Intervention de Bernard Chevassus-au-Louis

Réunion du 21 octobre 2014 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Bernard Chevassus-au-Louis, administrateur de Humanité et Biodiversité :

Je rassemblerai mes réponses autour de trois thèmes transversaux : ne faudrait-il pas une politique plus volontariste en matière de sensibilisation à la biodiversité ? Quelle biodiversité voulons-nous ? Faut-il partager les territoires en fonction des usages et dédier certains à la biodiversité, ou avoir une vision plus intégrée ?

En matière de sensibilisation, je commencerai par un point biographique : biologiste de formation, je n'ai jamais entendu parler de changement climatique ou de biodiversité au cours de mes études universitaires – pourtant longues et fournies. Il faut laisser à la société le temps de s'approprier ces questions. Sensibiliser nos concitoyens réclame d'être acharné, enthousiaste et patient. Même si nous pouvons avoir l'impression parfois qu'il y a des flux et reflux et que nous avons du mal à nous faire comprendre, nous notons une prise de conscience lente et progressive. Si un jour nous devons avoir recours à des politiques plus volontaristes et à des réglementations, il faut bien voir qu'elles ne seront acceptables socialement que si ceux à qui elles s'appliquent en comprennent l'intérêt. Le pari de la stratégie nationale pour la biodiversité repose sur la mobilisation, la sensibilisation et le dialogue. Respectons-en le rythme, laissons le temps à l'appropriation de faire son oeuvre. Nous avons la chance de vivre dans une société démocratique où la discussion prévaut. Nous avons la chance aussi que les questions liées à la biodiversité puissent être discutées à toutes les échelles. À cet égard, je considère que même à l'échelle d'une commune de 3 000 habitants, il est possible de mener des actions intéressantes avec des retours sur investissement.

Deuxièmement : quelle biodiversité voulons-nous ? La question a été posée à travers l'évocation des eaux stagnantes des biefs des petites rivières du Morvan ou encore de l'arrivée sur notre territoire d'espèces venues d'ailleurs. N'oublions pas que nos espèces font aussi des dégâts ailleurs : pensons aux ravages provoqués par nos crabes bretons sur les côtes américaines. Il faut se défaire d'une vision fixiste de la biodiversité. L'essentiel des peuplements de la France remonte à la fin de la dernière glaciation mais nous observons que la faune danubienne, composée d'espèces d'eau douce venue des bassins d'Europe orientale arrive lentement mais sûrement sur notre territoire. Nous ne sommes pas de ceux qui veulent imposer un état de référence. Il ne nous appartient pas de dire quelle doit être la biodiversité à tel endroit. Nous considérons qu'elle doit donner lieu à discussion, ce qui implique de mettre en débat les souhaits et les oppositions, d'exposer les problèmes liés à telle ou telle espèce, pour construire ensemble une biodiversité en tant que capital pour demain. Ce qui nous importe, c'est l'avenir et non pas la restauration par rapport à un état de référence qui s'imposerait à nous.

Troisièmement : faut-il dédier des espaces à la biodiversité ? C'est une conception que les écologistes défendaient jusque dans les années soixante-dix, considérant que protéger 15 % à 20 % des espaces permettait de maintenir l'essentiel de la biodiversité. Aujourd'hui, nous savons que ce raisonnement ne tient pas : la préservation de la biodiversité doit concerner l'ensemble d'un territoire, en interaction avec les activités humaines. Les villes mêmes, comme l'a souligné M. Philippe Bies, ne sont pas des espaces perdus pour la biodiversité. Les indicateurs d'abondance des oiseaux sont d'ailleurs plutôt meilleurs dans les zones périurbaines que dans les no man's land agricoles, tout simplement parce que la diversification des habitats et la présence de ressources alimentaires facilitent l'installation des oiseaux nicheurs. L'idée qu'il y aurait des réserves de biodiversité, comme des réserves d'or à Fort Knox, que l'on pourrait mobiliser en vue d'une restauration dans dix ans, vingt ans ou un siècle, est fausse. Si demain, l'on veut revoir le système agricole de la Beauce en diversifiant les espèces, on ne fera pas venir des ouistitis de Nouvelle-Calédonie, on cherchera plutôt si, à proximité, des espèces adaptées à ce milieu ont été conservées. Nous considérons qu'il faut cultiver ce capital naturel partout au lieu de penser que d'autres, dans d'autres endroits, s'efforcent de le préserver.

Telle est notre position en matière de philosophie générale et d'enjeux de conservation.

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