L'affluence d'aujourd'hui prouve l'intérêt de votre Commission pour cette ancienne et vénérable institution qu'est la Caisse des dépôts et consignations. Ses résultats, en 2013 et au premier semestre de 2014, attestent la solidité de son modèle, dans un contexte économique qui reste difficile.
Au premier semestre 2014, le résultat net consolidé du groupe s'élevait à 1 milliard d'euros et son niveau de fonds propres consolidés à 21,9 milliards d'euros – 28,6 milliards en incluant les gains latents. Ces résultats, la Caisse les doit surtout à la performance de la gestion financière de la section générale – dirigée par M. Mareuse, dont nous espérons donc qu'il poursuivra dans cette voie. Certaines filiales sont productives, à l'instar de la Caisse nationale de prévoyance et de la Compagnie nationale du Rhône, mais des rigidités demeurent. Par décision de l'État, la Caisse s'est vu adjuger une part des capitaux de La Poste – 26 % –, de la Société de financement local – SFIL – et de la Banque publique d'investissement – BPI : autant de participations dont je vous laisse imaginer le rendement...
L'épargne réglementée a fait l'objet d'une réforme en 2013 ; 30 milliards du livret A ont été placés dans les banques, sans résultat apparent pour les petites et moyennes entreprises ; en tout cas, la commission des Finances ne dispose pas d'évaluation sur ce point.
Nous rencontrons aujourd'hui un problème de collecte, au demeurant traditionnel à cette période de l'année ; il n'a donc rien d'alarmant, même si la « décollecte » atteint - 790 millions d'euros sur les neuf premiers mois de l'année. Le fonds d'épargne, qui finance principalement le logement social et les collectivités publiques, représente aujourd'hui un encours de prêts de plus de 160 milliards d'euros, en progression de 12 à 13 milliards par an. Le reste des 250 milliards déposés par les épargnants ne « dort » pas, contrairement à ce que l'on entend souvent dire : il est placé en actions et en obligations, donc injecté dans l'économie ; ce faisant il garantit la liquidité du fonds d'épargne. Bref, tout l'argent du fonds d'épargne est utilisé, ce qui n'est d'ailleurs pas chose aisée au vu du niveau des taux.
D'aucuns appellent la Caisse à telle ou telle intervention au motif qu'elle utiliserait l'argent des contribuables, ce qui est faux : depuis sa création, en 1816, elle n'a pas reçu pas un euro des contribuables ; en revanche, elle a alimenté par milliards le budget de l'État, via les différents mécanismes de prélèvements sur les résultats de la section générale et ceux du fonds d'épargne. On peut aussi s'interroger sur le fait qu'elle soit mentionnée dans les participations financières de l'État, puisque celui-ci ne possède, non plus que nul autre, aucune action de la Caisse : c'est là un détail qui avait échappé au Premier président de la Cour des comptes dans le rapport de la Cour sur la situation et les perspectives des finances publiques.
La Caisse, dit-on, serait aussi le « bras armé de l'État ». Il est vrai qu'elle sert comme lui l'intérêt général, mais elle fait l'objet de réformes régulières, et son directeur général est désormais nommé pour cinq ans en Conseil des ministres, nonobstant le code monétaire et financier qui la place sous l'autorité du Parlement : de quoi faire se retourner Montesquieu dans sa tombe ! Et si cette nomination est désormais soumise à l'aval des commissions parlementaires compétentes, le fait majoritaire ne laisse guère de doutes sur le résultat du vote. Aux termes d'une ordonnance du 14 décembre 2000, le projet de budget de la Caisse, « revêtu de l'avis de la commission de surveillance », est « approuvé » par le ministre des finances : est-ce normal, au regard de la séparation des pouvoirs ? Enfin, depuis 2008, la loi de modernisation de l'économie fait obligation à la Caisse de concourir aux politiques publiques conduites par l'État. Au reste, lorsque l'on parle de « l'État », il faut en réalité entendre la direction du Trésor, dont la volonté de mainmise est de plus en plus évidente.
Bien que je préside la commission de surveillance depuis plus de deux ans maintenant, je suis loin de connaître tous les contours du groupe ; en tout cas, j'ai le sentiment que l'autorité législative ne joue pas entièrement son rôle : la surveillance qui lui incombe est plus formelle que réelle. La composition de la commission de surveillance est d'ailleurs très hétéroclite : on y trouve des représentants d'organes de contrôle, notamment la Cour des comptes, ainsi que le sous-gouverneur de la Banque de France par ailleurs membre du collège de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution – ACPR –, ou encore le président de la chambre de commerce et d'industrie – CCI – d'Île-de-France – pourquoi pas des autres CCI ?
Ce problème de gouvernance justifierait, à l'occasion du bicentenaire, la création d'un groupe de travail parlementaire – quitte à y associer dans un second temps l'administration –, non pour des enjeux de pouvoir mais parce que ce problème a des conséquences, la première d'entre elles étant le niveau du prélèvement de l'État, qui cette année atteint le taux de 87 % du résultat consolidé – hors prélèvement sur le fonds d'épargne. Le Conseil constitutionnel, rappelons-le, estime à 50 % le niveau du taux confiscatoire... Je comprends qu'en ces temps difficiles, l'État cherche des ressources ; mais un tel prélèvement a un impact sur la gestion même de la Caisse : on lui reproche parfois de ne jamais vendre, mais elle n'a aucun intérêt à le faire puisque la quasi-totalité des plus-values réalisées vont alors directement à l'État. D'une façon générale, la Caisse n'oeuvre pas pour ses propres intérêts et, contrairement aux autres établissements financiers, ne peut pas faire appel à des actionnaires ; si bien qu'en 2014 elle n'a toujours pas retrouvé le niveau de fonds propres qui était le sien avant 2008, même si elle s'en est approchée de 400 millions au premier semestre de cette année. S'il est normal qu'elle contribue au budget de l'État, et dans des proportions plus importantes que les autres sociétés, le taux de prélèvement de 87 % mérite réflexion.
La Caisse reste, en tout cas, le principal financeur du logement social, et son rôle au service de l'intérêt général me paraît indiscutable ; aussi mettrai-je la réforme de sa gouvernance au centre de mon prochain rapport. Soit dit en passant, le taux de prélèvement appliqué à la Kreditanstalt für Wiederaufbau – KfW –, son équivalent approximatif en Allemagne, n'est que de 5 %, et celui de la Cassa depositi i prestiti italienne, de 47 %. Son homologue espagnole, l'Instituto de credito official (ICO), est imposée à un peu plus de 20 %. La Caisse des dépôts, il faut toujours le rappeler, n'est pas l'outil financier d'une sous-direction du Trésor.
L'État, ou plutôt la direction du Trésor, justifie par ailleurs le prélèvement de 100 % sur l'excédent de fonds propres du fonds d'épargne – 733 millions d'euros en 2013 – par la garantie apportée au livret A ; mais l'État garantit aussi les 130 milliards déposés dans les banques commerciales, et n'opère aucun prélèvement sur les excédents générés. On nous explique que, d'un côté, la garantie porte sur le fonds d'épargne et, de l'autre, sur les particuliers : ce raisonnement sophistiqué n'a ni queue ni tête... Bref, le bicentenaire pourrait être l'occasion de rationaliser la gouvernance, dont j'ai la faiblesse de penser qu'elle est loin d'être optimale.