Intervention de Christophe Aubel

Réunion du 21 octobre 2014 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Christophe Aubel, directeur de Humanité et Biodiversité :

Je remercie la Commission du développement durable de nous avoir invités. Avant de laisser à Bernard Chevassus-au-Louis et Bernard Labat le soin de vous expliquer en quoi investir pour la biodiversité constitue à nos yeux une voie d'avenir, je vais procéder à une présentation générale de notre association, Humanité et Biodiversité.

« La biodiversité nous concerne au premier chef car la biodiversité, c'est nous, nous et tout ce qui vit sur terre », c'est par cette phrase qu'Hubert Reeves, notre président, commence habituellement ses interventions destinées au grand public. Elle dit pourquoi la Ligue ROC née en 1976, sous l'égide de Théodore Monod, a pris en 2011 ce nouveau nom d'Humanité et Biodiversité.

La biodiversité nous intéresse parce que les humains nous intéressent. Nos statuts nous fixent comme principal objet le renforcement et la prise en compte par tous des synergies et des liens indissociables entre humanité et biodiversité.

Cet objectif repose sur une conviction forte, étayée par les scientifiques : nos sociétés se sont construites sur la biodiversité et les services qu'elle nous rend. Cela s'est vérifié dans le passé, depuis le Néolithique, cela se vérifie dans le présent et cela se vérifiera dans le futur. De cette conviction, découle une seconde conviction tout aussi importante pour l'association : la biodiversité nous concerne tous puisqu'elle met en jeu l'avenir de nos sociétés. Nous résumons notre approche de la manière suivante : la biodiversité partout, par tous et pour tous.

Ces deux convictions nous confèrent deux marqueurs spécifiques qui permettent de nous identifier dans le monde multiforme des associations de protection de la nature. Premièrement, nous considérons que la biodiversité n'est pas seulement une affaire d'espaces ou d'espèces à protéger mais le socle d'un développement soutenable des activités humaines. Deuxièmement, nous considérons que la mobilisation de tous est nécessaire pour répondre aux enjeux. Nous croyons au dialogue, au consensus, au compromis et nous nous efforçons toujours de les construire. Nos statuts indiquent ainsi que la préservation de la biodiversité doit se faire en tenant compte des dimensions économiques et sociales, formulation que vous ne rencontrerez pas de manière aussi explicite chez les autres associations de protection de la nature.

Humanité et Biodiversité est une association relevant de la loi de 1901, agréée au titre de la loi de 1976 sur la protection de la nature, reconnue d'utilité publique et habilitée par décret à prendre part au dialogue environnemental. Nous siégeons ainsi au Conseil national de la transition écologique au sein du collège des huit organisations non gouvernementales, au Comité national de la trame verte et bleue, au Comité national de suivi de la stratégie nationale pour la biodiversité ; nous avons proposé la désignation d'une personne au Conseil économique social et environnemental ; nous comptons un membre au Comité pour la fiscalité écologique et un autre au sein de la Plateforme nationale d'actions globales pour la responsabilité sociétale des entreprises. Quant à nos adhérents, ce sont avant tout des individus.

Notre association est dirigée par un conseil d'administration de dix-huit bénévoles qui élit en son sein un bureau. Elle compte également une structure originale, un comité de réflexion regroupant écologues, juristes, philosophes et économistes, think tank qui nous alimente en propositions concrètes, construites et équilibrées destinées à faire évoluer les politiques publiques. Enfin, elle est animée par une équipe de salariés, efficace, je l'espère, malgré sa taille modeste – 4,5 équivalents temps plein, dont trois se consacrent au plaidoyer –, reflet du volume restreint de notre budget – 400 000 euros annuels, provenant pour 35 % de fonds publics, pour 45 % de fonds privés et pour 20 % de dons.

En termes de mode d'action, nous sommes d'abord et avant tout une association de plaidoyer.

Nous adressons celui-ci tout d'abord aux pouvoirs publics – Gouvernement, parlementaires, élus locaux. Nous participons au processus de construction des politiques publiques portées par le ministère de l'écologie mais aussi par le ministère de l'agriculture ; nous dialoguons avec le ministère du logement et de l'égalité des territoires et avec le ministère de l'éducation. Nous proposons des amendements aux textes de loi et échangeons régulièrement avec les associations d'élus. Notons ici que nous avons adhéré à la stratégie nationale pour la biodiversité et déposé un plan d'engagement qui a été validé, de façon à nous aussi contribuer à la mobilisation des acteurs que nous avons prônée.

Ce plaidoyer, nous l'adressons également aux parties prenantes, à la fois pour échanger avec elles et faire émerger des processus dans le cadre de l'élaboration des politiques publiques mais aussi pour les accompagner dans leur appropriation des enjeux de la biodiversité. Citons, entre autres, pour vous donner une idée de la diversité des acteurs avec lesquels nous travaillons, nos actions auprès de la Confédération nationale des petites et moyennes entreprises et du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) – guides, colloques –, nos formations au sein de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), nos interventions au conseil national de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) ou nos partenariats avec CCI France, l'établissement fédérateur des chambres de commerce et d'industrie, ou l'Union nationale des associations familiales de France. Nous menons également des actions de sensibilisation du public à travers des conférences qui, grâce à notre président, nous permettent de toucher des milliers de personnes mais aussi via notre site internet communautaire. Notre principal outil de communication, nous qui sommes dépourvus de chargé de communication, est notre revue annuelle, envoyée gratuitement à toutes les parties prenantes pour mettre en débat des idées qui contribuent au dialogue environnemental.

Outre nos actions de plaidoyer, nous animons le réseau des oasis nature : espaces grands ou petits que des personnes s'engagent à gérer de manière favorable à la biodiversité, à travers une charte de bonnes pratiques. Enfin, nous travaillons concrètement avec des partenaires privés à la fois pour leur apporter un tiers regard sur leur politique en matière de biodiversité ou de responsabilité sociale des entreprises (RSE) et pour mener des travaux pratiques avec eux afin de les faire progresser dans la prise en compte de la biodiversité.

J'en viens aux sujets sur lesquels nous travaillons activement en ce moment : le projet de loi relatif à la biodiversité que nous espérons voir inscrit à l'ordre du jour au début et non à la fin du printemps 2015, le projet d'Agence française pour la biodiversité, qui nous tient particulièrement à coeur, la stratégie nationale pour la biodiversité, la trame verte et bleue, l'atlas de la biodiversité communale, le processus de modernisation du droit de l'environnement, qui ne devra pas se faire au prix d'une simplification dérégulatrice, le plan national santé-environnement, la préparation de la prochaine conférence environnementale, les questions relatives aux espèces dites nuisibles et au partage de l'espace entre usagers de la nature.

Pour conclure mon intervention, je vous raconterai deux histoires, qui illustrent ce qui est important à nos yeux dans la notion de biodiversité.

La première permet de montrer que la biodiversité n'est pas un catalogue d'espèces, juxtaposées les unes à côté des autres comme des timbres dans un album, mais repose sur des interrelations entre les humains, les espèces animales, et les milieux. La forte diminution des effectifs de requins sur la côte Est des États-Unis – ils ne représentent que 3 % à 10 % de ce qu'ils devraient être – a provoqué une prolifération par millions des raies, moins consommées par ces prédateurs, lesquelles ont liquidé la population de coquilles Saint-Jacques de la baie de Chesapeake, ce qui a eu des conséquences néfastes non seulement pour les pêcheurs mais aussi pour la fréquentation touristique.

La deuxième concerne le viaduc de Millau, par une photo duquel j'ai l'habitude de commencer mes conférences grand public pour le plus grand étonnement de l'assistance. Si cet ouvrage d'art, né du travail conjoint d'ingénieurs, d'architectes et d'ouvriers, a pu exister, c'est aussi grâce à la biodiversité : l'acier provient du fer, qui n'existerait pas si, il y a 2,3 milliards d'années, les algues bleues, en produisant de l'oxygène, n'avaient pas oxydé le fer dans l'océan primitif ; le pétrole, comme le charbon, est issu de la biodiversité du passé ; enfin, les algues à coque calcaire, il y a 150 millions d'années, ont formé en s'accumulant les sédiments que l'on exploite dans nos carrières pour produire du ciment.

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