Intervention de Geneviève Fioraso

Réunion du 23 octobre 2012 à 9h30
Commission élargie : recherche et enseignement supérieur

Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche souhaite que d'autres CPER succèdent à ceux en cours. Cela s'inscrirait d'ailleurs dans la logique de l'acte III de la décentralisation, qui donne davantage de compétences aux régions. Nous avons formalisé notre demande, qui est partagée par le ministre délégué aux transports. Cela fera partie des arbitrages à rendre dans les mois à venir.

Nous sommes en train de revoir avec l'ensemble des acteurs concernés la gouvernance du Muséum d'histoire naturelle, qui a connu quelques turbulences. C'est dans ce cadre que nous examinons l'ensemble des projets en cours, notamment la réouverture du Musée de l'homme – nous réfléchissons actuellement à ses modalités et à son calendrier. Donnons-nous le temps de la réflexion, en assurant tout de même une certaine stabilité par la prolongation de quelques mandats. Croyez bien que ce sujet nous tient à coeur, monsieur Bloche. Nous partageons d'ailleurs cette préoccupation avec Delphine Batho, puisque le Muséum d'histoire naturelle est placé sous la double tutelle du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et de celui de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. La réflexion s'accélère ; elle devrait donc trouver une conclusion assez rapidement.

J'en viens à l'ADEME et au programme nucléaire. Il est vrai que les crédits dévolus à l'ADEME ont diminué, mais cette baisse pourra être compensée, puisqu'une partie des ressources de l'ADEME provient de la TGAP. Par ailleurs, de grands programmes ont été lancés dans le cadre des investissements d'avenir. Globalement, l'ADEME conserve donc ses moyens. Elle doit trouver sa place dans l'alliance AllEnvi – peut-être est-elle restée un peu à l'écart jusqu'à présent. Je m'en suis entretenue avec François Loos. L'engagement nouveau de l'ADEME au sein de l'alliance AllEnvi devrait lui redonner toute sa place et sa force de conviction. Nous ne ménageons donc pas notre soutien à l'ADEME, qui porte des thématiques qui nous tiennent particulièrement à coeur, cher monsieur Chanteguet.

Le budget du CEA est en hausse. Cela est dû en grande partie à l'augmentation des crédits du projet ITER, qui sont intégrés à ce budget. Le Gouvernement a fait le choix responsable de couvrir les charges inéluctables que sont les fonds dédiés – 60 millions d'euros –, l'étude de sûreté suite à l'accident de Fukushima – le Conseil énergie nucléaire auquel j'ai participé la semaine a confirmé cette étude pour 10 millions d'euros –, et enfin le budget ITER. Vous savez que ce dernier est financé par 17 pays. La France n'est qu'un partenaire, même si elle fait partie des plus importants, aux côtés du Japon et des États-Unis. La préoccupation de l'ensemble des partenaires du projet est d'éviter une multiplication par deux de son budget, comme cela a pratiquement été le cas depuis son lancement. Toutefois, on ne peut préjuger de rien dans les grands programmes de recherche, où le budget initial se voit souvent dépassé. Une recherche de très long terme rend les prédictions financières difficiles. La recherche en ce domaine est aussi un pari mais, parce qu'elle aura des retombées pour la société civile et des applications industrielles, ce ne sera pas, quoiqu'il advienne, « tout ou rien ». M. John Holdren, conseiller spécial du Président Obama pour la science et la technologie, m'a dit souhaiter que les coûts du projet soient maîtrisés ; tous les États parties au programme y travaillent mais, dans l'intervalle, la France se doit de respecter les engagements qu'elle a pris. En inscrivant au budget, à cet effet, 30 millions d'euros qui ne l'avaient pas été par nos prédécesseurs, nous assumons nos responsabilités.

De même, nos engagements relatifs au réacteur de recherche Jules Horowitz sont financés ; ils seront donc honorés. La recherche relative au prototype de réacteur de 4ème génération ASTRID bénéficie en outre d'un financement extrabudgétaire dans le cadre du Grand emprunt national. Mais, vous le savez, le Gouvernement s'est engagé dans une politique de transition énergétique – qui n'est pas, amis écologistes, une politique de sortie du nucléaire – et cette politique doit aussi se traduire en termes budgétaires pour la recherche. C'est pourquoi il a été demandé un lissage, sur un an ou deux, des crédits budgétaires alloué au programme ASTRID. Ce lissage, qui n'empêchera pas ce programme de très longue durée de venir à bonne fin, n'est pas un renoncement : j'ai évoqué la question avec tous les acteurs impliqués dans ce dossier, notamment avec le président d'Areva, M. Luc Oursel, et il résulte de mes entretiens que ce lissage ne mettra aucunement le projet en péril.

Péril il pourrait y avoir, en revanche, si le CEA devait mener en parallèle de si nombreux projets qu'il serait en quelque sorte dépassé par sa tâche. L'ampleur du projet ITER est considérable ; il faut en maîtriser les coûts tout en maintenant la qualité des recherches menées ; l'administrateur général du CEA, représentant de la France au sein du consortium, en a toute la compétence. Il saura, de même, lisser comme il convient les phases du projet ASTRID en fonction des crédits alloués. Cela ne se fera pas, monsieur Lambert, au détriment des la recherche menée au sein de la direction de la recherche technologique, notamment du Laboratoire d'innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux, le Liten.

Nous avons repris une habitude abandonnée, celle des lettres de cadrage – rien que de normal puisqu'il s'agit d'établissements qui utilisent des fonds publics – et nous avons en particulier demandé au CEA d'intensifier la recherche fondamentale en sciences de la matière et en sciences du vivant, ainsi que la recherche technologique, au plus près de l'emploi. J'appelle votre attention, à ce sujet, sur le nouveau bâtiment des industries intégratives expressément construit par le CEA à Grenoble pour favoriser la rencontre entre la recherche et les industries – de la santé, des transports, de l'éducation, de la culture... La mise en valeur des technologies proposées, par grands domaines d'usage, a un impact puissant sur les représentants des PME-PMI qui visitent cet espace. Parce qu'il en a été convaincu, le Premier ministre a décidé que ce concept serait progressivement étendu à d'autres sites si l'évaluation se révèle positive.

En conclusion, le budget du CEA n'est ni pénalisé ni privilégié mais réorienté pour tenir compte de la politique de transition énergétique engagée. Le dialogue se poursuivra pour déterminer si cette réorientation devra se poursuivre au cours des années suivantes.

M. Jean-Yves Le Déaut aimerait connaître la liste des entreprises principales bénéficiaires du crédit d'impôt recherche. Le respect du secret fiscal ne permet pas d'établir une telle liste, mais il est facile à qui a lu la presse de se faire une idée : les dix premières sociétés bénéficiaires de la disposition sont vraisemblablement celles qui se sont prononcées avec la plus grande vigueur en faveur de son maintien ! Elles appartiennent à des secteurs divers : la santé, l'automobile, la microélectronique, l'énergie...

Il convient en effet de renforcer la culture scientifique et technique en France. Le sujet est d'une importance primordiale : pour revitaliser le tissu économique français, il faut accroître l'appétence des jeunes pour les études scientifiques – sciences humaines et sociales comprises – et pour cela montrer la science sous son meilleur jour. Les émissions scientifiques actuellement diffusées dans notre pays sont de grande qualité, mais il faut faire davantage, autant et aussi bien que ce qui est fait au Royaume-Uni, pays qui se distingue par des documentaires et des émissions d'information scientifique remarquables. Il nous revient de diffuser plus largement l'action de la Fondation La main à la pâte lancée par l'Académie des sciences dans le prolongement de l'initiative de Georges Charpak, Prix Nobel de physique. Notre soutien à universcience ne doit pas se démentir, et les régions doivent s'approprier plus encore la culture scientifique et technique. Le Président de la République a d'ailleurs proposé cette compétence aux régions, de manière que les débats relatifs aux analyses avantagesrisques se fassent de manière nuancée, au plus près des citoyens et des établissements d'enseignement, sans sensationnalisme et dans une sérénité retrouvée.

Je me suis attelée à la tâche de longue haleine qu'est la revalorisation des doctorats. Je souhaite intégrer les titulaires de ces diplômes aux directions des administrations de l'État, ce qui suppose de négocier avec chacune. J'entends y parvenir car je vois là un gage de transversalité et de diversification en douceur des opinions ; trop souvent, les grands corps de l'État sont spécialisés dans un domaine, ce qui ne favorise pas toujours la créativité. Et, ce faisant, l'État donnera l'exemple car, à l'inverse de ce qui vaut ailleurs, les entreprises françaises n'offrent pas aux docteurs la place qu'ils devraient avoir. Les qualités qu'ils ont acquises au cours de ces années d'étude – motivation, autonomie –, mésestimées, sont pourtant indispensables à la compétitivité des entreprises. Cette ignorance s'explique notamment par la méconnaissance qu'ont les entreprises de l'offre universitaire. Les liens seront donc renforcés entre l'Université et les PME-PMI pour éviter que les entreprises françaises ne se privent indûment des services de docteurs qui leur seraient d'une grande utilité. Les moyens complémentaires données à la recherche nous permettront dans le même temps de proposer à nos docteurs une insertion professionnelle pérenne qui contribuera à réduire la précarité qui les frappe en bien trop grand nombre, au terme de onze années de difficiles études.

Les Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche – de 200 à 400 personnes étaient présentes à chaque session, sur plus d'une trentaine de sites – ont déjà permis de recueillir plus de mille contributions. Cela traduit l'intensité du besoin de dialogue. M. Jean-Yves le Déaut, dans le cadre de la mission que lui a confiée le Premier ministre, nous est d'une grande aide. Trois thèmes de discussion ont été retenus : la réussite de tous les étudiants ; la révision de la gouvernance des établissements et des politiques de sites ; l'organisation de la recherche en France, ses liens avec la recherche en Europe et son rayonnement international.

À ce sujet, nous devons en effet améliorer notre visibilité bibliographique ; certains sites l'ont déjà fait en utilisant une signature unique pour l'ensemble de leurs communications et j'encourage chaque établissement à procéder de la sorte. Le classement de Shanghai, outre qu'il privilégie des critères anglo-saxons, est fondé sur la consultation des moteurs de recherche. Le fait que l'attribution du Prix Nobel de médecine à Jules Hoffmann n'ait pas figuré, à l'époque de l'élaboration du classement, sur le site de l'Institut Karolinska, a défavorisé l'Université de Strasbourg ; de même, le fait que Cédric Villani, récipiendaire de la médaille Fields, ait été mal identifié, a défavorisé et son université parisienne et l'École normale supérieure de Lyon. Des rectifications ont été demandées. Au-delà, nous devons mettre au point une classification européenne valorisant la qualité de notre recherche, dont nous avons tout lieu d'être fiers. C'est l'objectif d'U-Multirank, classification européenne mise au point à l'initiative de l'Allemagne, qui tient compte des spécificités des universités européennes ; nous nous y associerons.

S'agissant du programme IDEX, je l'ai dit, un rééquilibrage, nécessaire, aura lieu, car certaines régions ont été oubliées, dont la région lilloise – c'est la raison pour laquelle nous avons débloqué la création, à Valenciennes, de l'Institut de recherche technologique Railenium, consacré au ferroviaire, jusqu'à présent entravée pour des raisons bureaucratiques. Il ne s'agit ni de procéder à un saupoudrage de moyens ni de faire droit à un lobbying territorial mais de récompenser les régions pour leurs efforts en faveur de l'intérêt général.

À monsieur Tardy, qui m'a interrogée sur la question complexe de la diffusion de l'information scientifique et technique, je ferai une réponse écrite circonstanciée. Je puis vous dire brièvement que le sujet ne fait pas consensus au niveau européen pour l'instant.

Je considère, messieurs Marc et Censi, qu'il n'y a pas d'un côté de « petites » universités dans de « petits » territoires et, de l'autre, des universités « prestigieuses », mais seulement des universités de qualité. Les filières professionnelles doivent être des filières d'excellence, et des passerelles doivent permettre à ceux qui en ont la volonté et les capacités de prolonger leurs études jusqu'au doctorat. Si notre pays se désindustrialise, c'est aussi parce que les enseignements professionnel et technologique n'ont pas été suffisamment valorisés. Dans ce contexte, monsieur Charasse, orienter davantage de bacheliers technologiques vers les IUT ne tend pas à dévaloriser ces établissements mais, au contraire, à valoriser l'enseignement technologique, en permettant aux jeunes gens de poursuivre leurs études au plus près de leurs familles, sans qu'elles soient contraintes d'engager des frais trop importants.

J'admire les modalités du regroupement de l'Université de Bourgogne et de l'Université de Franche-Comté et le travail en réseau qui les lie. Les projets de recherche, que m'a présentés le président de l'Université de Bourgogne, traitent de l'automobile, de mécanique de précision, de microtechnique… Je me félicite également que ce travail ait des ramifications en Lorraine mais aussi en Allemagne et en Suisse. Je souhaite une même démarche d'excellence et un même engagement dans tous les sites français, la démarche exemplaire accomplie consistant aussi à décliner l'offre par grands domaines, ce qui en renforce immédiatement la lisibilité et pour les familles et pour les employeurs.

Comme je vous l'ai indiqué, 20 millions d'euros supplémentaires seront consacrés à la création de logements pour étudiants, et nous accompagnons les efforts du CNOUS visant à mieux accueillir les étudiants. La politique à l'égard des universités est celle du « donnant-donnant » : il y aura abondement et rééquilibrage des ressources en faveur des universités les moins bien dotées et une aide à la réussite dans le premier cycle, mais, en contrepartie, les étudiants devront bénéficier d'un accompagnement plus personnalisé. Et si nous souhaitons promouvoir l'université numérique pour remplacer les cours magistraux en amphithéâtre par des cours en ligne, c'est pour faire porter l'effort sur les travaux dirigés, les exercices en laboratoire et, je le redis, l'accompagnement personnalisé.

Je reviens un instant sur les IUT pour dire toute la confiance que nous avons en ces établissements, auxquels la loi relative aux libertés et responsabilités des universités n'a pas donné la place qu'ils méritaient. Les IUT sont pourtant, je l'ai dit, un maillon essentiel de la revitalisation de notre tissu industriel. Nous avons appelé l'attention du comité de pilotage des Assises sur la nécessité de passerelles entre enseignement professionnel et université : les IUT font partie de notre système universitaire, ils doivent être respectés en tant que tels.

Sans doute pourrions-nous consacrer une séance complète à l'IEP de Paris… L'ensemble des IEP occupent une place importante dans notre système éducatif et leur renommée internationale est très grande. Imaginez ma surprise lorsque, m'entretenant au Japon avec le président de Toshiba, celui-ci m'a demandé quand serait nommé le prochain directeur de Sciences Po Paris – c'est que son fils y est inscrit en mastère ! Au cours des dernières années, le rayonnement international de l'IEP de Paris a été développé de manière magistrale et d'excellentes choses ont été faites : l'effectif a doublé, la réputation de l'école n'a fait que croître et les activités de recherche se sont amplifiées. Mais à côté de ces zones de lumière, il y a des zones d'ombre dont la Cour des comptes a fait état, et sans doute faudrait-il resserrer les liens entre Sciences Po Paris et les IEP de province.

Je ne fais pas de la question une affaire personnelle – le Gouvernement n'a pas de candidat caché à la direction de l'Institut –, mais il me paraissait préférable que la procédure de nomination du nouveau directeur soit suspendue jusqu'à la publication par la Cour des comptes de son rapport définitif, fin novembre. Il semble qu'en toute autonomie, le président de la Fondation nationale des sciences politiques et le conseil de direction de l'IEP aient fait un autre choix. J'en prends acte mais, quoi qu'il en soit, le décret de nomination ne sera pas publié avant que la Cour des comptes ait rendu son rapport définitif. Peut-être y a-t-il un risque à anticiper de la sorte cette nomination, mais je ne doute pas que ceux qui le prennent sauront les assumer. Ce qui m'importe, c'est que l'IEP de Paris préserve son excellente réputation, que la traçabilité des 62 millions d'euros de fonds publics qui lui sont alloués chaque année soit entière et que, à cette fin, les liens se resserrent entre Sciences Po Paris et le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Dans son relevé d'observations provisoires, la Cour des comptes a souligné à ce sujet, un dysfonctionnement. Le président de la Fondation nationale des sciences politiques et celui du conseil de direction de l'IEP sont d'accord sur la nécessité d'un dialogue resserré à ce propos entre le ministère et l'établissement. Les points de vue se rapprochent donc, et il est temps, dans l'intérêt même de Sciences Po Paris et des IEP régionaux, que l'on retrouve une atmosphère pacifiée, loin des feux de l'actualité. C'est ce à quoi nous travaillons, pour le bien d'un établissement qui suscite un égal intérêt dans les medias – car beaucoup de journalistes y ont été formés –, au sein du monde politique et à la présidence de Toshiba…

S'agissant enfin de l'enseignement supérieur associatif, que nous respectons au même titre que l'enseignement supérieur public, la diminution de 4 millions d'euros qui apparaît dans le budget n'a rien d'idéologique : il s'agit de rétablir la sincérité des comptes altérée par une manipulation budgétaire de mes prédécesseurs. Au demeurant, la faiblesse de cette diminution, qui participe des efforts demandés à tous, montre l'absence de tout dogmatisme.

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