Intervention de Bruno Lafont

Réunion du 22 octobre 2014 à 9h00
Commission des affaires économiques

Bruno Lafont, président-directeur général de Lafarge :

Nous voulons réussir et essayons de rendre le dialogue le plus productif possible, sans critiquer les fonctionnaires de la Commission européenne qui font un travail très professionnel.

Lafarge s'est depuis longtemps engagé en faveur du développement durable. C'est cette tradition que j'ai renouvelée en lançant les « Ambitions 2020 », qui ont trait aux émissions de CO2, à l'économie circulaire, à la responsabilité sociale et au développement économique des pays où nous sommes présents. Ce dernier axe comprend notamment la création d'emplois, une des missions de l'entreprise industrielle. J'ai également pris des engagements personnels : responsable du pôle « développement durable » du MEDEF et président du groupe de travail « énergie et climat » de la table ronde des industriels européens, je suis également membre du conseil mondial des entreprises pour le développement durable. Lafarge fait enfin partie des fondateurs de la Cement Sustainable Initiative ; dans le cadre de cette approche sectorielle – unique parmi les industriels –, plusieurs cimentiers se sont fédérés sous la tutelle d'un organisme garantissant la légalité de la démarche pour évaluer, planifier et réaliser une réduction d'émissions équivalente aux rejets d'un pays comme la Suisse. Il s'agit d'un exemple qu'il faut mettre en avant dans les négociations internationales.

Désormais, l'environnement ne représente plus une contrainte, mais une opportunité. Le changement climatique et l'urbanisation constitueront les deux défis du siècle, et les premiers à inventer les réponses gagneront davantage. Réduire son empreinte carbone impose un coût, mais vendre des solutions permet de réaliser des gains : si le ciment émet du CO2, le béton peut contribuer à le réduire. Lafarge est le seul cimentier au monde à avoir investi autant d'argent dans la recherche sur ce matériau qui a énormément progressé ces dernières années, et qui peut progresser encore. En dix ans, nous avons déposé 1 000 brevets correspondant à 150 inventions telles que les bétons isolants de structure. Nous espérons développer un jour un béton tellement isolant qu'il permettra de se passer de laine de verre. Les bétons à valeur ajoutée représentent aujourd'hui 50 % de nos volumes vendus en France ; les produits innovants de Lafarge, lancés il y a moins de cinq ans, pèsent 10 % à 15 % dans notre chiffre d'affaires. Cette dynamique d'innovation nous permettra de proposer des solutions surprenantes, qui conviendront tant à la rénovation – où l'on pourra par exemple utiliser les chapes autonivelantes actuellement développées – qu'à la construction neuve.

Nos recherches s'organisent autour de deux axes : la construction durable et la construction abordable. En effet, des variétés de béton – démoulées en deux heures ou lieu de douze – peuvent permettre de réduire les coûts de la construction. Nos programmes en matière d'innovation visent à trouver des solutions partout dans le monde pour le bas de la pyramide ; les personnes qui ne peuvent pas se payer un logement décent représentent pour nous un marché auquel on doit apporter une offre adaptée. Nous menons des actions dans les bidonvilles de Rio de Janeiro et de l'Inde ; en mélangeant du ciment avec de la terre végétale, nous développons des produits durables et bon marché pour construire des maisons en Afrique subsaharienne, à l'aide de petites machines à briques que nous fournissons. En France, l'expérience que nous conduisons à Bègles – qui allie construction durable et compacité des villes – permet de développer des logements abordables grâce à un système de plateaux en béton, organisés par lot, une famille pouvant construire de manière modulaire 25, puis 50, puis 75 m2, avec les matériaux de son choix. Le plateau fait six étages et peut donc être installé dans un centre-ville, à proximité des transports publics et des écoles. Dans le cadre de nos objectifs de développement durable, nous avons pris l'engagement d'offrir des logements abordables à 2 millions de personnes d'ici 2020.

Parmi nos ambitions en matière de développement durable, nous souhaitons qu'une partie de nos bétons contienne des matériaux recyclés – un défi difficile car peu de déchets s'y prêtent. On le fait d'ores et déjà sur les routes ; dans plusieurs parties du monde – notamment à Marseille ou à Montréal – on propose non seulement d'amener du béton sur un chantier, mais également de reprendre le béton démoli pour le retraiter dans une carrière et le réutiliser ailleurs.

Notre politique consiste à réduire nos consommations énergétiques et à faire évoluer notre mix de combustible. Une cimenterie utilisant à la fois de l'électricité et du fioul, nous essayons de développer des fiouls alternatifs issus des déchets végétaux – tels que les coques de café –, des plastiques ou des boues usées. Dans le mix énergétique du groupe, le fioul alternatif est passé de moins de 10 % à plus de 20 % ; notre objectif est d'atteindre 50 %, ce qui aura un impact sur la comptabilisation de nos émissions de CO2. Il y a cinq ans, nous progressions d'un point par an ; cette année, nous progresserons de trois points. Cette accélération est le fruit d'une politique déterminée menée dans le monde entier. Ainsi, en France, la part du fioul alternatif est passée de 30 % à 40 %, et doit à terme monter à 60 %. En Allemagne, elle représente d'ores et déjà 80 % : la directive européenne sur la mise en décharge des déchets y étant appliquée de manière plus stricte qu'en France, il y est plus avantageux d'amener certains déchets à la cimenterie que de les mettre en décharge. Cette disparité des pratiques retentit sur notre compétitivité face à l'Allemagne ; s'il faut préférer les transitions graduelles aux changements brutaux, on peut envisager des évolutions réglementaires.

Le rôle des gouvernements étant d'inciter les acteurs à emprunter la bonne direction, le principe de l'écotaxe me semble – à titre personnel – tout à fait acceptable. Mais l'efficacité ou le rejet du dispositif dépendent de la manière dont il est mis en oeuvre. Pour réduire le CO2 produit en Europe, on peut soit développer la compétitivité de nos industries qui leur permettra de diminuer leurs émissions, soit remplacer nos productions par des importations non contrôlées et accompagnées de dumping. Dans ce cas pourtant, le volume de CO2 émis dans le processus de fabrication sera plus fort que si l'on continue à produire en Europe. Quant à l'écotaxe à l'importation – qui provoquerait des rétorsions sur les exportations –, elle a peu de chances d'être acceptée par les Allemands. Dès lors, seul un accord mondial peut régler le problème, mais, si chacun reconnaît la nécessité d'agir sur le climat, les solutions – telles que l'écotaxe – restent complexes. La Chine, confrontée à la pollution massive de l'air à Pékin, découvre les opportunités de réduction de ses émissions ; mais tous les pays émergents – qui abritent la plus grande partie de la population – ne semblent pas prêts à prendre de telles mesures. La possibilité d'un accord mondial apparaît donc incertaine.

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