Intervention de Marie-Françoise Bechtel

Séance en hémicycle du 29 octobre 2014 à 21h30
Lutte contre le terrorisme — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Françoise Bechtel :

Non, mes chers collègues, cette loi réfléchie n’est pas une loi de circonstance et encore moins d’exception. La preuve en est facile à faire sur chacune des nouveautés introduites dans le texte.

L’interdiction de quitter le territoire ou d’y entrer n’est pas excessive, eu égard aux compensations que nous avons introduites – je pense, en ce qui concerne la sortie, à l’attestation d’identité –, ainsi qu’aux garanties apportées par un juge de longue date habitué à surveiller et à encadrer les pouvoirs de police administrative, ce qui, soit dit en passant, nous distingue, en bien, d’autres pays démocratiques, comme l’a très bien souligné notre collègue Tourret.

S’agissant de la nouvelle incrimination qui individualise la préparation de l’acte terroriste, je rappelle les multiples précautions prises pour que ce soit un faisceau de critères, allant de l’élément intentionnel à un ensemble d’éléments matériels soigneusement pesés tout au long des débats et hiérarchisés, qui rende possible une incrimination.

La pénalisation de la provocation au terrorisme ou de l’apologie du terrorisme a fait également l’objet de débats serrés et même approfondis, et le texte adopté en CMP, s’il maintient le transfert de ces délits de la loi de 1881 au code pénal, a le mérite de ne pas distinguer selon le média qui en est le vecteur. Le contraire, qu’on le veuille ou non, aurait obscurci la portée réelle de la loi de 1881.

Enfin, s’agissant du blocage de sites ou de contenus sur internet, le dispositif, d’ailleurs amélioré par le Sénat, a maintenant été assez débattu pour que chacun voie clairement ce dont il est réellement question. Je me bornerai à souligner qu’il n’y a pas de censure lorsque les responsables d’un contenu diffusé par les voies puissantes du numérique peuvent immédiatement saisir un juge qui statue dans un délai très bref.

Pour autant, le texte que nous adopterons n’est pas marqué par la timidité ni ne traduit quelque réticence devant les moyens nécessaires, comme je l’ai entendu ici ou là ce soir encore.

Les nouveaux instruments dont nous nous dotons sont opérationnels. C’est là un choix que je crois préférable à je ne sais quelle mesure symbolique et discriminatoire, portant en particulier sur les cas juridiquement mythiques des binationaux.

Parmi les mesures concrètes, citons le renforcement des conditions de l’assignation à résidence, l’adaptation des procédures de perquisition dans le cas de données stockées par les moyens nouveaux que procure la gestion massive, ou encore le renforcement du cyberpatrouillage pour les agents de police judiciaire dans le cadre des enquêtes qu’ils diligentent.

Certes, nous savons tous que les progrès du numérique imposeront un jour des ajustements et des dispositifs nouveaux. Mais bien malin celui qui peut dire quand !

Je pense notamment à la cryptologie qui, aujourd’hui, lance un défi techniquement difficile à relever.

Mais dans ces défis nouveaux, mes chers collègues, tout ne relève pas de la loi. Deux exemples, au coeur de la lutte contre le terrorisme, le montrent.

S’agissant des sites dont la localisation à l’étranger rend souvent difficile l’obligation de mise en conformité avec nos lois, il est nécessaire qu’une concertation s’instaure entre les pays qui ont un intérêt commun à la lutte contre le cyberdjihadisme. Et cela ne relève pas de la loi, mais de la négociation et de la concertation. Le ministre de l’intérieur a rappelé, en première lecture, qu’il avait engagé des démarches auprès d’autres États européens. Il a expliqué, aussi, avoir l’espoir que les États-Unis prennent une conscience suffisante des risques pour cesser de créer des entraves à un échange équilibré. Les menaces que nous vivons aujourd’hui devraient sans doute accélérer ce processus de coopération.

Second exemple, non législatif : la plate-forme de signalement des comportements permettant de craindre un départ en guerre sainte. Des informations dont nous disposons, il ressort que cette plate-forme est active, utile et très bien organisée. Elle permet d’appréhender en amont des comportements qui peuvent devenir dangereux, y compris pour les personnes elles-mêmes lorsqu’il s’agit de personnes mineurs ou vulnérables, contre cette tentation sectaire ultime qu’est le djihadisme.

Voilà pourquoi on ne saurait, je crois, penser que nous inscrivons ce soir des dispositions dans le marbre de la loi.

Pour autant je ne crois pas, pour ma part, à la réalité d’une course-poursuite entre le lièvre terroriste et la tortue législative, quel qu’en doive être le gagnant. Je crois plus simplement, mes chers collègues, que ce projet de loi nous invite à la modestie de l’artisan plutôt qu’aux éclats de voix du bateleur. Mais son utilité précisément est là. Nous luttons contre un ennemi qui sait à la fois se cacher et se dévoiler, qui puise son inspiration dans une sorte de millénarisme de la destruction, tout en sachant utiliser les ressources les plus performantes des technologies modernes. Pour cela, il faut du pragmatisme et, comme j’ai essayé de le montrer, je crois que ce texte n’en manque pas.

Je voudrais pour finir rendre hommage à ceux qui luttent quotidiennement contre cet ennemi à la fois caché et dévoilé : d’abord la chaîne entière des services de sécurité dont le travail est difficile, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur, comme l’a malheureusement montré la tragique actualité de ce jour au Mali ; mais aussi les associations de victimes du terrorisme, qui ne baissent pas les bras, mais au contraire sont à l’origine de méthodes innovantes pour tenter de faire barrage à cette source d’inspiration souvent fatale qu’est l’image romancée du combat djihadiste.

La lutte contre le terrorisme est l’affaire de tous, sans qu’il y ait lieu de céder à la panique, ni à la surenchère. Je salue donc aussi l’effort accompli par les autorités et personnalités représentant l’islam de France, qui ont su se mobiliser pour délivrer un message clair.

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