Intervention de Sylvie Tolmont

Réunion du 28 octobre 2014 à 16h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvie Tolmont, rapporteure pour avis des crédits de la mission « Enseignement scolaire » :

Je commencerai par quelques éléments de contexte avant de présenter les pistes de réflexion développées dans ce rapport qui porte en effet, monsieur le président, sur les sections SEGPA et les EREA à l'heure de la refondation de l'école.

Les SEGPA et les EREA scolarisent, à partir de la classe de sixième, des élèves présentant des difficultés graves et durables d'apprentissage et ne maîtrisant pas toutes les compétences attendues à la fin du CE1.

Ces deux structures se distinguent toutefois sur un point essentiel. Les premières, qui accueillaient 94 384 élèves à la rentrée 2013, font partie intégrante des collèges. Les secondes, en revanche, sont des établissements publics locaux d'enseignement (EPLE) qui scolarisent des élèves – 10 250 l'année dernière – présentant des difficultés comparables à celles des élèves de SEGPA mais dont la situation personnelle justifie un hébergement en internat.

Le positionnement et le fonctionnement mêmes de ces structures contredisent deux grands objectifs corrélés que posait la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, à savoir la réaffirmation du collège unique et la promotion de l'école inclusive.

En outre, le nouveau cycle regroupant le CM1, le CM2 et la sixième remet en question la pertinence d'une orientation vers l'enseignement adapté à l'issue du CM2. C'est autour de cette première grande réflexion que s'articulent les questions posées dans ce rapport.

Toutefois, l'examen de la situation des SEGPA et des EREA suppose que l'on dépasse le cadre de cette première interrogation, dont les contours doivent du reste être nuancés. En effet, les objectifs poursuivis par ces structures et les bénéfices indéniables qu'elles apportent à des élèves, qui relèvent tous de la grande difficulté scolaire, sont d'une telle évidence qu'ils ne permettent pas de réduire la question à une simple contradiction avec des principes. L'organisation de dispositifs dérogatoires permet effectivement d'offrir un cadre bienveillant à ces élèves.

Comme le montre le tableau figurant en page 15 du rapport pour avis, les élèves de SEGPA sont ceux qui souffrent des plus grandes inégalités en termes d'apprentissages et de statut socio-économique. La classe de cours préparatoire (CP) a pesé très lourdement sur leur « destin scolaire » : 84 % d'entre eux ont redoublé leur CP.

Quant aux élèves des EREA, leur situation est avant tout synonyme de fragilité exceptionnelle. Pour reprendre les propos entendus lors de ma visite à l'établissement de Bonneuil-sur-Marne, les jeunes qui y sont scolarisés sont souvent « abîmés » par la vie.

Face à ces publics très particuliers, les structures adaptées disposent de réels atouts. J'en citerai trois :

– d'abord, un taux d'encadrement optimal par rapport aux conditions d'enseignement ordinaires du second degré. Pour les SEGPA, ce taux est la résultante d'une norme nationale fixant le nombre maximal d'élèves par classe à seize, ce plafond étant d'ailleurs rarement atteint. Dans les EREA, on compte en général un adulte pour deux élèves, un taux d'encadrement évidemment exceptionnel qui explique la quasi-absence de décrochage dans ces établissements ;

– ensuite, la présence d'équipes enseignantes qui comprennent des spécialistes de la grande difficulté scolaire et qui se concertent chaque semaine, ce qui permet une réelle mise en cohérence des apprentissages ;

– enfin, dans les EREA, une articulation entre les activités éducatives de l'internat et le projet pédagogique de l'établissement, qui permet de prendre en charge l'enfant ou l'adolescent dans sa globalité.

Ce cadre protecteur favorise de facto la personnalisation de la réponse apportée à la situation de chaque élève.

Malgré ces atouts, l'enseignement adapté reste critiquable ou fragile sur certains points.

Premièrement, la procédure d'orientation vers ces structures, qui repose sur les commissions départementales d'orientation vers les enseignements adaptés (CDOEA), donne trop de place aux tests psychométriques et au préjugé selon lequel il existerait un « profil d'élève de SEGPA », et prend insuffisamment en compte les acquis scolaires. En outre, une fois l'orientation vers la SEGPA établie, les dossiers des élèves ne sont plus réexaminés en cours de scolarité, ce qui empêche toute sortie de cette filière et toute réintégration dans le cursus ordinaire.

Deuxièmement, les élèves de SEGPA et ceux du collège pratiquent très rarement des activités communes alors qu'ils sont scolarisés dans le même établissement, ce qui accentue le déficit de connexion entre SEGPA et collège. Des points de rencontre réguliers entre la SEGPA et d'autres enseignants, d'autres élèves, d'autres disciplines, ne pourraient qu'encourager les possibles retours des élèves de SEGPA dans le parcours classique.

Les EREA, quant à eux, vivent trop souvent en vase clos, n'ayant que très peu de contacts ou d'échanges avec les collèges et lycées professionnels voisins.

Troisièmement, si le taux de spécialisation des enseignants d'EREA et de SEGPA est encore assez élevé, les départs en formation pour obtenir les certifications correspondantes sont en chute libre. Dans le cas des EREA, on atteint même un seuil critique en ce qui concerne les professeurs des écoles éducateurs chargés de l'internat puisque leur recrutement n'est plus ouvert depuis que le Conseil d'État a annulé, en 2002, le texte qui régissait leurs obligations de service. Leurs postes sont de plus en plus occupés par des assistants d'éducation recrutés par contrat, alors qu'il faudrait les confier à des personnels qualifiés et chevronnés.

Quatrièmement, les parcours scolaires en SEGPA ou en EREA s'apparentent à des « voies sans retour » : une fois entrés, leurs élèves n'en ressortent quasiment jamais pour rejoindre les classes ordinaires du collège ou du lycée professionnel. Cette vision « tubulaire », que révèle l'absence de passerelles avec le cursus ordinaire, est préoccupante, alors même que la refondation de l'école réaffirme le principe du collège unique.

Cinquièmement, la terminologie retenue dans le code de l'éducation – qui qualifie les difficultés des élèves concernés de « graves et permanentes » – suggère, à elle seule, le caractère immuable de leur orientation, sans autre issue possible que d'achever son parcours de formation en SEGPA ou en EREA.

Sixièmement, la configuration des plateaux techniques où sont dispensés les enseignements préprofessionnels de SEGPA réduit considérablement le champ des possibles en matière d'orientation professionnelle et ne donne pas toujours lieu à des formations adaptées au tissu économique local et aux enjeux actuels de l'emploi.

Enfin, contrairement aux objectifs fixés par les deux circulaires qui les encadrent, ces structures ne garantissent pas à tous leurs élèves un accès à une qualification de niveau 5, du type du certificat d'aptitude professionnelle (CAP).

Je tiens à dire encore une fois que les réussites humaines des SEGPA et des EREA sont incontestables et nombreuses. Mais les performances des SEGPA, dont un quart seulement des élèves arrivent à une classe terminale de l'enseignement secondaire qui les conduira à un diplôme, devraient nous interpeller. Je me félicite donc que le ministère de l'éducation nationale ait mis en place deux groupes de travail pour réfléchir à l'avenir de ces structures.

Je voudrais maintenant aborder l'autre champ de réflexion dans lequel s'inscrit cette étude. En effet, pour légitimes qu'ils soient, ces questionnements ne doivent pas conduire à sacrifier des structures qui offrent ce que l'enseignement secondaire n'est pas aujourd'hui en mesure d'apporter à ces élèves, à savoir un cadre exceptionnellement attentif à leurs besoins et qui leur permet d'apprendre autrement. La fermeture des SEGPA constituerait, de fait, une perte irréparable pour le collège d'aujourd'hui. À long terme, en revanche, lorsque des équipes pluridisciplinaires enseigneront une culture commune de la maternelle au collège – et à cette condition seulement ! –, la question de leur suppression pourra se poser.

En attendant, il convient d'adapter ces structures en tenant compte des limites du système actuel.

D'abord, l'orientation vers l'enseignement adapté devrait reposer sur des critères scolaires et donner lieu, chaque année, à un réexamen du dossier de l'élève pour faciliter les retours vers la voie ordinaire. Ensuite, cette orientation ne devrait pas être conditionnée au redoublement de l'élève en primaire, car le redoublement représente à la fois un coût pour l'éducation nationale et une souffrance pour l'enfant qui n'est pas défendable.

Parallèlement, la sixième de SEGPA devrait laisser la place, à titre expérimental dans un premier temps, à une « sixième mixte » permettant une scolarisation partielle en sixième ordinaire. Dans le même esprit, des groupes rassemblant plusieurs heures par semaine les élèves de la SEGPA et ceux du collège devraient être institués dans quelques disciplines, dont, à tout le moins, la technologie, l'éducation artistique et l'éducation physique et sportive. En outre, les échanges de service entre professeurs de SEGPA et de collège gagneraient à être développés pour inciter plus systématiquement les élèves de SEGPA à passer le brevet. De même, des liens plus étroits avec les lycées professionnels voisins permettraient de pousser les élèves des SEGPA, mais aussi ceux des EREA, à préparer le baccalauréat professionnel.

Le travail remarquable des personnels enseignants d'EREA et de SEGPA devrait être davantage valorisé. Il conviendrait notamment de permettre l'intégration des directeurs de ces structures dans le corps des personnels de direction, par le biais de listes d'aptitudes spécifiques, et de prévoir un grade de reclassement attractif.

Dans le même ordre d'idées, les EREA, en pointe en matière éducative et pédagogique, devraient devenir des établissements « supports » pour les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE). Pour cette raison, le maintien de ces établissements m'apparaît indispensable, même dans le cadre d'une école inclusive.

Ce travail m'a permis de découvrir un aspect méconnu de l'éducation nationale qui, à bien des égards, pourrait être une source d'inspiration pour la refondation pédagogique de l'école. Les SEGPA et les EREA ne sont que la pointe émergée d'un phénomène, celui de la grande difficulté scolaire, qui concerne plus de 10 % des élèves. Ce constat me conduit à formuler un voeu : les enseignants – pas seulement ceux des SEGPA et EREA – devraient tous apprendre à faire progresser des élèves différents ayant des besoins différents. Pour l'école républicaine, dont le principe d'inclusion est une des raisons d'être, pour la richesse et la qualité de la formation délivrée dans les ESPE – un des objectifs prioritaires de la refondation –, c'est un beau défi à relever !

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