Intervention de Bernard Chevassus-au-Louis

Réunion du 21 octobre 2014 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Bernard Chevassus-au-Louis, administrateur de Humanité et Biodiversité :

Je consacrerai mon exposé au capital naturel que constitue la biodiversité.

Le capital écologique de la planète continue de se dégrader, comme le montrent plusieurs indicateurs. Selon les dernières listes rouges relatives aux espèces menacées, sur les 2 000 à 3 000 espèces que compte la France, près d'un tiers est dans une situation préoccupante. Certaines espèces d'oiseaux nicheurs risquent, par exemple, de disparaître. Des facteurs ayant un impact négatif sur la biodiversité comme l'artificialisation des sols accélèrent la détérioration les milieux. La conférence de Nagoya a abouti à un constat partagé : nous n'avons pas réussi à freiner l'érosion de la biodiversité.

Cette dégradation a des conséquences économiques qui se feront ressentir à plus ou moins long terme. Comme notre dette financière, la dette écologique atteint des montants inquiétants, qui pèseront eux aussi sur les générations à venir. Une analyse des services rendus par les écosystèmes a pu montrer que les pertes économiques liées à l'artificialisation des sols s'élevaient à 2 milliards d'euros par an.

Il nous appartient de freiner cette dégradation car nous aurons besoin de ce capital naturel à l'avenir. Les progrès scientifiques et technologiques, liés notamment à la chimie de synthèse, ont laissé penser un moment que nous serions de moins en moins dépendants de la biodiversité, mais nous nous rendons compte aujourd'hui des effets pervers de certaines molécules de synthèse et avons une plus nette conscience des apports de la biodiversité. Il se développe ainsi des stations d'épuration fondées sur des processus naturels de filtration à travers des lits plantés de végétaux. La transition écologique devra également s'appuyer sur la mise en valeur de ce capital naturel, notamment avec l'essor du génie écologique ou le « verdissement » des métiers de la construction et de l'énergie. Pensons encore aux innovations que nous pourrons obtenir grâce au biomimétisme, dont nous avons un célèbre exemple avec la mise au point du Velcro à partir des picots des fruits de bardane. Il y a beaucoup à apprendre de certaines espèces vivantes en matière de nanotechnologies : elles savent accomplir à l'échelle nanométrique des actions que nous ne pouvons effectuer qu'à l'échelle du micron ou du millimètre. Certains végétaux sont ainsi capables, à température ambiante, en captant quelques rayons solaires, de casser une molécule d'eau : ils produisent alors de l'oxygène et épurent l'atmosphère.

Notre association n'a pas pour but de défendre la biodiversité en tant que telle : Hubert Reeves aime à dire qu'elle saura perdurer, et même sans nous, car il se trouvera toujours des espèces vivantes pour franchir des étapes que les humains ne seront pas parvenus à passer. Si nous la défendons, c'est parce que nous considérons qu'elle a été utile à l'homme, qu'elle lui est utile aujourd'hui et qu'elle lui sera sans doute encore plus utile demain. Cela implique de freiner son érosion en développant le capital naturel pour aujourd'hui et demain.

Il faut souligner que la méconnaissance de ce capital peut d'ores et déjà freiner certaines activités économiques. Ainsi la découverte d'une espèce protégée non signalée peut-elle provoquer l'arrêt des travaux sur un chantier de travaux publics, alors que le risque est bien moindre du point de vue géologique, le milieu physique étant beaucoup mieux connu.

On pourrait avancer que si ce capital naturel a une telle valeur, il suffit de laisser jouer les mécanismes du marché. Nous entendons montrer que cette ressource a des caractéristiques qui empêchent ces mécanismes de s'appliquer.

Tout d'abord, la biodiversité est un bien commun, qui n'est pas appropriable. Les services qu'elle rend peuvent même bénéficier à l'ensemble de la population de la planète : l'exemple le plus classique est la fixation du carbone qui contribue à l'amélioration de la qualité de l'atmosphère.

Quand bien même ces ressources seraient-elles appropriables, elles impliqueraient un très long retour sur investissement. Les matériaux dont le viaduc de Millau est constitué se sont formés dans un passé extrêmement lointain, comme Christophe Aubel l'a rappelé. Et, sur une échelle temporelle plus courte, les aménagements écologiques – haies, zones humides – sur les terres agricoles ne deviennent fonctionnels qu'après plusieurs dizaines d'années.

Enfin, il est difficile de prédire où les ressources liées à la biodiversité se situent.

Autrement dit, si nous voulons développer ce capital naturel, il faut le penser comme un bien commun au service des générations futures.

Pour mettre en place de bons mécanismes à même de gérer les biens communs liés au capital naturel, nous devons faire oeuvre d'imagination, même si certains résultats ont déjà été obtenus. Les rares séries positives d'amélioration de la biodiversité sont liées aux eaux superficielles : la politique de l'eau a incontestablement eu un effet bénéfique sur le peuplement aquatique des grands fleuves.

Quant à l'ordre de grandeur des sommes qu'il faudrait mobiliser pour améliorer la biodiversité sur l'ensemble de notre territoire, nous estimons qu'il se situe autour de 1 milliard d'euros par an de dépenses publiques. Nos calculs nous ont permis de fixer un objectif de 40 % d'augmentation de cet effort sur dix ans, soit 400 millions d'euros par an. Cela vous paraît peut-être une somme considérable mais n'oubliez pas que la politique de l'eau, qui a abouti aux résultats positifs que l'on sait, mobilise chaque année depuis 1964 environ 2 milliards d'euros. Nos estimations sont cependant encore extrêmement incertaines.

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