Intervention de Christophe Aubel

Réunion du 21 octobre 2014 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Christophe Aubel, directeur de Humanité et Biodiversité :

Je vais m'efforcer de répondre aux questions qui n'ont pu être encore abordées, en commençant par la chasse. Il est tentant de renvoyer l'association Humanité et Biodiversité à son ancien nom, « Rassemblement des opposants à la chasse ». Rappelons toutefois que, lorsque le ROC a été créé en 1976, à l'initiative de Théodore Monod, il suffisait d'acheter son permis de chasse pour chasser et qu'aucune espèce n'était protégée. Lorsque le monde de la chasse nous renvoie à cette appellation, c'est pour masquer le fait que, lui, n'a pas évolué autant que nous. Notre association se préoccupe toujours de la chasse, notamment à travers son action juridique. Et je soulignerai que si le Conseil d'État a accepté les recours que nous avons déposés, c'est bien parce que des problèmes de droit se posaient.

Par ailleurs, nous avons été à l'initiative de la table ronde sur la chasse lorsque M. Nicolas Sarkozy était président : c'est nous qui avons demandé à dialoguer avec les chasseurs, fidèles à notre principe de toujours rechercher le consensus et le compromis. Nous avons alors signé des accords avec le monde de la chasse, que nous n'avons jamais reniés. Je note que si l'ONCFS n'est pas intégré dans le périmètre de l'Agence pour la biodiversité, c'est que le monde de la chasse s'y oppose. Par ailleurs, il reste encore des points à régler en outre-mer, en Guyane, notamment, mais la solution ne passe pas forcément par la voie législative. Sachez que nous sommes toujours prêts au dialogue.

S'agissant de l'agriculture, je suis parfaitement d'accord pour dire que la trame verte et bleue ne peut être mise en place sans les agriculteurs. Elle ne consiste nullement à vouloir mettre la nature sous cloche. Pendant le Grenelle de l'environnement, j'ai passé des heures à négocier avec les représentants du monde agricole autour de ces problématiques. Je travaille beaucoup avec la FNSEA pour tenter de trouver des points d'équilibre. Il n'est pas possible de dire que les politiques publiques de la biodiversité se construisent sans le monde agricole : les instances de concertation lui sont toutes ouvertes. La loi relative à la biodiversité l'établit de manière claire et nette : elle prévoit que ses représentants siègent au Conseil national de la biodiversité. Depuis le Grenelle, je vois tout l'intérêt de ce dialogue et je ne cesse d'inviter le ministère de l'agriculture à le pousser aussi loin que le ministère de l'écologie a pu le faire.

Plusieurs questions ont porté sur la loi relative à la biodiversité. Nous considérons qu'elle présente de multiples intérêts et nous demandons qu'elle soit inscrite à l'ordre du jour du Parlement le plus rapidement possible. Votre commission a adopté beaucoup d'amendements qui ont notre faveur, notamment au sujet de l'espace de continuité écologique. Sur d'autres, relatifs à la compensation, nous avons encore quelques incertitudes, nous devons continuer de les étudier.

Quant à l'Agence française pour la biodiversité, nous souhaitons toujours que l'ONCFS y soit intégré. Mais, même s'il est absent, nous soutenons le projet car il faut un opérateur pour accompagner, au niveau des territoires, les collectivités, les socio-professionnels, et les divers acteurs concernés et sensibiliser aux questions relatives à la biodiversité, dans le droit fil de l'action menée par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), qui a grandement contribué à faire émerger la problématique du climat.

Des améliorations devront être apportées à la composition du conseil d'administration de l'Agence, sans doute par voie réglementaire plutôt que par voie législative. L'État représente dans la rédaction actuelle du projet de loi la moitié de ses membres. Nous considérons que sa part devrait être réduite à un quart, pour laisser un autre quart aux collectivités territoriales, et une moitié à tous les autres acteurs, y compris les agriculteurs.

Un autre enjeu lié à l'agence est le PIA. Plusieurs fois l'engagement nous a été donné qu'il financerait des actions liées à la biodiversité et l'Agence elle-même. La réussite de cette instance dépendra des moyens qui lui sont consacrés car si l'on veut qu'elle apporte quelque chose en plus, on ne peut pas se contenter de lui transférer les moyens des établissements qu'elle regroupera.

En matière d'éducation, j'indiquerai seulement que nous travaillons avec le ministère de l'éducation et que nous signerons bientôt un partenariat avec lui. En tant qu'ancien instituteur, je ne peux qu'être convaincu de l'importance des actions éducatives.

S'agissant des banques de compensation, je rappellerai d'abord que la compensation est la dernière étape du triptyque « éviter, réduire, compenser ». Au sein du groupe de travail consacré à ce triptyque auquel nous participons dans le cadre du processus de modernisation du droit de l'environnement, nous avons appelé l'attention sur la mise en oeuvre du principe de l'évitement dans les plans et programmes, notamment les plans locaux d'urbanismes (PLU) et les SCOT, ainsi que sur les améliorations à apporter au principe de réduction dans la réalisation des grands projets.

En matière de compensation, nous ne sommes pas hostiles aux expérimentations. Seulement, nous regrettons que les cinq projets retenus à la suite des appels à projets mis en place par le ministre autour de la compensation par l'offre n'aient donné lieu à aucune concrétisation, d'autant que le projet de loi semble entériner cette idée. Aux États-Unis, où ne se pose pas le problème de la pénurie de foncier, les mitigation banks peuvent fonctionner. En France, créer des actifs sous forme de maîtrise foncière soulève de multiples questions. Ces actifs correspondront-ils aux besoins réels de compensation ? Dans le Grand Ouest, où les zones humides risquent d'être affectées par l'extension de l'agglomération de Rennes ou la construction de la ligne à grande vitesse, nous doutons que les mesures relatives au foncier répondent aux enjeux. Nous considérons qu'il ne faut pas aller trop vite dans ces domaines.

J'en viens à l'aménagement du territoire, en précisant que ce n'est pas nous qui avons mis en avant l'objectif de « zéro artificialisation » mais notre fédération. Nous visons pour notre part un ralentissement des artificialisations, notamment à travers des dispositions fiscales, piste aussi explorée par le groupe de travail que présidait Guillaume Sainteny. Il nous semble qu'au XXIe siècle, l'aménagement du territoire ne doit pas seulement être envisagé dans le cadre d'un plan local d'urbanisme, qui se contente de déterminer là où l'on peut construire ou pas. Nous prônons une manière plus globale de l'envisager, qui repose davantage sur la dimension de projet, au-delà de la simple question de la construction. C'est ce que nous appelons un plan local d'aménagement et de gestion de l'espace (PLAGE), un dispositif qui n'a encore rien d'opérationnel mais qui permet de lancer le débat.

En revanche, nous soutenons le schéma régional de cohérence écologique (SRCE) en tant qu'outil d'aménagement du territoire. Je considère qu'après la loi de 1976, la deuxième grande étape a été la trame verte et bleue, qui donne une autre vision de la préservation de la biodiversité, en en faisant l'une des composantes de l'aménagement du territoire. Couplée aux SCOT, outil très intéressant, elle permet de répondre aux problèmes des arbitrages et des équilibres et d'aller au-delà des cloisonnements. Au niveau local, la loi Grenelle prévoit que les maires doivent préserver et restaurer les continuités écologiques dans les PLU, mais nous déplorons qu'ils manquent d'outils pour bien faire.

À cet égard, le projet de loi de décentralisation nous inquiète. Que les schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDT) reposent sur des schémas uniques environnementaux intégrant les SRCE pose problème : perte d'opposabilité aux plans, choix difficile de l'échelle cartographique pertinente. Or il n'y a pas d'endroit pour débattre de ces questions, raison pour laquelle nous avons proposé que le Conseil national de la trame verte et bleue en soit saisi. Il importe de ne pas détricoter des SRCE qui sont tout juste en train de se mettre en place dans certaines régions. Le co-portage État-région a encore du sens dans cette première étape.

Plusieurs d'entre vous ont parlé de « spirale d'impuissance ». Je ne souscris pas entièrement à cette vision des choses. Hubert Reeves reprend volontiers la formule de Jean Monnet à propos de la construction européenne : « Ce qui est important, ce n'est ni d'être optimiste, ni d'être pessimiste, mais d'être déterminé ». Depuis plus de dix ans que j'occupe ces fonctions, je constate que les choses bougent. Notre réunion d'aujourd'hui en est un bel exemple. La première fois que j'ai appelé des députés pour évoquer les enjeux liés à la biodiversité, la plupart se contentaient de m'écouter poliment, à l'exception, je le dois dire, de M. le président Chanteguet qui m'a toujours prêté une oreille attentive (Sourires). Nous n'en sommes plus là. Beaucoup d'élus et d'entreprises se mobilisent. Certes, au regard de ce qui doit être entrepris pour enrayer la dégradation, il y aurait parfois lieu d'être découragé mais nous sommes toujours mu par notre combat. La sensibilisation au changement climatique a progressé. Pour la biodiversité, cette prise de conscience est moindre. Toutefois, une enquête de 2010 a montré que les Français étaient, avec les Brésiliens, les plus sensibilisés à ces enjeux au niveau mondial.

Concernant le statut de l'animal, notre association a toujours défendu la reconnaissance du caractère sensible de l'animal sauvage. Dans l'état actuel du droit, seuls les animaux ayant un propriétaire sont considérés comme étant dotés de sensibilité. Ainsi le chien est considéré comme un animal sensible mais pas le renard, la chèvre ou le chevreuil. Que l'animal soit considéré comme un bien meuble nous pose également problème, mais nous sommes conscients que la réponse juridique est délicate à élaborer. Il ne faut pas refuser de traiter ce sujet qui trouve un écho de plus en plus large dans la société et en disant cela, je pense à certaines oppositions qui se sont fait jour dans le monde agricole. Toutefois, nous tenons à nous démarquer de certaines associations qui utilisent la violence pour défendre la cause des animaux ou qui prônent une égalité entre humains et animaux.

Autre question : la France est-elle outillée pour répondre aux objectifs définis par la conférence des parties ? Je considère que la loi ne suffit pas. Le problème principal dans notre pays est la stratégie nationale pour la biodiversité : de multiples acteurs – collectivités et entreprises – se sont mobilisés pour déposer des plans mais il n'existe plus de plan interministériel depuis la fin de l'année 2013. Lorsque j'ai évoqué cette question devant Mme la ministre de l'écologie, elle s'y est montrée sensible. Comme le dit souvent Bernard Chevassus-au-Louis, personne ne veut de mal à la biodiversité mais il y a des politiques qui lui font du mal. Tout l'enjeu de la stratégie nationale est de parvenir à ce que les politiques sectorielles, qu'il s'agisse de l'agriculture, de l'urbanisme, de l'industrie, se fassent avec la biodiversité et non pas contre elle.

Enfin, si nous avons insisté sur les questions liées au financement de la biodiversité, c'est qu'elles nous semblent peu débattues. L'élaboration de la loi de transition énergétique s'est accompagnée de réflexions sur son financement, pas celle de la loi sur la biodiversité. Il n'est pas anodin que la conférence bancaire et financière sur la transition énergétique ait changé d'intitulé : elle devait porter initialement sur la transition écologique. Pourtant, le livre blanc supervisé par Dominique Dron comporte des développements consacrés au capital naturel. Nous voulions appeler votre attention sur cet enjeu décisif – l'argent est le nerf de la guerre – car la biodiversité a besoin des politiques pour obtenir des changements. Nous sommes bien évidemment conscients des contraintes budgétaires. Cependant, la somme de 400 millions par an ne nous paraît considérable, surtout si on la compare à l'enveloppe du PIA.

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