Par définition, la concurrence vient en effet de pays qui bénéficient de ressources d'énergie exceptionnelles. Par exemple du Canada, qui peut produire de l'électricité d'origine hydraulique en abondance et la distribuer gratuitement parce qu'il n'appartient à aucune union qui lui impose des règles. Ou d'États du Moyen-Orient riches en ressources gazières tels que le Qatar, qui peuvent se permettre de ne pas faire payer le gaz. Ces derniers pays ne cherchent pas tellement à développer l'emploi, mais cela se verrait s'ils le faisaient.
D'une manière générale, l'énergie a vocation à devenir de plus en plus chère, et il convient de savoir où sont nos concurrents. Ceux-ci vont d'ailleurs vraisemblablement évoluer au cours du temps. Certains d'entre eux n'ont pas vocation à gaspiller leur atout. L'Arabie saoudite, très important pays producteur de pétrole et de gaz, autoconsomme déjà 26 % de sa production. Selon ses propres projections, elle deviendra un pays importateur de pétrole et de gaz dans trente ans. Elle développe donc un projet de parc nucléaire afin d'économiser le pétrole et le gaz, qui sont des éléments vitaux pour elle. Le jour où les pays tels que l'Arabie Saoudite n'auront plus la capacité d'exporter leur pétrole et leur gaz, leur avenir sera compromis.
Tous les pays riches en matières premières, y compris les pays d'Asie centrale demain, auront donc la réaction géostratégique de préserver leurs ressources, plutôt que de les gaspiller. Ces États seront peut-être moins nos concurrents pour accueillir des entreprises qui créent de l'emploi, dans la mesure où ils n'en ont pas nécessairement besoin. En revanche, tel n'est pas le cas d'autres pays comme le Canada ou le Brésil. Néanmoins, la sécheresse des deux dernières années pose un sérieux problème aux autorités brésiliennes, 90 % de la capacité de production électrique du pays étant hydraulique. Il s'agit donc de sujets non pas français ni même européens, mais mondiaux.
La France est enserrée dans des règles, qu'elle a choisi de respecter, voire parfois d'édicter. Par conséquent, il ne faut pas attendre d'une entreprise qu'elle cherche, seule, à s'en affranchir. Vous aurez sans doute de nombreuses discussions sur ce point avec mes successeurs. En tout cas, si l'on oublie les fondamentaux, on oubliera assez rapidement le bon sens. Je vous exhorte donc à continuer à avoir l'oeil rivé sur les coûts de production, car c'est le seul élément déterminant dans la durée. En la matière, EDF n'a aujourd'hui rien à envier à personne. La France peut s'enorgueillir de disposer d'un tel outil.
S'agissant des variations de coûts dans la durée, n'oublions jamais là non plus le bon sens : ce sont les coûts non pas comptables, mais économiques qu'il faut garder en tête. Malheureusement, la dérive naturelle est de se référer aux coûts comptables, parce que c'est plus facile. C'est ce que fait la CRE. Or, lorsque l'on réalise des investissements, les coûts comptables augmentent, ce qui n'est pas le cas des coûts économiques. Il serait absurde d'empêcher une industrie automobile d'investir dans son outil de production parce que le coût des voitures augmente le jour où elle investit ! Il faut intégrer, dans la durée, la productivité des outils que nous développons. On oublie que la compétitivité est le résultat tant de la recherche et de la technologie que de l'investissement. Si nous nous attachons à ce que les coûts comptables restent faibles, nous continuerons à privilégier des outils ringards et nous ne serons plus du tout compétitifs dans la durée. Il convient donc de rappeler en permanence que la seule référence durable est le coût économique, c'est-à-dire un coût lissé dans le temps. C'est la priorité des priorités.
Si EDF investit aujourd'hui 55 milliards d'euros dans le parc nucléaire existant afin de prolonger sa durée de vie et de conserver l'atout compétitif de la France, c'est que cela coûte non pas plus cher, mais moins cher ! Si tel n'était pas le cas, il ne faudrait pas le faire. Il s'agit du meilleur investissement que la France puisse faire : remplacer le parc coûterait infiniment plus ! Avec un investissement marginal – il peut sembler curieux de qualifier un investissement de 55 milliards de « marginal », mais tel est bien le cas –, nous continuerons à disposer d'un atout de compétitivité formidable. Certes, dans la mesure où il faut amortir les investissements, les comptes des années où nous les réaliserons montreront une hausse des coûts apparente, mais cela ne correspondra pas à une hausse des coûts de revient. Malheureusement, on confond en permanence coûts économiques et coûts comptables, et l'on a tendance à privilégier ces derniers parce qu'ils sont plus faciles à lire dans les bilans. Or il s'agit d'une erreur majeure ! Si nous prenions pour référence les coûts économiques, cela changerait le référentiel de calcul et lisserait naturellement les coûts dans le temps. Nous ferions ainsi passer le bon sens avant la comptabilité. Nous vivons dans une Absurdie construite par des technocrates qui cherchent à se simplifier la vie : il est plus facile de vérifier des chiffres comptables que des chiffres économiques. Mais l'un ne vous protège pas de l'autre !
S'agissant de l'actionnariat, j'ai travaillé pendant quarante ans dans le privé et pendant cinq ans dans le public, et je ne vous dirai pas quel est le pire des actionnaires. En tout cas, le plus vorace est certainement l'actionnaire public, parce qu'il raisonne en fonction de ses besoins. L'actionnaire privé, lui, raisonne dans la durée. D'autre part, la législation relative aux sociétés qui font appel public à l'épargne, qui est guidée par le bon sens, protège les épargnants. Dieu soit loué ! L'actionnariat privé protège l'entreprise du pillage – je le dis sincèrement. Le court-termisme des décisions étatiques – quels que soient la situation et le gouvernement en place – fait souvent commettre des erreurs lourdes et durables. Le fait que l'entreprise fasse appel public à l'épargne oblige l'État à se conformer à une règle du jeu protectrice de l'épargne, celle d'une exigence en termes de performance et de retour sur investissement. Les actionnaires veulent que leur argent leur rapporte, et c'est une règle logique et saine. Je ne critiquerai donc pas l'ouverture du capital des entreprises publiques : elle constitue une forme de rappel à l'ordre plutôt positif à mon sens – je le dis sans parti pris idéologique.
J'en viens au rôle de l'État. Il convient selon moi de distinguer l'État – c'est-à-dire la Nation, le pays éternel – et le Gouvernement – qui gère l'État pendant une période déterminée. J'ai dit récemment à un très haut responsable politique que je me sentais beaucoup moins en conflit avec les intérêts de l'État qu'avec ceux du gouvernement. Ce n'était pas un abus de langage : j'épouse totalement les intérêts de l'État. La Nation peut gérer le long terme plus facilement que le Gouvernement, qui n'est pas soumis aux mêmes contraintes et qui est obligé de gérer une situation à court terme. En disant cela, je ne privilégie encore une fois aucune option politique : cela relève, selon moi, de l'évidence. Soyons rigoureux dans nos raisonnements ; nous nous trouverons ainsi moins souvent dans des situations difficiles à maîtriser et nous verrons le bon sens récompensé.
L'État est omniprésent, et c'est bien naturel. Il est à la fois le régulateur, le gouvernement – qui gère les préoccupations de court terme – et la Patrie – qui gère le patrimoine dans la durée et défend les intérêts du pays. Sa position peut donc varier : si l'État actionnaire est, à l'instar de tous les actionnaires, très exigeant, l'État régulateur et l'État politique n'ont pas toujours le même point de vue que l'État actionnaire. Si le capital d'EDF était à 100 % privé, l'État n'en resterait pas moins l'autorité politique, le régulateur et le donneur d'ordres. Au Royaume-Uni, EDF est considérée comme une entreprise de plein exercice et un investisseur privé : lorsque les autorités britanniques nous demandent de décliner leur programme nucléaire, ils confient l'avenir de leur territoire non pas à l'État français, mais à EDF. Il en va de même en Belgique, en Italie, en Pologne ou en Chine : chaque État a ses exigences, mais c'est EDF qui est l'interlocuteur. En résumé, l'État peut être un actionnaire important, voire dominant. Mais nous voyons un avantage à ce que l'actionnariat soit réparti : si EDF était uniquement une filiale de l'État, elle serait plus handicapée pour accéder au marché mondial. Or cet accès est de l'intérêt tant de la France que de l'entreprise elle-même, si elle souhaite rester au niveau exceptionnel d'expertise, de savoir-faire et de performance qu'elle a atteint.
Quant à la gouvernance et, en particulier, au rôle du conseil d'administration, il s'agit d'un sujet distinct. En vertu de la loi, un administrateur a l'obligation d'orienter ses décisions en fonction des intérêts non pas de celui qui l'a nommé, mais de l'entreprise. De plus, il est pénalement responsable de ses décisions. Cela vaut quel que soit son mode de désignation : nommé par l'État actionnaire, élu par les salariés, indépendant, etc. Il m'est revenu de le rappeler parfois. Et cela se passe très bien.
Quelles sont les éventuelles contraintes que fait peser l'État s'agissant des investissements en termes de sûreté et de sécurité ? Encore une fois, la stratégie et les décisions fondamentales d'EDF sont guidées par les obligations du service public et par la responsabilité à l'égard de l'entreprise. La sûreté a toujours été la priorité des priorités d'EDF. Rien ne détourne l'entreprise, ses dirigeants et ses administrateurs de cette nécessité absolue, pas même les résultats, ni les exigences des actionnaires.
Il a beaucoup été question des relations entre EDF, ERDF et les syndicats départementaux d'électricité lors de l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique. Certains acteurs – c'est naturel – en ont demandé toujours plus : devenir actionnaire, être représentés au conseil d'administration, décider de la stratégie et des investissements. D'autres voulaient empêcher le versement de dividendes aux actionnaires, ce qui n'est guère logique.
J'ai deux remarques à faire à ce sujet. Premièrement, du point de vue industriel, la grande force de la France est d'avoir gardé un système électrique intégré. L'avantage sous-jacent d'un tel système est l'optimisation. L'intégration aura d'autant plus d'importance demain, car les réseaux dits intelligents seront un élément clé de l'efficacité du système électrique et, plus largement, de l'efficacité énergétique. Désintégrer les éléments constitutifs du réseau de distribution d'électricité sous des prétextes d'ouverture à la concurrence, comme cela a été fait pour le transport ferroviaire, conduirait à une « désoptimisation » désastreuse. Tous les pays qui l'ont fait s'en mordent aujourd'hui les doigts. Au cours des cinq années de mon mandat, je n'ai cessé de plaider pour que nous refusions la désintégration du système électrique français, qu'il s'agisse des barrages ou des réseaux. Faisons très attention à l'optimisation du système : c'est un aspect majeur. Du reste, un système intégré n'empêche nullement la concurrence. Celle-ci est prévue par la réglementation : tout le monde peut utiliser le réseau, à des tarifs transparents et accessibles.
Le système électrique français et le service public de l'électricité reposent sur une valeur première : la solidarité. Cela se traduit par la péréquation tarifaire : tout Français, où qu'il se trouve, bénéficie du service de l'électricité au même coût. Si nous laissions certains acteurs s'ériger en principautés indépendantes, le coût économique et, par conséquent, le coût d'accès au réseau serait plus élevé pour un habitant du plateau de Millevaches que pour un habitant de Neuilly ou du huitième arrondissement de Lyon. En d'autres termes, le coût du service serait inversement proportionnel à la capacité contributive des habitants concernés – je l'ai parfois rappelé. La responsabilité en la matière pèse non pas sur l'entreprise, mais sur le donneur d'ordres, c'est-à-dire sur celui qui établit les règles : le Parlement. Il me paraîtrait audacieux – je le dis sans détour – d'être celui qui prône la fin du service public de l'électricité en France pour des raisons d'optimisation locale, laquelle serait contraire à l'optimisation nationale.
Deuxièmement, c'est non pas EDF, mais les communes, regroupées en syndicats, qui sont propriétaires des installations de distribution d'électricité. EDF est le gestionnaire délégué du réseau. Tout le monde l'a compris sauf l'État qui, au moment de l'ouverture du capital d'EDF en 2006, a vendu le réseau aux investisseurs – donc à EDF – pour 26 milliards d'euros de l'époque, c'est-à-dire 30 milliards actuels. Il n'y a qu'une seule réponse à cela : il faut qu'ERDF vaille 30 milliards d'euros. À défaut, ce serait de l'escroquerie en bande organisée ! Mon obsession a donc été de faire en sorte qu'ERDF participe, à sa mesure, aux résultats du groupe. À cet égard, je tiens à rassurer tous ceux qui s'inquiètent d'une éventuelle « captation » des dividendes d'ERDF par EDF ou d'un « enrichissement sans cause » d'EDF : les dividendes d'ERDF, filiale à 100 % d'EDF, sont versés directement aux actionnaires via le dividende d'EDF, et je vous assure qu'EDF ne retient pas le moindre euro au passage. Évitons les erreurs de jugement : ce n'est pas parce qu'EDF est la société mère qu'elle peut bénéficier pour autant des dividendes d'ERDF. Le taux de distribution des dividendes – pay-out ratio – s'applique aux résultats consolidés du groupe, donc de la même manière à EDF et à ERDF. Point final.
Quel est le rôle des collectivités territoriales propriétaires du réseau ? En tant qu'autorités concédantes, elles confient le réseau à un gestionnaire. Il est donc naturel qu'elles soient attentives et exigeantes quant à la qualité et à l'efficacité du réseau. Doivent-elles pour autant être actionnaires ? À mon avis non, à moins qu'elles ne paient leur quote-part des 30 milliards d'euros. Avec cet argument, la discussion a changé de nature, et il a été décidé qu'il valait mieux ne pas solliciter la contribution des collectivités territoriales. Néanmoins, à la demande M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques, j'ai accepté que les collectivités territoriales soient représentées par un administrateur au sein du conseil de surveillance d'ERDF, afin qu'elles puissent disposer d'une meilleure information. L'État était auparavant représenté par deux administrateurs au sein de ce conseil. Désormais, l'État et les collectivités territoriales seront représentés chacun par un administrateur. Telle est la nouvelle règle qui a été établie.
Je souhaite dire quelques mots sur le compteur intelligent Linky. Les compteurs feront partie du réseau et appartiendront donc aux collectivités territoriales. Cependant, l'investissement de 6 milliards d'euros sera réalisé par EDF. Nous avons donc affaire à un investissement pour compte de tiers. S'agissant d'un investissement portant sur le domaine régulé, il aurait été logique qu'EDF soit rémunérée au taux prévu pour ce type d'investissement, à savoir 7,5 %. Et, si l'on avait appliqué les règles, cela aurait eu pour conséquence de faire augmenter de manière significative le tarif d'acheminement appelé TURPE.
Or j'ai préféré en revenir aux fondamentaux : EDF est non pas une administration, mais une entreprise ; son rôle est non pas de répercuter des coûts, mais de faire la preuve de son efficacité. J'ai donc proposé aux pouvoirs publics et aux parlementaires qu'EDF se comporte comme une entreprise, ce qui signifie que cet investissement doit être rentable. Il se rentabilisera d'abord par des économies de coûts en matière de relevés, à charge pour l'opérateur de les réaliser effectivement. Cela ne sera pas facile, car cela posera des problèmes sociaux, mais j'en assumerai les conséquences. Le compteur intelligent permettra ensuite d'optimiser les conditions d'exploitation, en réduisant très sensiblement les pertes non techniques, terme politiquement correct qui désigne les fraudes. Celles-ci sont considérables : nous avons estimé que la diminution des fraudes compterait pour un tiers du retour sur investissement, c'est-à-dire pour un tiers des 6 milliards d'euros. Enfin, lorsqu'il deviendra vraiment « intelligent », le compteur permettra de développer des services à valeur ajoutée qui n'existent pas aujourd'hui, c'est-à-dire des services à domicile qui pourront être payants.
J'ai donc eu la vanité de penser que le déploiement du compteur Linky ne devait pas peser sur le consommateur, qu'il devait être réalisé par EDF sous sa responsabilité – bien que le compteur soit la propriété des collectivités territoriales – et qu'il devait contribuer aux efforts en matière d'efficacité, de manière à ne pas entraîner de surcoût. Telle a été la position défendue par EDF. Elle fait aujourd'hui l'objet d'un accord entre les parties prenantes. C'est vous dire si EDF assume son rôle à la fois d'entreprise et d'opérateur de service public. Elle n'est pas simplement le bras séculier d'une décision technique – nous avons plus d'ambition que cela. Par cet exemple, je voulais vous faire toucher du doigt ce que représente une entreprise comme EDF en termes non seulement de compétitivité et de protection du pouvoir d'achat, mais aussi de développement économique, d'investissement et d'emploi.
Vous avez évoqué, madame Battistel, l'accès à l'hydroélectricité historique. Or nous n'avons pas le droit de dédier un outil de production – en l'espèce, il s'agit du plus efficace – à un client particulier. Quand bien même nous aurions ce droit, cela impliquerait de procéder à une péréquation, ce qui signifie que les autres consommateurs paieraient pour le compte de ce client. Je ne suis pas opposé à ce que l'on aide les industries électro-intensives, mais faisons-le de manière transparente : disons aux Français combien cela va leur coûter ou, à la limite, organisons une collecte de fonds auprès d'eux. À défaut, les règles du jeu ne seront pas claires.
Je ne suis guère favorable à la création de SEM ou d'autres montages de ce type. Un barrage est bien plus qu'un simple outil de production d'électricité : c'est un instrument de développement régional très important et, surtout, un outil d'optimisation du système électrique français. Il s'agit en effet du seul moyen de stockage en vraie grandeur, efficace et rentable qui existe dans le domaine de l'électricité. Nous utilisons les barrages moins pour produire de l'électricité que pour alimenter le réseau au moment où nous en avons besoin pour absorber les pointes ou pour compenser les arrêts des grandes centrales. La valeur implicite des barrages est donc bien supérieure à leur capacité de production d'électricité. Pour évaluer un barrage, il faudrait en réalité prendre en compte sa capacité de production de pointe ou la valeur de l'électricité de pointe. On verrait alors que les barrages valent très cher. En revanche, si l'on émettait un appel d'offres, seule la capacité de production électrique courante serait valorisée. Ou alors il faudrait qu'EDF paie le prix approprié et le refacture à ses clients, ce qui reviendrait là aussi, finalement, à solliciter un peu plus encore le pouvoir d'achat des Français. C'est pourquoi je suis hostile, encore une fois, à toute désarticulation de notre système électrique intégré. Les évolutions de l'organisation envisagées – ouverture à la concurrence des concessions hydroélectriques, création d'institutions ad hoc – risquent de conduire à une « désoptimisation » du système, de nuire à son efficacité et de créer des conflits d'intérêts entre les actionnaires. De tels développements seraient contre-productifs et dangereux pour le pays – je vous fais part de mes convictions.
Monsieur Bies, si l'on tient compte du coût économique plutôt que du coût comptable, alors il faut qu'un investissement soit rentable. Par conséquent, aucun investissement ne peut être décidé s'il ne présente pas de rentabilité intrinsèque.
S'agissant de l'endettement, j'ai réussi, en cinq ans, à faire baisser de manière significative la dette d'EDF, à la fois par des arbitrages et par des opérations financières bien menées – je pense notamment aux capitaux qui ont été levés à cette fin. La situation financière d'EDF est aujourd'hui très saine. Tout déséquilibre permanent entre le coût économique et les recettes correspondantes finit par se répercuter sur les résultats et sur la dette. Tout en respectant les obligations de service public et en préservant le pouvoir d'achat, il faut donc amener progressivement les tarifs au niveau des coûts économiques de production et de distribution. Rien ne peut contredire cette vérité absolue. Il faut, en outre, prévoir une marge pour permettre à l'entreprise d'avoir une « hygiène de vie économique » normale et d'investir.
Toute évolution du mix énergétique a nécessairement un impact, positif ou négatif, sur les coûts. Les évolutions du mix énergétique prévues par le projet de loi relatif à la transition énergétique en auront donc un. Comme dans tout pays, il revient au Gouvernement, sous le contrôle du Parlement, de définir les orientations de la politique énergétique. Il me paraîtrait illogique de remettre en cause ces prérogatives. Mon rôle consiste à dire aux décideurs quelles sont, de l'avis d'EDF, les conséquences de telle ou telle orientation, notamment sur les coûts. Nous avons donc beaucoup discuté avec le Gouvernement des évolutions envisagées. Ainsi que je l'ai déjà indiqué ici à l'Assemblée, la France de 2030 ne sera pas celle de 2012 : elle comptera 7 millions d'habitants de plus ; elle connaîtra, je l'espère, une croissance économique importante ; ses besoins en électricité auront évolué. Ces éléments détermineront les orientations en matière de mix énergétique et, à l'intérieur de celui-ci, en matière de mix électrique. EDF se doit d'accompagner le choix fait par le Gouvernement et de faire en sorte que ce choix soit efficace au regard des contraintes qu'il impose à l'entreprise. Nous pouvons discuter de l'impact sur les tarifs en fonction des orientations qui seront prises.
Je ne suis pas opposé à la création d'un comité de gestion de la CSPE. Mais je suis surtout attentif à l'évolution de ladite CSPE, ainsi que je l'ai indiqué précédemment. Avant de travailler au sein d'un tel comité, il convient de savoir ce que représentera la CSPE et comment on l'orientera. Ces évolutions seront la conséquence des orientations retenues en matière de mix énergétique et relèvent donc, elles aussi, de décisions politiques.
Dans le cadre de l'ARENH, EDF met à la disposition de ses concurrents le quart de la capacité de production du parc nucléaire existant. Cela suppose d'abord qu'il existe un parc nucléaire, hypothèse qui semble aujourd'hui confirmée. Ensuite, cette mise à disposition se fait au prix de l'ARENH. La Cour des comptes s'est penchée sur cette question pendant deux ans et a remis deux rapports, dans lesquels elle a établi que le coût de production de l'électricité par le parc nucléaire existant était de 55 euros par mégawattheure. Le président-directeur général d'EDF ne peut donc pas se satisfaire d'un prix de l'ARENH inférieur à 55 euros par mégawattheure. Sinon, cela signifierait que les concurrents d'EDF peuvent revendre cette électricité à un prix inférieur à son coût de revient. Ce serait absolument illogique. D'autant que les concurrents d'EDF ne sont pas obligés d'acheter cette électricité : c'est une facilité qui leur est donnée. Ainsi, ils pourront acheter sur le marché lorsque le prix de l'électricité y sera inférieur au prix de l'ARENH – il arrive que le marché s'effondre pour des raisons qui tiennent à sa désorganisation, notamment à l'hyper-subventionnement de certaines énergies. Et, lorsque le marché se rétablira, ils pourront acheter de l'électricité à EDF à un prix décoté. C'est formidable, génial ! À tel point que cela devrait être condamné par l'Autorité de la concurrence ! Si je pouvais acheter un quart des Mercedes produites à Stuttgart à un prix inférieur de 40 % à leur coût de revient, puis les revendre, je pourrais créer une concession Mercedes fort rentable n'importe où dans le monde ! Nous nous sommes abonnés à cette idée, mais il ne faudrait pas que cela soit éternel.