son énergie pour que soit mis en place un nouveau système informatique de paiement des soldes. L'horizon 2015 constitue un objectif ambitieux, mais nous ne pouvons pas laisser les choses en l'état. Je précise que si les moins-perçus ne sont jamais agréables, les trop-perçus créent des situations très difficiles à régler notamment avec toutes les complications fiscales que cela implique. Bref, si les moins-perçus sont inacceptables, les trop-perçus nous mettent vis-à-vis de nos hommes dans une situation intenable. Moi qui fais partie d'une génération où les chefs aidaient autrefois certains de leurs subordonnés à tenir leurs comptes bancaires, je constate que nous en sommes presque revenus, bien malgré nous, à cette pratique – ce qui me conforte dans l'idée que la solde est, au même titre que les ressources humaines, une affaire de commandement.

En matière d'hébergement, le plan d'urgence 2014 a effectivement eu des effets physiques. Lors de chacune de ses visites, le ministre demande d'ailleurs à mesurer les effets concrets du plan d'urgence dans les bâtiments. J'étais récemment à ses côtés au 11e RAMA et, à cette occasion, je l'ai accompagné dans des chambres afin de vérifier ce qui avait été fait pour réparer des dégâts liés à des infiltrations.

Pour ce qui est des départs volontaires, nous disposons des moyens permettant à chacun de se situer en fonction de son âge et de son grade. S'il exprime le souhait de quitter l'institution militaire, il peut choisir parmi des dispositifs d'aide au départ, comprenant notamment la pension afférente au grade supérieur (PAGS) – qui n'a pas connu un très grand succès lors de sa première année de fonctionnement, faute de pédagogie. Nous veillons également à mieux sélectionner, identifier et accompagner les démarches volontaires de départ. Si tous les moyens sont mis en oeuvre pour atteindre l'objectif considérable de déflation qui nous a été fixé, je ne suis pour autant pas en mesure de garantir aujourd'hui que nous y parviendrons.

Autrefois, celui qui partait était vu comme un « mouton noir ». Si ce n'est plus le cas aujourd'hui, il reste encore difficile de convertir certains métiers militaires en métiers civils ; c'est même un vrai challenge excepté pour ceux qui ont obtenu une formation avant de nous rejoindre et qui peuvent donc exercer le métier correspondant quand ils retournent à la vie civile. Il en va tout autrement des garçons qui sont arrivés en situation d'échec scolaire, familial ou professionnel, à qui il faut beaucoup donner.

En matière d'équipement, concernant la fonction artillerie, la cible est de 13 LRU, la deuxième tranche de 13 lanceurs a été abandonnée dans le cadre de la LPM 14-19. Les deux derniers lanceurs seront livrés à la DGA au mois d'octobre.

Concernant les forces spéciales : si elles obéissent à des modes d'action et une sélection particulière, il ne faut pas qu'elles soient un monde à part. Nous devons combiner au mieux l'emploi des forces classiques, des forces spéciales, de l'aérocombat et des drones. Si nous disposons déjà de bons schémas tactiques nous permettant d'utiliser toutes ces capacités intelligemment, la réflexion est à pousser sur ce point dans la bande sahélo-saharienne – un territoire grand comme dix fois la France, et que nous devons contrôler avec 3 000 hommes. Pour le faire efficacement nous devons combinons nos moyens. Nous devons donc doter les forces spéciales des équipements leur permettant d'aller très loin en s'affranchissant de risques particuliers, notamment celui des mines. À l'heure actuelle, nos hommes ne conçoivent plus de lancer une opération sans disposer d'un éclairage tactique : de ce point de vue, l'embuscade d'Uzbin a été un électrochoc. Nous ne pouvons plus nous passer des hélicoptères ni des drones tactiques.

En 2015, la cible fixée pour les véhicules blindés de combat de l'infanterie (630 VBCI) sera atteinte avec l'équipement du dernier régiment prévu, le 2e régiment étranger d'infanterie. Je m'en félicite, car il s'agit d'un matériel remarquable. Par ailleurs, nos troupes vont ainsi pouvoir retrouver en opération le matériel sur lequel elles s'entraînent en métropole, ce qui est une bonne chose. Il y a quinze jours, j'ai pu voir dans le cadre de l'opération Sangaris à quel point les hommes du 16e bataillon de chasseurs, ont été soulagés de percevoir des VBCI, qui les protègent des attaques directes, qu'il s'agisse de jets de pierres ou de tirs d'armes automatiques, et qu'ils connaissent parfaitement. Nous allons donc être convenablement pourvus en VBCI, ce qui nous permettra de déployer nos fantassins à équipements et liaisons intégrés (FELIN) dans des conditions optimales. L'enjeu pour 2015 sera la notification du programme SCORPION, dont il faudra suivre l'évolution avec attention. Les livraisons des équipements SCORPION (VBMR et EBRC) s'étalent sur une durée relativement longue – ce qui signifie qu'il va falloir faire durer encore de nombreuses années le VAB et l'AMX 10RC.

En ce qui concerne le budget, le remboursement du coût des OPEX constitue un enjeu majeur afin de pouvoir couvrir nos dépenses. Le phénomène de la régénération des parcs n'avait pas été évalué à sa juste mesure, ce qui s'explique en partie par le fait que les opérations se sont durcies depuis finalement assez peu de temps. Ainsi nos VAB s'usent six fois plus vite au Mali qu'en Afghanistan – ce qui n'a en fait rien d'étonnant quand on sait que les véhicules ont été énormément sollicités, qui plus est sur un terrain très agressif. 113 millions d'euros seront consacrés à la régénération des matériels – un budget dont la nécessité désormais reconnue n'a pas été facilement admise. Les matériels concernés par cette régénération, dont 600 VAB, entreront progressivement chez les industriels, et n'en ressortiront que dans deux à quatre ans – manquant cruellement dans l'intervalle à nos régiments.

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