Nous assurons, au-delà du développement, de l'entretien et de l'exploitation des infrastructures, la circulation des électrons, veillant ainsi à l'équilibre entre l'offre et la demande. Pour ce faire, nous pouvons mobiliser des moyens de production ou d'effacement, ainsi que des capacités situées aux frontières, grâce aux interconnexions.
Pour un consommateur domestique moyen, le prix du mégawattheure s'établit à 160 euros, dont 13 euros pour le transport, soit 8 %. Dans cette facture, le poste principal est la fourniture – 36 % –, suivie par la distribution, compte tenu de la longueur du réseau et des pertes, plus importantes, pour l'électricité transportée à plus basse tension : elles atteignent 7 % au total, dont 2 % imputables au transport lui-même et 5 % à la distribution. Le troisième poste est la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), pour 15 %, suivie par la contribution au service public de l'électricité (CSPE) – 10,2 % –, les taxes diverses – 8,3 % – et, enfin le transport – 8,2 %.
Pour un grand industriel, directement raccordé au réseau – donc exempt de charges de distribution –, le transport représente 13 % de la facture : cela explique qu'il fasse l'objet de réflexions – le projet de loi relatif à la transition énergétique et à la croissance verte réserve d'ailleurs un article aux électro-intensifs.
Nos tarifs sont fixés pour quatre ans par le régulateur, à l'approbation duquel sont également soumis, par souci de cohérence, nos programmes d'investissements. La période en cours s'achèvera en 2017. La formule est simple : nos tarifs doivent suivre la courbe de l'inflation. Cependant, nul ne lit dans la boule de cristal : des éléments peuvent varier, comme le coût d'achat des pertes. L'exploitation des interconnexions peut aussi générer des recettes, qui par conséquent dépendent de l'évolution du marché européen. Le régulateur retient donc des hypothèses normatives, qu'il compare chaque année à la réalité ; un compte dit « de régularisation des charges et produits » est débité ou crédité, selon l'évolution à la hausse ou à la baisse des recettes et des charges. Cela aboutit à une correction, sur le tarif, limitée à 2 % afin de lisser l'évolution. Au 1er août dernier, nos tarifs ont diminué de 1,3 %, soit le différentiel entre l'inflation de 0,7 % et le plafond de 2 % appliqué à des recettes imprévues que nous avions engrangées. Le régulateur a d'ailleurs consenti, pour les consommateurs électro-intensifs, une « ristourne » supplémentaire en cours de légalisation.
Nos recettes proviennent, pour 85 %, des tarifs fixés par le régulateur. Ces tarifs étant d'ordre public, ils ne sont pas négociables – nous ne sommes donc pas en mesure de faire des remises à nos clients. C'est la contrepartie légitime au monopole. Le reste de nos recettes – 15 %, donc – vient d'abord des transports, à travers ce qu'il est convenu d'appeler la tarification « timbre poste », indépendante de la distance supposée entre le lieu de production et le lieu de consommation. Cette distance serait d'ailleurs difficile à établir : même si un client est situé à proximité d'un barrage, outre que celui-ci peut être arrêté, le réseau est maillé, de sorte que l'ensemble des moyens de production concourent à l'équilibre entre l'offre et la demande. Bien que certains économistes plaident pour une tarification nodale, je pense que le système actuel est le bon ; c'est d'ailleurs celui qui est appliqué partout en Europe, les États-Unis, de leur côté, ayant opté pour la tarification nodale dans quelques zones – celle-ci, en tout état de cause, irait à l'encontre du principe de péréquation.
Nous procédons à du « sous-tirage ». Nos clients sont les gros consommateurs industriels – pour 15 % de la consommation – et les distributeurs. C'est, notons-le, le destinataire qui paie le « timbre poste » – comme ce fut d'ailleurs le cas, à l'origine, pour le courrier. Un autre timbre, dit « d'injection », est acquitté par les gros producteurs, qui ont besoin d'un accès direct au réseau ; d'un niveau très faible, il ne représente que 2 % de nos recettes, soit 80 millions sur un total de 4 milliards.
Les recettes d'interconnexion, elles, représentent de 8 à 10 % de ces recettes, soit 300 millions d'euros en moyenne ; mais elles peuvent varier de presque 100 millions d'une année sur l'autre. RTE exploite quarante-six interconnexions, gérées, aux termes des directives européennes, selon un système d'enchères qui, dans l'hypothèse d'une offre insuffisante, départage les candidats à l'importation ou à l'exportation. Si l'électricité vaut 80 dans un pays et 100 dans un autre, les clients, dans ce dernier, n'accepteront d'acquitter, au titre de l'interconnexion, qu'un surplus limité à 20. Bien que vertueux par cette limitation, le système dépend de l'évolution des prix dans chacun des pays considérés ; d'où le caractère peu prévisible des recettes.
Le code de l'énergie dispose que les tarifs réglementés doivent être établis de manière à couvrir les coûts. Ceux-ci, pour l'industrie capitalistique que nous sommes, se décomposent comme suit : 17 % de charges de personnel ; 18 % d'amortissements ; 12 % d'impôts et taxes ; 8 % de charges financières ; restent 45 %, composés pour moitié par les achats du système électrique, parmi lesquels les pertes, pour 2 % : rapportées à un total de 500 milliards de kilowattheures, elles atteignent donc 10 milliards de kilowattheures. Cela fait de RTE le deuxième acheteur d'électricité en France, derrière les distributeurs, qui en achètent 2,5 fois plus. Il faut savoir que, pour fournir un volume d'électricité équivalent à 100 – volume facturé au consommateur –, le système électrique doit en produire 107 : les 7 unités perdues sont achetées par RTE et les distributeurs. À 60 euros le mégawattheure, notre facture atteint donc de 600 à 700 millions d'euros, soit le premier poste pour nos charges. Nos achats pour la maintenance courante représentent enfin 20 % de ces dernières.
C'est le régulateur qui fixe les objectifs d'encadrement pour les charges maîtrisables : pour les variables, telles que les charges d'interconnexion, il fixe un indice hypothétique, avant de le réajuster pour le répercuter, le cas échéant, sur le prix. Le coût d'achat des pertes est lui aussi variable puisqu'il dépend de la conjoncture européenne, qui en l'occurrence l'oriente plutôt à la baisse, pour atteindre un niveau inférieur à celui prévu par le régulateur ; de sorte que nous restituons une différence au bénéfice du consommateur.
De 2003 à aujourd'hui, les tarifs du transport ont progressé d'un peu moins de 9 %, contre 18 % pour l'inflation. On peut évidemment se poser la question de savoir si cette tendance perdurera. Nos investissements atteignent en moyenne 1,4 milliard d'euros par an, contre 600 millions il y a sept ans. Cette évolution tient, en premier lieu, aux nécessaires opérations de renouvellement, qui représentent un tiers de ces investissements. La période reste néanmoins favorable : notre réseau à 400 000 volts, construit parallèlement au parc nucléaire, est âgé, comme lui, d'une quarantaine d'années en moyenne ; or un réseau correctement entretenu peut fonctionner de soixante à quatre-vingts ans. Des renouvellements commencent donc à devenir nécessaires pour le réseau à 225 000 volts qui, déployé au milieu du siècle dernier, couvre notamment Paris. Certaines portions des réseaux de 63 000 et 90 000 volts sont même centenaires : elles doivent donc faire l'objet d'une surveillance attentive.
Les deux autres tiers de nos investissements sont liés au développement. Celui-ci tient à l'obligation qui nous est faite de raccorder tout nouveau point de production et, par suite, de répondre aux exigences de sécurité de nos clients : l'alimentation de certaines zones reste fragile – la Bretagne et l'est de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur notamment –, même si nous avons des solutions en perspective ; il faut aussi renforcer le réseau interconnecté pour y introduire de la flexibilité, compte tenu du développement des énergies renouvelables en Europe.
La consommation d'électricité, nonobstant de sensibles disparités – de l'ordre de 2 à 3 % selon les régions –, stagne globalement, en France comme en Europe, l'effet cumulatif des mesures de maîtrise de la demande l'orientant à la baisse. Du côté de l'offre, la cartographie des moyens de production est en train de changer : c'est tout l'enjeu de la transition énergétique. En application des directives européennes, plusieurs centrales thermiques classiques vont être arrêtées ; rien n'indique qu'elles seront remplacées par des infrastructures de même puissance, d'abord parce que le site ne s'y prête pas forcément. L'éolien offshore pourra éventuellement compenser la puissance ainsi perdue, mais avec des installations potentiellement situées à quelque 800 kilomètres.
Les énergies renouvelables étant diffuses, elles favoriseraient, dit-on, le développement de boucles locales. C'est vrai du point de vue qualitatif, mais sur le plan quantitatif, la production de ces énergies est variable ; elle dépend notamment de la météorologie pour l'éolien et le solaire. Les énergies renouvelables requièrent donc des instruments de flexibilité, qui fassent coïncider leur variabilité avec celle de la demande, dont les inflexions obéissent à d'autres critères. Le premier de ces instruments est le stockage, au développement duquel nous travaillons aussi ; reste que cette opération exige des sites appropriés, vers lesquels il faudra, par exemple dans le cas des barrages hydrauliques, acheminer l'énergie : cela suppose la construction de réseaux. Le stockage divisé est une autre solution, et sans doute la meilleure à terme, mais encore faut-il la développer à la juste échelle : on peut penser aux batteries des véhicules électriques, à l'électrolyse ou au « power to gas », qui, sans être à proprement parler réversible, permet de déverser de l'énergie disponible sur un autre vecteur. Cela dit, la solution immédiatement disponible est celle de la flexibilité spatiale, avec les réseaux de transport, grâce auxquels l'énergie produite est récupérée dans des conditions optimales avant d'être acheminée vers les zones de consommation. Celles-ci peuvent être éloignées mais, par le fait, l'Europe continentale tout entière est une zone synchrone, la deuxième au monde par son étendue, après la Chine – les États-Unis, État fédéral, possèdent quant à eux trois zones synchrones faiblement interconnectées.
Les interconnexions ont une triple utilité. Elles permettent en premier lieu la mutualisation, par l'utilisation de moyens disponibles ailleurs que dans la zone de production. Elles rendent également possibles les échanges, dont je vais m'efforcer de démontrer l'utilité pour le consommateur. Enfin, la solidarité entre les réseaux représente une garantie puisque l'arrêt d'une centrale nucléaire en France, par exemple, pourrait aussitôt être suppléé, dans certaines limites bien entendu, par une autre centrale située dans un pays européen.
Le consommateur paie-t-il pour ce système ? Pas à travers les tarifs, puisque les interconnexions sont gérées par le mécanisme d'enchères que j'ai décrit. Celui-ci génère, bon an mal an, 300 millions d'euros de recettes par an ; sur dix ans, RTE a donc perçu quelque 3 milliards d'euros à ce titre. S'agissant des investissements, un projet entre la France et l'Espagne s'achèvera l'an prochain, les liaisons existantes ont été consolidées, des travaux ont été engagés sur la frontière Nord avec la Belgique, et l'évacuation des lignes avec l'Italie a été améliorée. Pour le projet France-Espagne, notre part représente 350 millions d'euros, soit à peu près l'équivalent des dépenses consenties pour les autres liaisons. Cela fait donc un total d'environ 700 millions, à rapporter aux 3 milliards de recettes, elles-mêmes venues en déduction des charges couvertes par les tarifs ; si bien que le consommateur d'électricité français y a largement gagné.
Il faudra, selon nos estimations, doubler la capacité d'interconnexion, ne serait-ce que pour assurer la fluidité requise par le développement des énergies renouvelables, y compris chez nos voisins. Selon toute vraisemblance, il sera difficile de développer de nouvelles liaisons aériennes : nous devrons donc recourir au transport souterrain, qui est coûteux. Au-delà des enjeux financiers, le vrai défi est l'acceptation des ouvrages par nos concitoyens – il a fallu vingt-cinq ans, par exemple, pour construire la ligne France-Espagne, en raison de désaccords sur le tracé et de décisions politiques malheureuses des deux cotés des Pyrénées. Les investissements nécessaires portent sur environ 15 000 mégawatts, soit dix fois plus que la ligne France-Espagne, pour laquelle la part française représente quelque 350 millions d'euros ; en d'autres termes, les investissements s'élèveraient, sur dix ans, à 3,5 milliards d'euros ; ils pourraient donc être couverts par nos recettes annuelles de 300 millions.
La connexion entre les réseaux permet-elle de tirer les prix vers le bas ? On peut répondre clairement par l'affirmative, puisque les importations sont par définition motivées par des intérêts commerciaux ; autrement dit, elles supposent que le fournisseur d'énergie a trouvé, à l'étranger, des conditions d'achat plus favorables que sur le territoire national. La logique est la même, symétriquement, pour les exportations. L'interconnexion obéit donc à un intérêt mutuel.
Elle présente un dernier avantage en termes de limitation des investissements. Aujourd'hui, bien qu'elle possède le système électrique le plus exportateur au monde, avec 50 milliards de kilowattheures – soit presque 10 % de la production –, devant l'Allemagne – qui en exporte une trentaine de milliards –, la France devient importatrice en hiver, en période de pointe –compte tenu notamment du développement du chauffage électrique. Elle peut l'être – bien entendu dans la limite de ses capacités d'importation et de la disponibilité des moyens de production dans les pays voisins – jusqu'à 7 000 ou 8 000 mégawatts. Si notre pays redevenait une île électrique, comme dans les années 1930, et entendait fournir à ses consommateurs la même qualité de service, il devrait obligatoirement disposer d'une capacité similaire sur le territoire national, soit à travers la production, soit à travers l'effacement. Dans tous les cas, cela a un prix. La mutualisation, rendue possible par l'interconnexion, permet donc une optimisation au niveau européen par l'utilisation des excédents de chacun à différentes périodes de l'année.
Vous m'avez demandé si nous avions des désaccords avec la CRE au sujet des investissements. En fait, nous avons un dialogue normal entre régulateur et régulé, où chacun est dans son rôle. Si nous sommes une filiale à 100 % d'EDF, nous nous voyons appliquer, en application des directives européennes et du droit français, des dispositions exorbitantes du droit commun, figurant dans le code de l'énergie. Du fait que nous sommes un monopole, nos tarifs sont fixés par le régulateur. Quant aux investissements, bien qu'EDF soit actionnaire à 100 % de RTE, elle n'a pas son mot à dire sur nos investissements – ce qui constitue un cas unique. Nous informons notre actionnaire, mais il ne peut délibérer, et encore moins intervenir au sujet de nos investissements : de ce point de vue, c'est le régulateur qui se substitue à l'organe délibérant.
Le régulateur nous stimule, considérant que le développement des interconnexions est une bonne chose pour la réalisation du marché intérieur de l'énergie, dont il est en quelque sorte le défenseur. Il fait également preuve de vigilance quant aux tarifs, ayant le souci que le consommateur français puisse bénéficier des meilleures conditions. À cet effet, il a développé une régulation incitative : nous sommes couverts sur certains coûts, mais nous voyons également appliquer un bonus ou un malus en fonction de certains de nos résultats. En matière de qualité, par exemple, il nous est assigné un objectif consistant à limiter le temps de coupure moyen par consommateur à 2,4 minutes, soit 2 minutes et 24 secondes. Si les événements considérés comme des catastrophes naturelles sont exclus, les autres risques, en revanche, font partie des aléas dont nous devons tenir compte, qu'il s'agisse des orages ou des opérations de maintenance auxquelles il faut procéder, et cet objectif n'est pas facile à atteindre – nous ne l'atteignons d'ailleurs pas systématiquement. Les résultats obtenus sont analysés au moyen d'une formule mathématique assez compliquée. En gros, si nous faisons mieux que l'objectif fixé, nous pouvons toucher un bonus pouvant aller jusqu'à 20 millions d'euros de plus que l'application des tarifs, et si nous faisons moins bien, nous pouvons être amenés à rendre 20 millions d'euros aux consommateurs.
Il existe également une régulation incitative en matière de pertes, portant non pas sur le volume, lié aux lois de la physique qu'il nous est, par définition, impossible de modifier, mais sur le coût d'achat : nous devons être un bon acheteur. À l'heure actuelle, nous avons déjà acheté 90 % des pertes de 2015, et nous continuons à les acheter régulièrement, selon des modèles permettant de réaliser des prévisions à différentes échéances – annuelles, mensuelles, hebdomadaires, journalières –, l'objectif étant d'acheter l'énergie nécessaire à la couverture des pertes, le plus précisément possible et de façon échelonnée dans le temps afin de bénéficier de tarifs avantageux.
Enfin, nous sommes également incités à maîtriser nos coûts propres. Le coût d'achat des pertes ou les amortissements sont des coûts comptables, mais nous sommes tout de même responsables de certaines de nos dépenses directes en termes d'achats, qu'ils soient imputés aux dépenses d'exploitation ou aux dépenses d'investissement, et avons, là aussi, un objectif de performance. Si nous dépassons l'objectif, nous gardons la moitié de la somme économisée, et restituons l'autre moitié aux clients ; si nous faisons moins bien, la perte reste à notre charge.
Ces différentes incitations donnent lieu à un dialogue constructif, parfois musclé, mais que le régulateur et le régulé ont tous deux à coeur de mener à bien, car notre intérêt commun réside évidemment dans la viabilité du système français – auquel la Commission européenne, qui l'a accepté, aurait tout de même préféré un système de séparation patrimoniale. Le gouvernement français a défendu le système de l'opérateur intégré mais doit, maintenant qu'il l'a obtenu, donner des garanties d'indépendance. Chacun me semble jouer le jeu, qu'il s'agisse de RTE, d'EDF ou de la CRE, même si c'est parfois un peu compliqué.