Intervention de Sébastien Pietrasanta

Séance en hémicycle du 29 octobre 2014 à 21h30
Lutte contre le terrorisme — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Pietrasanta, rapporteur de la commission mixte paritaire :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, notre assemblée est aujourd’hui saisie des conclusions de la commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 21 octobre dernier, sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.

Le contexte national et international justifie malheureusement quotidiennement ce projet de loi. La menace terroriste a évolué et le passage à l’acte individuel est de plus en plus fréquent, comme on a pu le voir encore récemment au Canada et aux États-Unis.

Aujourd’hui, mille quatre-vingt-neuf ressortissants français ou étrangers vivant sur notre territoire sont impliqués dans les filières djihadistes en Syrie et en Irak. Trois cent soixante-huit combattent actuellement en Syrie ; deux cent douze sont repartis ; deux cent cinquante-six ont des velléités de départ ; deux cent cinq sont en transit et quarante-six sont morts en Syrie et en Irak.

On le sait, cela touche tous les départements français et toutes les catégories de population. On compte actuellement quatre-vingt-quatre femmes en Syrie et quarante-neuf sont présentes en Turquie. Enfin, dix mineurs se trouvent en Syrie et cinq en Turquie.

Ce projet de loi a pour objectif d’endiguer, d’entraver et de lutter contre ces départs ainsi que cette mutation de la menace terroriste.

À l’issue de la première lecture au Sénat, cinq articles avaient été votés conformes et vingt-sept demeuraient en discussion. Les échanges constructifs qui ont eu lieu au sein de la commission mixte paritaire, notamment avec les deux rapporteurs du Sénat, Jean-Jacques Hyest et Alain Richard, que je tiens à saluer, ont permis d’aboutir au texte équilibré soumis ce soir à votre vote.

Je présenterai brièvement les principales évolutions apportées au texte par la CMP.

À l’article 1er, qui crée une interdiction de sortie de territoire, la commission mixte paritaire a retenu un délai de huit jours pour permettre à la personne concernée de faire valoir ses observations. La CMP a souhaité qu’il soit fait mention de l’existence du recours au référé-liberté au sein de l’alinéa, introduit par le Sénat, qui prévoit que le juge administratif doit se prononcer dans un délai de quatre mois dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir.

À l’article 4, relatif au régime des délits de provocation au terrorisme et d’apologie du terrorisme, la CMP est revenue au texte initial du projet de loi en transférant de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse vers le code pénal l’ensemble des délits de provocation au terrorisme ou d’apologie du terrorisme, quel que soit le média utilisé et en prévoyant une circonstance aggravante lorsque les faits sont commis sur Internet.

Il ne nous est apparu ni possible, ni souhaitable de distinguer le régime procédural de ces délits en fonction du moyen utilisé : si on appliquait le régime libéral de la loi de 1881 à un message de provocation commis par voie de presse classique et le régime strict des infractions terroristes au même message commis sur Internet, cela créerait une différence de traitement injustifiée au regard de la différence de gravité des faits. Une circonstance aggravante en cas de commission sur Internet permet de marquer cette différence, mais appliquer deux régimes procéduraux totalement différents n’aurait pas été justifié et aurait pu soulever une difficulté de constitutionnalité.

En outre, la CMP a conservé l’une des modifications apportées par l’Assemblée nationale, en incriminant la provocation au terrorisme qu’elle soit commise de façon publique ou de façon privée : cela permettra de poursuivre les faits commis sur des forums Internet privés ou lors de prêches clandestins.

À l’article 5, la CMP a modifié la présentation formelle de la définition du délit d’entreprise terroriste individuelle, afin d’en rendre la lecture plus claire. Sur le fond, le texte qu’a adopté la CMP fait la synthèse entre les débats de l’Assemblée nationale et ceux du Sénat.

Ainsi, la CMP n’a pas repris l’alinéa introduit par le Sénat concernant l’élément matériel de « préparatifs logistiques » tels que l’achat d’un box ou d’un véhicule, car cela aurait pu conduire à incriminer des comportements ne caractérisant pas suffisamment un projet terroriste, et ce malgré le garde-fou que constitue l’exigence d’une intention terroriste caractérisée.

En revanche, la CMP a conservé les autres modifications apportées par le Sénat : précisions sur l’élément matériel de « repérage », ajout de la formation à la conduite de navires, suppression de l’exemption des journalistes et des chercheurs qui consultent des sites de propagande terroriste – qui, après examen des motifs avancés par le Sénat pour la supprimer, ne paraissait pas indispensable – et suppression de la mention du séjour dans une zone où sont commis des crimes de guerre ou contre l’humanité.

J’en viens à l’article 9, relatif au blocage des sites Internet de provocation au terrorisme ou d’apologie du terrorisme. L’actualité récente a encore montré l’influence d’Internet dans les processus de radicalisation, prouvant la nécessité de doter l’État d’une capacité d’action pour lutter contre ces contenus. L’Assemblée nationale et le Sénat ont partagé ce constat et adopté cet article dans des termes très proches, seuls trois points techniques ayant donné lieu à des discussions.

Ainsi, sur la question du délai à respecter entre la demande de retrait adressée à l’hébergeur ou à l’éditeur et la demande de blocage adressée au fournisseur d’accès à Internet, l’Assemblée nationale avait prévu un délai de vingt-quatre heures, le Sénat un délai de quarante-huit heures. La CMP a adopté la version de l’Assemblée nationale et prévu un délai de vingt-quatre heures : un délai plus long aurait fortement limité l’efficacité du dispositif en laissant le temps que les contenus devant être bloqués soient dupliqués et largement visionnés.

La CMP a également adopté la formulation de l’Assemblée nationale s’agissant de l’obligation mise à la charge des fournisseurs d’accès à Internet. Ceux-ci devront « empêcher l’accès sans délai » aux sites concernés, et non pas seulement « procéder sans délai aux opérations empêchant cet accès ». Cette formulation était trop vague, et surtout elle n’était pas justifiée car les FAI auront été avisés de la demande de blocage susceptible de leur être adressée vingt-quatre heures à l’avance.

Le dernier point de discussion concernait la désignation de la personnalité qualifiée chargée d’exercer un contrôle sur la liste des sites bloqués et, le cas échéant, de contester devant le juge administratif la validité de l’inscription d’un site sur cette liste. Le Sénat avait accepté le principe que cette personnalité soit désignée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés – principe qui avait été adopté par l’Assemblée nationale sur mon initiative – mais ajouté le fait que cette personnalité devait être désignée parmi les membres de la CNIL. La CMP a conservé cette désignation parmi les membres de la CNIL, prévue par le Sénat, mais en apportant deux précisions : le mandat de la personnalité qualifiée expirera en même temps que celui de son mandat de membre de la CNIL ; la désignation de parlementaires a été expressément exclue.

Enfin, l’article 15 prévoyait d’allonger de dix à trente jours la durée de conservation des enregistrements des interceptions de sécurité. La CMP n’a jugé satisfaisante ni la rédaction adoptée par le Sénat, ni celle de l’Assemblée nationale. C’est pourquoi, sur proposition conjointe des rapporteurs, elle a supprimé cet article.

Voilà très brièvement présenté le projet de loi tel qu’il a été adopté par la CMP et qu’il est aujourd’hui soumis au vote de notre assemblée.

Permettez-moi pour conclure de saluer le travail remarquable accompli par les trois administrateurs Bertrand Vial, Stéphane Decubber et Alban Genais, mais également par Floran Vadillo, précieux collaborateur du président Jean-Jacques Urvoas.

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