Intervention de Sandrine Doucet

Réunion du 28 octobre 2014 à 16h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Doucet, rapporteure pour avis des crédits de l'enseignement supérieur et de la vie étudiante :

J'ai en effet choisi de centrer mon rapport sur les sections de technicien supérieur (STS) et les instituts universitaires de technologie (IUT), qui sont directement concernés par une des mesures phares de la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche : l'institution de quotas d'accès en faveur des bacheliers professionnels et technologiques.

Au-delà de la question des quotas, j'ai souhaité me pencher sur l'avenir de ces filières technologiques courtes, qui sont en quête de nouveaux équilibres.

Le fonctionnement et les résultats – en termes de diplomation et d'insertion professionnelle – des STS et les IUT sont l'une des grandes réussites de notre système d'enseignement supérieur. Ces filières ont su offrir une formation professionnalisée aux futurs cadres intermédiaires de nos entreprises et de nos services, tout en étant un vecteur d'ascension sociale pour de nombreux jeunes issus de milieux modestes. Elles sont en outre appréciées des PME car leurs cursus sont le fruit d'une co-construction entre les formateurs et les employeurs. Enfin, elles sont plébiscitées par les familles : l'encadrement qu'elles proposent à leurs étudiants assure une transition « en douceur » entre le lycée et l'enseignement supérieur.

Pourtant, force est de constater que les STS et les IUT traversent aujourd'hui une zone de turbulences que j'ai tenté de cartographier dans mon rapport en l'articulant autour de deux grandes problématiques : d'une part, la démocratisation de l'accès à ces filières sélectives et de la réussite au diplôme ; d'autre part, la cohérence entre les niveaux de qualification et les besoins en compétences des entreprises.

Commençons par l'enjeu de la démocratisation. Il suppose que l'on corrige les flux de bacheliers à l'entrée des STS et IUT car ceux-ci sont devenus un facteur d'iniquité. Le processus d'orientation et de sélection dans notre système éducatif étant dominé par le baccalauréat général et la série S, les titulaires de ce diplôme prennent dans les IUT des places aux bacheliers technologiques qui, de ce fait, s'orientent vers les STS au détriment des candidatures de bacheliers professionnels. C'est ainsi que de nombreux bacheliers professionnels s'orientent par défaut vers l'université, où leur taux de réussite en trois ans à la licence est de 3,1 % seulement. Cet échec est un gâchis humain d'autant plus inacceptable qu'il pénalise des jeunes issus de milieux peu favorisés : je rappelle que l'on compte chez les ouvriers trois fois plus de titulaires du baccalauréat professionnel que du baccalauréat général.

Le contrat social proposé à ces jeunes est donc faussé. C'est bien pourquoi nous avons adopté, l'année dernière, le dispositif des quotas. Mais je ne pense pas qu'il suffise d'ouvrir la porte des IUT et des STS à certains bacheliers pour démocratiser l'accès à ces filières : il faut aussi accompagner ces bacheliers vers la réussite.

Cette politique d'accompagnement devrait mobiliser – comme c'est d'ailleurs le cas dans certains IUT et STS – une large palette d'instruments : établissement de bilans de compétences en fin de premier semestre, institution de « modules passerelles » entre la terminale et la première ou les deux années de STS, politique d'orientation des bacheliers professionnels prenant en compte le fait que ceux-ci réussissent mieux lorsque leur lycée accueille aussi des STS, recours au tutorat et développement des parcours permettant d'obtenir le diplôme universitaire de technologie en deux ans et demi ou trois ans.

Parallèlement à ces mesures, l'accueil en STS et en IUT des bacheliers professionnels et technologiques qui sont en échec à l'université devrait être facilité par la mise en place de « rentrées décalées » ou de semestres d'adaptation.

Tout ceci demande des moyens, ce qui implique que les référentiels de formation des STS accordent une large place aux heures d'accompagnement des étudiants fragiles et que les IUT et les universités jouent sans arrière-pensées le jeu des contrats d'objectifs et de moyens prévus par la loi du 22 juillet 2013 et encadré par deux décrets adoptés l'été dernier.

J'en viens maintenant à la seconde problématique, celle de la cohérence entre formation et besoins des entreprises. Dans ce domaine, je dois avouer que les interrogations, voire les tensions à l'oeuvre, sont très nombreuses.

J'évoquerai notamment les inquiétudes des entreprises et des formateurs concernant le positionnement du brevet de technicien supérieur (BTS) et du diplôme universitaire de technologie (DUT) ainsi que la qualité des baccalauréats rénovés.

Premièrement, nous constatons un « déport » des sorties de l'enseignement supérieur de bac + 2 vers bac + 3, c'est-à-dire du BTS ou du DUT vers la licence professionnelle ou au-delà, ce qui complique le recrutement par les PME des techniciens dont elles ont besoin. La Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME) a même parlé de « dévoiement » du DUT, qui est devenu un passeport pour la poursuite d'études pour 87 % de ses diplômés. Ce phénomène de grande ampleur a d'ailleurs conduit un de mes interlocuteurs à considérer que certaines spécialités d'IUT pourraient se transformer en classes préparatoires intégrées à l'université, une option vivement contestée par le Mouvement des entreprises de France (MEDEF). Ces poursuites d'études ne sont pas étrangères au fait que les jeunes se détournent des métiers de l'industrie alors que toutes les études prospectives démontrent que celle-ci offrira, dans les dix prochaines années, de nombreux emplois qualifiés, souvent à forte composante numérique.

Deuxièmement, la qualité des nouveaux baccalauréats professionnels et technologiques, notamment celle du fameux baccalauréat « sciences et technologies de l'industrie et du développement durable » (STI2D), fait débat. Pour certains, le « bac pro » obtenu en trois ans a réduit l'employabilité de ses titulaires et ses modalités d'obtention relativement souples pourraient, du fait de l'afflux des bacheliers professionnels résultant des quotas, avoir des répercussions sur le niveau du BTS. En outre, le « fléchage » de ces bacheliers vers cette filière pourrait donner une forme de prépondérance aux apprentissages par le geste au détriment d'une approche un peu plus conceptuelle, ce qui entraînerait des pertes de compétences. Quant aux nouveaux « bacs techno », mes interlocuteurs ont été jusqu'à les qualifier de « bacs sans technologie ». Cette évolution suscite une certaine perplexité chez les responsables du réseau des IUT.

Troisièmement et dernièrement, nous sommes confrontés à un réel problème d'articulation des objectifs fixés par la nation concernant le pourcentage de bacheliers – 80 % d'une classe d'âge – et celui de diplômés de l'enseignement supérieur – 50 % d'une classe d'âge. Nous allons certainement atteindre les 80 % de bacheliers, mais uniquement grâce à la progression du nombre de bacheliers professionnels, et cette tendance ne nous aidera pas à accroître le niveau de qualification de la population. Tel est le constat de la Conférence des présidents d'université et du comité chargé de rédiger la stratégie nationale pour l'enseignement supérieur. Ce dernier rappelle que France Stratégies a retenu comme objectif un taux de titulaires d'un diplôme de niveau bac + 5 égal à 21,5 % en 2020 et que la Conférence des directeurs d'écoles françaises d'ingénieurs a identifié un besoin de formation de 13 000 diplômés supplémentaires par an.

Aussi la mobilisation autour des quotas de bacheliers professionnels ne doit-elle pas nous faire oublier qu'il est de notre intérêt d'accroître le nombre de bacheliers technologiques et généraux. Comme le suggère le Syndicat général de l'éducation nationale, affilié à la Confédération française démocratique du travail (SGEN-CFDT), nous pourrions peut-être fixer des objectifs en termes de types de bacheliers formés et augmenter, à partir de là, la part des bacheliers généraux issus des milieux défavorisés, ce qui permettrait une réelle démocratisation de l'enseignement supérieur long.

Mon travail, vous l'aurez compris, ne vise pas à proposer des recettes toutes faites : il établit une sorte de questionnaire qui appelle des réponses nuancées, loin de toute posture dogmatique. Le modèle de formation proposé par les IUT et les STS garde, certes, toute sa pertinence, mais il doit désormais concilier des exigences de plus en plus nombreuses. C'est sans doute l'occasion ou jamais de s'appuyer sur les acquis de ces deux réseaux pour réfléchir aux contours d'une filière universitaire technologique complète, qui irait du « post-bac » au doctorat et qui proposerait des parcours de formation plus souples afin d'accroître la mobilité sociale à tous les âges de la vie.

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