Intervention de Bruno Lafont

Réunion du 22 octobre 2014 à 9h00
Commission des affaires économiques

Bruno Lafont, président-directeur général de Lafarge :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie tout d'abord de m'avoir invité à exposer devant votre commission l'actualité de notre groupe, ainsi que tous les projets qui nous attendent dans les mois à venir.

Je suis très fier de diriger un groupe français dont l'histoire a commencé en Ardèche, au Teil, en 1833, à proximité de la grotte Chauvet. L'usine du Teil est toujours en activité, mais cette histoire a connu un prolongement international, à partir de la première moitié du XXe siècle et s'accélérant dans la seconde moitié, faisant de nous le premier groupe mondial de notre secteur d'activité.

Le groupe est établi dans une soixantaine de pays et compte environ 60 000 employés. Plus de la moitié du chiffre d'affaires est produit dans les pays émergents. Le groupe a consacré les dix dernières années à se recentrer sur ses métiers initiaux, à savoir le ciment, le granulat et le béton, et à déployer sa présence internationale.

L'ambition de Lafarge est de contribuer à construire des villes meilleures, en plus accueillantes, plus compactes, plus durables, mieux connectées et plus belles. Contrairement à ce que l'on pense, les sondages montrent que les gens sont très attachés à leurs villes. Les réalisations auxquelles nous participons sont le reflet de ces ambitions. Le MuCEM, à Marseille, est fait avec du béton Lafarge à très haute technologie. C'est le meilleur béton du monde, inventé voici une quinzaine d'années dans notre centre de recherches de L'Isle-d'Abeau. Tout récemment, la Fondation Louis-Vuitton a bénéficié de très belles pièces de ductal, qui est le béton high tech de Lafarge.

En nous recentrant sur notre coeur de métier, en adoptant une nouvelle organisation il y a deux ans et en suivant une stratégie résolument tournée vers l'innovation, nous avons réussi à traverser la période très difficile pour notre secteur qu'a été la crise financière. Une crise financière, en effet, touche d'abord l'investissement, et la construction, c'est de l'investissement. Quand il n'y a plus d'investissement, il n'y a plus de construction, et les économies développées ont beaucoup souffert de la crise.

Nos volumes de ciment ont baissé de plus de 50 % aux États-Unis entre le pic et le creux de la crise. Dans les pays d'Europe, on a observé une baisse de 25 % à 30 %, qui a atteint 80 % dans des pays comme l'Espagne. Cela étant, nous avons réussi à répondre à la croissance des nouveaux marchés. C'est donc l'équilibre de notre portefeuille entre pays développés et pays émergents, et notre effort d'innovation dans les pays développés, qui constituent la part principale de nos activités à venir.

L'histoire de notre groupe est riche. Elle connaît aujourd'hui l'un de ses prolongements les plus importants, avec l'annonce d'une fusion avec Holcim, groupe suisse d'une taille comparable au nôtre. Il est très rare que deux leaders mondiaux, c'est-à-dire le numéro un et le numéro deux d'un même secteur, qui font exactement la même chose, puissent s'unir. Il est surtout très rare que ces deux leaders soient aussi compatibles et aussi complémentaires que nous le sommes. C'est pour cette raison que leur union est possible.

C'est le pari d'une véritable fusion entre égaux que nous sommes en train de relever. Le nouveau groupe sera de très loin, non seulement le plus grand, mais aussi, je l'espère, le plus dynamique et le plus profitable des groupes mondiaux dans ce secteur. Il aura toutes ses racines, européennes – puisqu'il s'agit de deux groupes européens – et françaises, car cette fusion devrait aussi bénéficier à la France. Je rappelle que Zurich est à 80 kilomètres de la frontière française.

L'histoire que nous sommes en train d'écrire est celle des entreprises françaises qui grandissent et qui veulent gagner. Notre projet de fusion doit nous permettre d'atteindre une taille internationale critique pour anticiper les besoins des marchés de la construction et nous développer de manière accélérée en relevant les trois grands défis du XXIe siècle dans notre secteur, à savoir l'urbanisation, le changement climatique et l'innovation.

Le nouveau groupe sera capable d'y faire face parce qu'il aura un portefeuille géographique des plus développés. Nous serons présents dans tous les pays du monde qui comptent, et dans tous ceux où l'on construira plus d'un million et demi de logements par an. En France, nous ne dépassons pas les 400 000 logements dans les bonnes années, et les chiffres sont actuellement très inférieurs. Mais il y a, dans le monde, une quinzaine de pays qui vont construire plus d'un million et demi de logements par an, comme c'était le cas des États-Unis naguère. La Chine en construit 7 à 8 millions, et l'Inde va en construire 6 millions. De grands pays comme le Mexique, l'Indonésie, le Nigéria construisent des logements parce que la démographie augmente et qu'il y a un phénomène d'urbanisation, que la France a connu il y a cinquante ans et que les pays émergents commencent à connaître aujourd'hui.

En ce qui concerne le changement climatique, Lafarge et Holcim sont tous deux en pointe dans les actions menées pour réduire leurs émissions de CO2, réduire celles produites par les bâtiments, et répondre de manière positive aux réglementations, de plus en plus contraignantes en la matière. Nous sommes de gros émetteurs de CO2, car la fabrication du ciment produit une réaction chimique libératrice de CO2, émission que nous essayons de réduire sur nos sites. En outre, avec les bétons que nous fabriquons, nous offrons des solutions permettant de construire des bâtiments de plus en plus efficaces sur le plan énergétique.

Nous travaillons avec tous les pays du monde dans cette optique. Nous sommes favorables à un accord mondial sur le climat, d'abord parce que nous savons comment réduire nos émissions de CO2 – nous les avons diminuées de 26 % entre 1990 et 2013, ce qui est considérable – et ensuite parce que, si cet accord est bon pour la planète, il l'est également pour l'économie et pour le secteur du ciment : si tout le monde est soumis aux mêmes contraintes, nous serons plus compétitifs.

Cette fusion sera un formidable accélérateur d'innovation. Le centre de recherche du nouveau groupe sera en France, au même endroit que celui de Lafarge aujourd'hui, et nous avons, bien entendu, l'intention de le développer. C'est l'un des effets escomptés de la fusion : utiliser l'effet d'échelle pour être en pointe dans le domaine du développement durable. La recherche est donc étroitement liée à notre modèle économique.

Si le rapprochement des deux groupes est utile, nous avons de plus en plus le sentiment qu'il est, de surcroît, réaliste, car Lafarge et Holcim, qui sont deux groupes européens, partagent les mêmes valeurs, ont des objectifs semblables et sont complémentaires. Lorsque nous aurons fusionné, nous serons présents non plus dans soixante, mais dans quatre-vingt-dix pays, avec une couverture très équilibrée qui nous permettra de saisir la croissance là où elle sera, d'anticiper avec succès l'avenir de la construction dans le monde. Ce groupe sera à l'avant-garde de l'industrie des matériaux de construction, grâce à sa présence internationale, à sa capacité d'innovation et à son leadership concernant les questions de développement durable. Nous venons d'ailleurs d'obtenir la meilleure note au classement RSE (responsabilité sociale et environnementale) des entreprises du CAC 40, signe que nos efforts commencent à porter leurs fruits.

Le projet est en bonne voie. Nous avons commencé à travailler pour définir le périmètre du futur groupe, dessiner les contours de notre organisation et en établir les principes de fonctionnement. J'en serai le directeur général, et ferai également partie du conseil d'administration, qui sera composé de sept membres issus de Lafarge et de sept membres issus de Holcim. Nous avons décidé que les fonctions centrales, c'est-à-dire les fonctions dirigeantes du groupe, seraient réparties de manière équilibrée entre Paris et Zurich. Quant au centre de recherche de L'Isle-d'Abeau, près de Lyon, il a déjà été choisi pour être le futur centre de recherche du nouveau groupe, ce qui est une très bonne nouvelle pour la France.

Parallèlement à cette préparation commune et interne, nous répondons à toutes les autorités de la concurrence en matière de désinvestissement. Nous devons notifier les termes de notre fusion à dix-neuf juridictions différentes, l'Union européenne en constituant une à elle seule.

Nous avons déjà reçu six ou sept réponses positives, et avons choisi d'adopter une approche constructive, dynamique et simple. Simple, cela veut dire praticable à la fois pour les autorités de la concurrence, pour les organisations et pour les salariés. Nous privilégions la cession d'entités entières dans un même pays. Holcim et Lafarge, par exemple, sont présents en France. Nous n'avons pas cherché à optimiser, et nous avons décidé de vendre la quasi-totalité des actifs de Holcim pour anticiper les exigences de la Commission européenne.

En Allemagne, c'est l'inverse : Lafarge s'y défera de la totalité de ses actifs. Cela permet à la fois de maintenir l'intégrité des équipes et de montrer notre esprit constructif vis-à-vis des autorités de la concurrence, puisque la fusion ne crée pas de distorsion de concurrence. C'est une assurance de pérennité pour l'activité, pour les salariés et pour les clients ; c'est aussi une garantie de qualité pour les repreneurs. Nous avons dit dès le début que cette fusion n'avait pas pour objet de restructurer nos activités industrielles. La fusion n'entraîne aucune fermeture de site. Il faut seulement procéder à des désinvestissements, car, sur certains marchés, notre part deviendrait trop importante si l'on additionnait les actifs de Lafarge et ceux de Holcim.

En France, en raison de la spécificité de nos implantations et de notre longue histoire, nous allons conserver toutes les activités de Lafarge, ainsi que celles de Holcim dans le Haut-Rhin. Seules quelques petites implantations à La Réunion devront être cédées. Ce sont des actifs industriels performants, qui ne seront pas cédés pour être fermés, mais achetés par quelqu'un qui essaiera de s'implanter en Europe, notamment en France. L'impact sur l'emploi industriel sera donc extrêmement limité.

Nous avons déjà reçu beaucoup de marques d'intérêt d'un grand nombre d'acheteurs potentiels sérieux. Ce sont soit des acteurs industriels, soit des acteurs financiers, qui devront toutefois être agréés par les autorités compétentes.

Le nouveau groupe aura des racines fondamentalement européennes, avec une capacité de projection internationale et un savoir-faire inégalé, puisqu'il résultera de la fusion des deux meilleurs groupes du monde dans leur secteur.

Par nature comme par culture, nous sommes européens. Notre base est et demeurera en Europe : en Suisse et en France. Les années récentes ont été difficiles en Europe, et nous connaissons encore aujourd'hui une situation difficile. En France, nous nous efforçons d'améliorer notre compétitivité. Les activités de Lafarge sur le territoire national représentent plus de 10 % de son chiffre d'affaires, ce qui, pour un groupe présent dans soixante pays, est considérable. Ce n'est pas seulement une question de volume, c'est une question de valeur apportée à nos clients. La France est à la pointe de l'innovation et a la capacité de développer les meilleures solutions pour nos clients.

Nous continuons à investir en France. Nous avons récemment acheté une station de broyage dans le port de Saint-Nazaire. Certains facteurs de compétitivité dépendent de nous, d'autres moins. Pour préserver et améliorer tous ces facteurs, nous devons poursuivre nos efforts, mais aussi entretenir un dialogue plus fréquent et plus approfondi avec les pouvoirs publics. C'est ce que nous faisons aujourd'hui.

J'espère que vous partagez avec moi l'idée que l'industrie demeure une contribution essentielle à la croissance et l'emploi. Sans industrie et sans investissement, il y a moins de croissance, donc moins d'emploi. L'activité cimentière est particulièrement intéressante en ce qu'elle est, par nature, locale. Si nous pouvons être compétitifs localement, l'idéal est de produire le ciment le plus près possible des zones de consommation, car le coût du transport fait doubler celui du produit lui-même tous les 200 kilomètres. Le transport du ciment pose un problème écologique, sauf lorsqu'il s'effectue par voie d'eau, ce que nous faisons d'ailleurs entre Paris et Le Havre. Il y a des centrales à béton tout au long de la Seine, et tous les cailloux viennent de carrières situées au bord de l'eau. C'est là un mode de transport très écologique, mais ce n'est pas le cas partout.

J'en viens à trois sujets qui concernent directement notre activité en France.

Premièrement, l'énergie est un vrai enjeu de compétitivité en France, par rapport à des pays où l'énergie est moins chère et par rapport à nos concurrents européens. Aujourd'hui, le coût de l'électricité est, chez nous, nettement supérieur à ce qu'il est en Allemagne pour les entreprises, Nous sommes une industrie électro-intensive, et les hausses de tarifs qui s'annoncent seront extrêmement pénalisantes pour notre industrie.

Deuxièmement, il faut mettre l'accent sur l'innovation pour construire des bâtiments d'une plus grande efficacité énergétique et utiliser des matériaux plus « verts », tout en respectant certains équilibres. Il ne faut pas, cependant, avoir d'idées préconçues quant au matériau qu'on va employer : il faut plutôt rechercher la performance, car c'est elle qui pousse l'entreprise à innover. Si vous partez du principe qu'il faut utiliser du bois ou du béton, vous cantonnez l'innovation au matériau choisi. Aujourd'hui, certains avantages sont accordés à des matériaux comme le bois. C'est une rupture d'égalité, qui peut être lourde de conséquences. Je n'ai rien contre le bois,…

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