Intervention de Bernard Labat

Réunion du 21 octobre 2014 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Bernard Labat, chargé de mission au sein de l'association Humanité et Biodiversité :

Je m'attacherai à exposer les pistes qui permettent d'établir un trait d'union entre le capital naturel et le capital financier. J'en citerai quatre principales, toutes d'actualité, qui n'épuisent toutefois pas le champ des possibles.

La première consiste à introduire la biodiversité dans le programme des investissements d'avenir (PIA).

Lancé sur la base des conclusions de la commission coprésidée par Michel Rocard et Alain Juppé, en 2009, ce programme a été initialement doté de 35 milliards d'euros, auxquels sont venus s'ajouter 12 milliards en 2013, soit 47 milliards au total, sur lesquels 15 milliards restaient encore à engager au début de l'été.

Le financement porte sur quatre domaines – enseignement et recherche, filières industrielles et PME, économie numérique et développement durable –, qui se déclinent en neuf programmes et trente-cinq actions. Dans cette architecture, on peut déplorer que la biodiversité n'ait pas sa place en tant que telle : elle n'apparaît que par le biais d'applications et usages industriels. Ainsi existe-t-il un appel d'offres « Biotechnologie et bioressouces », illustration du fait que le PIA cherche à pallier la faiblesse des dépenses de recherche et développement du secteur privé dans notre pays, de l'ordre de 50 milliards d'euros, alors qu'elles atteignent 83 milliards en Allemagne.

La perspective d'une intégration de la biodiversité est toutefois envisagée. Elle a été évoquée par la ministre de l'environnement à deux reprises, notamment dans le cadre du Conseil national de la transition écologique en juillet dernier.

La deuxième piste consiste à développer les fonds fiduciaires.

Leur principe consiste à mobiliser une ressource financière, à la placer sur les marchés, si possible dans une optique de long terme, et à affecter les revenus de ce placement à une cause selon des modalités de gestion fixées par avance. Ils existent sous deux formes : fonds dotés ou fonds d'amortissement permettant d'employer le capital.

Plus familiers du monde juridique anglo-saxon, où l'institution du trust a facilité leur mise en oeuvre, ces fonds sont principalement employés dans un contexte international. Mis en place à l'initiative des États, ils sont gérés par les organismes internationaux comme la Banque mondiale ou la Banque asiatique de développement. C'est ainsi qu'ont été créés un fonds pour la reconstruction des Balkans ou encore un fonds pour la reconstruction de Haïti. Plus rarement, ils répondent à des objectifs environnementaux : citons le fonds fiduciaire pour la préservation des aires marines protégées en Méditerranée, dont la création a été annoncée par le ministre de l'écologie Philippe Martin et le prince Albert de Monaco à l'issue du Congrès sur les aires marines protégées en octobre dernier, ou encore les fonds plus modestes que sont le Micronesia Trust Fund et le Caribbean Biodiversity Trust Fund.

Cela nous conduit à soulever la question de l'opportunité de créer des fonds fiduciaires environnementaux au niveau national. Un rapport de la Conservation Finance Alliance indique qu'il existe une cinquantaine de fonds de ce type : gérant une somme cumulée de 518 millions, ils interviennent principalement en Amérique du Sud. En France, la question n'a rien d'incongru. D'une part, un ajustement du droit français, intervenu dans la loi du 19 février 2007, est venu assouplir le régime des fiducies dans le code civil. D'autre part, les actions menées par certaines fondations pourraient servir d'exemple : la Fondation de France octroie des aides directes à travers des appels à projets, y compris dans le domaine environnemental – elle se propose actuellement de financer un projet de recherche sur le thème « Écosystèmes, agriculture et alimentation » ; le Fonds français pour l'environnement mondial, créé en 1994, qui travaille en étroite collaboration avec l'Agence française de développement, a consacré 23 millions d'euros à une vingtaine de projets en 2013.

La troisième piste consiste à faire appel à l'épargne réglementée, qui suscite beaucoup de convoitises.

Sur les 4 000 milliards d'euros épargnés par les Français, le livret A représente 266 milliards et le livret de développement durable (LDD), 100 milliards. Les dépôts sont confiés à un gestionnaire, la Caisse des dépôts et consignations, pour financer le logement social, la politique de la ville, différents équipements. Indéniablement, ces affectations répondent à une utilité sociale, mais force est de constater que rien n'est prévu pour la biodiversité.

Ces produits sont devenus moins attractifs car leur rémunération s'est effondrée : ils ne rapportent plus que 1 %. Le relèvement de plafond opéré par les pouvoirs publics – de 6 000 à 12 000 euros pour le LDD – n'a pas suffi à enrayer le mouvement de décollecte. Au mois d'août, une diminution de 350 millions d'euros des versements a été enregistrée.

Pour leur permettre de regagner un peu d'attractivité, ne pourrait-on pas les rendre plus écologiques en affectant une part des dépôts au financement d'activités en lien avec la biodiversité ? Pensons à l'agriculture, à la foresterie, aux activités industrielles innovantes. Nous pourrions envisager un couplage des réflexions en cours sur les investissements socialement responsables. Le livre blanc sur le financement de la transition écologique supervisé par Dominique Dron évoquait très clairement la possibilité de faire appel à l'épargne réglementée. Pourquoi ne pas l'étendre à la biodiversité ?

La quatrième piste repose sur la fiscalité écologique.

Les mésaventures rencontrées récemment par le Comité pour la fiscalité écologique (CFE) ne doivent pas laisser penser qu'il faut y renoncer. Notre association, qui participe à ses travaux, a formulé plusieurs propositions, qui ont pris en compte les handicaps dont souffre la fiscalité en faveur de la biodiversité : elle est invisible statistiquement car elle est absente de la nomenclature Eurostat des taxes environnementales. Notre position est délicate en raison de la forte opposition collective à toute nouvelle taxation qui se manifeste au sein du CFE.

Pour être prudent, je me limiterai à faire part de trois impressions.

Premièrement, le débat est marqué par une opposition doctrinale entre fiscalité incitative et fiscalité de rendement. En matière de fiscalité environnementale, la préférence est bien souvent donnée à une fiscalité incitative, dont le but est d'influer sur les comportements néfastes à l'environnement pour les résorber. Pour ce qui est de la biodiversité, les choses sont plus compliquées : à bien y réfléchir, il n'est pas aberrant qu'une taxation opérée sur un usage potentiellement néfaste pour la nature puisse être réaffectée au milieu affecté. Je pense à la taxe de mouillage expérimentée dans le parc marin de Corse, qui pourrait être généralisée.

Deuxièmement, il ne faut pas s'interdire de recourir à une fiscalité de rendement, même si elle a mauvaise presse. La double logique d'internalisation des coûts, par la voie de la fiscalité et de la recherche d'un financement, voudrait qu'on retienne la solution d'une fiscalité affectée. Celle-ci suscite toutefois d'autres types de difficultés car elle rencontre de multiples oppositions, en particulier de la part du ministère des finances et du Conseil des prélèvements obligatoires – je vous renvoie à son rapport de juillet 2013. Pourtant, des possibilités existent. Je prendrai un seul exemple : ne serait-il pas logique d'affecter une part des 220 millions d'euros que rapporte chaque année la taxe de séjour à la protection de la biodiversité et des paysages, qui contribuent directement à l'attractivité touristique ?

Troisièmement, en matière de fiscalité relative à la biodiversité, nous sommes condamnés à un ensemble de petites mesures éclatées qui ne font pas système et qui n'ont ni l'efficacité ni le rendement de la taxation sur l'énergie ou le carbone – rappelons ici que 800 millions d'euros supplémentaires sont attendus de l'augmentation de deux centimes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques qui vient d'être annoncée. Parmi les mesures envisageables, citons la redevance pour destruction de services écologiques au prorata de certaines constructions ou de grands aménagements, le prélèvement sur les plus-values immobilières ou encore la taxation des bureaux vacants, que nous avons évoquée devant le CFE. Par ailleurs, il conviendrait de réagir à la sous-fiscalisation manifeste des usages du domaine public maritime français, le deuxième au monde, qui rapporte entre 15 et 20 millions d'euros. Nous attendons les conclusions de la mission Charpin en la matière.

Les pistes que je viens d'évoquer n'épuisent pas le champ des possibles. D'autres solutions sont envisageables, comme le financement participatif ou la réforme du mécénat d'entreprise.

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