Intervention de Pierre-René Lemas

Réunion du 22 octobre 2014 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre-René Lemas, directeur général du groupe Caisse des dépôts :

Par le fait je n'ai pu, en seulement cinq mois de direction générale, optimiser la gouvernance ; mais nous accueillerions avec plaisir le renforcement du contrôle parlementaire. La commission de surveillance, qui se réunit tous les quinze jours, joue d'ailleurs son rôle avec efficacité et bienveillance. Une telle procédure, inhabituelle dans le monde financier, ne peut être qu'un stimulant ; les sujets que vient d'évoquer M. Emmanuelli méritent donc d'être mis sur la table.

Je suis heureux, quoi qu'il en soit, de me retrouver devant vous cinq mois après que vous m'eussiez accordé votre confiance. Je reviendrai brièvement sur notre bilan d'activité pour 2013 et le premier semestre de 2014, avant de tracer les grandes pistes de travail pour 2014-2015.

En 2013, le résultat net consolidé du groupe a atteint 2,1 milliards d'euros, après une perte de 454 millions d'euros en 2012 – dans les deux cas, cela tenait à des facteurs exceptionnels. Le résultat récurrent s'établit à 1,35 milliard, en léger recul par rapport à 2012, du fait notamment du niveau historiquement bas des taux d'intérêt. Quant au fonds d'épargne, le résultat atteint 900 millions avant dotation pour risques bancaires. La réforme de l'épargne réglementée de juillet 2013 a entraîné la décentralisation de 30 milliards d'encours au profit des banques, mais la collecte est restée positive.

L'année 2013 a été marquée par un niveau record de prêts, 21 milliards d'euros au total, dont 16,4 milliards au service du logement social et de la politique de la ville. Ces prêts ont permis de financer 110 000 nouveaux logements sociaux et 253 000 réhabilitations. L'an dernier a également été ouverte une enveloppe de 21 milliards pour les prêts de long terme aux collectivités locales, avec des conditions qui, restrictives au cours du premier semestre, ont été assouplies en juillet 2013.

Plusieurs grands dossiers ont par ailleurs abouti en 2013, à commencer par la mise en place effective de la BPI, dans laquelle la Caisse a investi près de la moitié de ses fonds propres. Le groupe a aussi continué de s'engager au service du développement économique de notre pays : il est resté le premier investisseur en capital dans des projets d'infrastructures, pour un montant total de 4,1 milliards, et le premier investisseur institutionnel dans le capital des entreprises. Les portefeuilles de la section générale et des fonds d'épargne cumulés, notre engagement représentait, au 31 décembre 2013, plus de 30 milliards d'euros en actions françaises.

Nous avons également renforcé notre partenariat avec les fonds souverains. Lundi dernier a ainsi été installé le siège de l'Institutional investors roundtable, l'IIR, club d'investisseurs internationaux que nous avons cofondé. C'est là une réalisation importante, sur le plan symbolique comme sur le plan pratique.

La Caisse est aussi restée, en 2013, le premier financeur du logement social. Outre les chiffres déjà cités, notre action en ce domaine a été réaffirmée à travers différentes mesures : éco-prêt à 0,5 % – soit le taux le plus bas du marché : je vous le laisse comparer au niveau de la ressource –, prime exceptionnelle de 120 millions pour les bailleurs et, enfin, partenariat avec l'UESL-Action logement, pour une enveloppe de 3 milliards de prêts. L'enveloppe de 20 milliards d'euros pour le secteur public local a été soutenue par un accord de coopération signé en juin dernier avec la Banque européenne d'investissement – BEI. Rappelons enfin que les chiffres de 2013 auraient dû vous être présentés en juillet dernier.

Les chiffres du premier semestre 2014 ont été publiés le 10 octobre dernier. Le résultat consolidé du groupe s'établit, pour cette période, à un peu plus d'1 milliard d'euros, en progression de 6 % par rapport au premier semestre 2013 ; le niveau des fonds propres consolidés, hors gains latents, se monte à 21,9 milliards.

La Caisse a bénéficié de la dynamique du marché des actions, bien orienté jusqu'en juin – mais ce n'est plus le cas depuis la rentrée. Ce mouvement a soutenu l'activité financière de la section générale. La contribution de l'établissement public au résultat net consolidé s'établit à 447 millions d'euros au 30 juin 2014, et celle des filiales et participations stratégiques progressent de 563 millions. Parmi les filiales, CNP Assurances reste le principal contributeur, avec 232 millions. Cette filiale est et demeurera un actif stratégique pour le groupe. Nous resterons aussi vigilants sur les discussions en cours avec le groupe Banque populaire Caisses d'épargne – BPCE – et La Banque postale, puisque les accords commerciaux de distribution des produits arriveront à échéance au 31 décembre 2015. Quant à Bpifrance, elle contribue, un an après sa création, à hauteur de 153 millions d'euros au résultat consolidé du groupe.

Ce résultat traduit la bonne performance opérationnelle de l'ensemble des métiers du groupe, dans un contexte économique peu favorable. Notre capacité de résistance, forte, ne doit cependant pas masquer la réalité du rétrécissement de nos marges de manoeuvre. La conjoncture actuelle, dans laquelle se conjuguent une faible inflation, une croissance insuffisante et des taux d'intérêt extrêmement bas, entame notre capacité à générer du résultat. Bien que très solide, la Caisse reste dépendante du marché des actions, par essence très volatil.

Notre modèle est en outre assis sur les dépôts des professions juridiques réglementées, à hauteur de 37 milliards d'euros, dont 23 milliards pour les notaires. Ces dépôts, qui représentent un tiers du bilan de notre section générale, contribuent donc grandement à notre capacité d'action à long terme. Aussi sommes-nous très attentifs aux débats en cours sur les professions juridiques.

Dans un tel contexte, la capacité de reconstitution de nos fonds propres est loin d'être une question anodine, puisque la Caisse n'a pas d'actionnaires et qu'elle est soumise au prélèvement de l'État – prélèvement dont les modalités obéissent d'ailleurs à des motifs juridiques distincts. Même avec de bons résultats, nous ne sommes pas en mesure d'augmenter nos fonds propres, contrairement à l'ensemble des établissements financiers, qui ont pu être recapitalisés depuis la crise. Cette particularité, qui pèse sur notre modèle économique, nous conduit à être plus sélectifs dans notre action : je m'en étais déjà expliqué devant vous il y a cinq mois.

Comme je l'avais alors indiqué aussi, je souhaite que la Caisse maintienne le cap fixé par mon prédécesseur, et mette en oeuvre ses orientations stratégiques tout en renforçant la cohérence de ses choix. Notre horizon est formé par une double orientation : la transition énergétique – qui, comme son nom l'indique, doit substituer un nouveau modèle économique à l'ancien – et le développement du numérique, deux chantiers comparables, en importance, à la reconstruction, à l'aménagement du territoire ou, plus récemment, à la politique de la ville. Les investissements et les territoires constituent enfin nos deux domaines prioritaires.

J'en viens donc au soutien à l'investissement public local. La Caisse gère, avec le fonds d'épargne, 250 milliards d'euros de ressources centralisées du livret A, dont 150 milliards dédiés à des prêts de très long terme au logement social et aux collectivités. Quant au portefeuille financier, de 100 milliards, il est à l'image d'un portefeuille d'assurance-vie – 12 milliards d'actions, 1 milliard d'investissements dans le non coté. La Caisse intervient donc dans l'activité économique, par ce portefeuille comme par le fonds d'épargne. En tout état de cause, elle est consciente de sa capacité d'impulsion pour dynamiser l'investissement local au sein des territoires.

Elle est, en premier lieu, redevenue prêteur de long terme pour les projets locaux. Je le répète, une enveloppe exceptionnelle de 20 milliards d'euros – qui a pris le relais de celles dédiées, au cours des années précédentes et à la demande des pouvoirs publics, au soutien des investissements locaux – a été ouverte pour la période 2013-2017, dont 5 milliards dévolus aux prêts dits de « croissance verte », à taux d'intérêt plus faibles. Cette enveloppe permet de financer les projets d'équipements de long terme des collectivités à des conditions toujours avantageuses – taux du livret A majoré de 1 %, soit 2 % – et sur des durées très longues, pouvant dépasser les quarante ans.

Jusqu'à 1 million d'euros, la Caisse finance 100 % du besoin d'emprunt, et 75 % de 1 à 2 millions. Compte tenu de conditions d'emploi à l'origine très restrictives, mais assouplies depuis juillet 2013, l'enveloppe commence seulement à être consommée, à hauteur de 6,6 milliards, qui ont pu financer quelque 350 projets d'équipements publics.

M. Philippe de Fontaine Vive, vice-président de la BEI, et moi avons annoncé, lors du congrès des régions de France à Toulouse, la conclusion d'un protocole d'accord aux termes duquel les directions régionales de la Caisse deviendraient progressivement les points d'entrée, en région, pour l'accès aux financements de la BEI.

La Caisse renforcera aussi son rôle d'investisseur en fonds propres dans les projets locaux. En 2013, nous avons consacré près de 370 millions d'euros d'investissement dans les territoires, en plus de nos investissements dans les infrastructures, notamment d'énergie et de transport. Nous nous heurtons cependant, comme les investisseurs privés, à la raréfaction des ressources subventionnées et, élément trop peu souligné, à une complexité croissante en matière d'ingénierie financière.

De ce point de vue, notre troisième objectif est de devenir un pivot en matière d'ingénierie technique, juridique et financière auprès des collectivités. Pour la rénovation énergétique des bâtiments publics, qui est souvent une course d'obstacles, notre filiale Exterimmo apporte ainsi aux collectivités une solution clefs en main. La Caisse pourrait également jouer un rôle d'agrégateur de projets de même nature développés par plusieurs collectivités, afin d'optimiser les conditions de financement.

Enfin, nous entendons développer des outils de financement innovants, tels le project bond, le premier du genre en France, sur le numérique. Il a d'ailleurs montré son efficacité dans les heures qui ont suivi l'émission d'obligations sur le marché européen. Ce nouveau positionnement de la Caisse a motivé une réorganisation interne, avec le rattachement des directeurs régionaux au directeur général.

Conformément à son rôle contracyclique, la Caisse a défini des priorités sectorielles, avec ces deux fondamentaux que sont le développement des entreprises et le logement. La BPI a accompagné près de 80 000 entreprises l'an dernier, et accordé 10 milliards de prêts. Si j'ai souhaité prendre la présidence de la BPI, c'est pour assurer sa cohérence avec la Caisse, mais aussi pour l'inciter à renforcer sa présence sur les territoires, auprès des PME et des PMI.

La Caisse n'a toutefois pas abandonné son rôle à la BPI ; elle demeure le premier investisseur dans les PME cotées, à hauteur de 1,4 milliard l'an dernier, et a créé, en lien avec CNP Assurances, des fonds destinés au financement des PME et des PMI : Nova, Novo et bientôt Novi. Ces fonds ont vocation à mobiliser les crédits publics et les investisseurs institutionnels pour assurer, via des prêts etou des fonds propres, le financement de PME et ETI innovantes dans l'industrie et les services.

La Caisse reste par ailleurs le premier financeur du logement social. Elle a créé, cet été, avec des investisseurs institutionnels – dont CNP Assurances –, le fonds Argos, le premier du genre dédié au logement intermédiaire, pour un objectif de 10 000 réalisations. En août dernier, le Gouvernement a annoncé la construction de plus de 30 000 logements intermédiaires en zone tendue, où certains ménages ont des ressources supérieures au plafond fixé pour les habitations à loyer modéré, tout en restant insuffisantes au regard du loyer le plus bas sur le marché privé. La Caisse mobilisera quelque 900 millions d'euros en fonds propres, selon un dispositif juridique que nous sommes en train de concevoir.

Sur la transition énergétique, notre engagement est bien réel, avec 2 milliards d'éco-prêts sur fonds d'épargne pour la réhabilitation des logements sociaux. Nous avons aussi investi pour l'équivalent de 1 000 mégawatts d'énergies renouvelables, sans compter notre participation de 33 % dans la Compagnie nationale du Rhône, dont on a fêté les quatre-vingts ans récemment.

J'ai par ailleurs évoqué l'enveloppe de 5 milliards dévolue aux prêts de « croissance verte » à taux préférentiel – taux du livret A augmenté de 0,75 %. Nous nous efforçons aussi de devenir des opérateurs de tiers investissement – puisque le « tiers financement » proprement dit sera institué par la loi de transition énergétique – et de développer nos capacités d'ingénierie technique, juridique et financière dans les territoires, par exemple dans le cadre des territoires à énergie positive.

Quant aux métiers historiques de la Caisse, ceux de mandataire et de dépositaire, ils concernent tant la gestion des régimes de retraite – puisque la Caisse, je le rappelle, gère la retraite d'un Français sur cinq – que notre partenariat avec les professions juridiques, et ce depuis 1816. Nous souhaitons rester un partenaire de confiance, et devenir un acteur de référence en matière de gestion publique. Nos équipes sont particulièrement mobilisées sur des chantiers majeurs et complexes : la gestion, en 2014, du compte personnel de formation pour 25 millions de bénéficiaires, et celle, en 2015 et 2016, des comptes bancaires inactifs et des contrats d'assurance-vie en déshérence, gestion que nous ont respectivement confiée les lois du 5 mars 2014 et du 13 juin 2014. Nous réfléchissons aussi, avec les fonds de retraite, à la façon de mieux orienter les financements vers l'économie productive.

La Caisse des dépôts, je le répète, n'est ni une banque, ni un établissement financier, ni une holding à objet indéterminé, mais une grande institution financière qui, placée sous le contrôle du Parlement, n'a d'autre objectif que l'intérêt général.

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