J'en viens aux questions que m'a posées le président Brottes. Pour ce qui est de la compétence, s'il existe deux organismes, ce n'est pas pour que l'un fasse le métier de l'autre : si le régulateur devait être aussi compétent, voire plus compétent que nous, alors il aurait vocation à occuper notre place ! À mon sens, il faut maintenir une séparation où chacun conserve ses propres compétences. Si les compétences d'ordre technique nous reviennent, de son côté, le régulateur doit pouvoir prendre du recul pour porter un regard à l'échelon macro-économique sur les grands optimums et, conformément à sa vocation d'artisan de la construction du marché européen, qui le porte à favoriser tout ce qui est de nature à fluidifier les échanges, inciter aux choix allant en ce sens, notamment en matière d'interconnexion. Cela dit, rien ne s'oppose à ce que le régulateur ait, en plus de ses compétences juridiques et économiques, quelques compétences techniques – ainsi, je crois savoir que l'actuelle responsable de l'accès au réseau était initialement ingénieur, et que l'on trouve également des ingénieurs au sein de ses équipes. Par ailleurs, le régulateur peut confier à des tiers experts le soin de valider techniquement nos propositions. En tout état de cause, la volonté du législateur était bien de séparer les fonctions d'opérateur technique, chargé d'effectuer les travaux, et de régulateur, chargé de contrôler et d'administrer.
Je sais que Philippe de Ladoucette, président de la CRE, se plaint de ne pas disposer de suffisamment de moyens, ce sur quoi je ne peux me prononcer. En tout état de cause, nous entretenons un dialogue nourri, dont témoignent l'épaisseur des dossiers de justification que nous faisons parvenir au régulateur et le nombre de questions qu'il nous adresse en retour, ce qui prouve que nos dossiers font l'objet d'un examen très approfondi. J'ignore si, pour mener à bien cette mission de contrôle de nos investissements, la CRE doit recourir à des moyens qui lui font défaut par ailleurs, mais en tout état de cause, j'estime que le travail est bien fait.
Vous avez parfaitement raison de souligner que le monopole dont nous disposons doit faire l'objet d'un contrôle, et tel est bien le cas. En plus du contrôle exercé par la CRE, nous faisons également l'objet de l'attention constante de la Cour des comptes, qui ne s'intéresse pas seulement à nos comptes, mais également à la méthodologie que nous mettons en oeuvre. Par ailleurs, notre statut implique la présence à demeure d'un contrôleur général de la conformité bénéficiant, au même titre qu'un délégué syndical, du statut de salarié protégé, chargé de vérifier que notre comportement est bien conforme à certaines obligations nous incombant, notamment en matière d'indépendance. Dans ce cadre, il a la faculté de diligenter des audits sur le fonctionnement interne de RTE ou encore sur les modes de calcul auxquels nous recourons. En résumé, notre activité me paraît faire l'objet d'un niveau de contrôle suffisant.
Si vous semblez voir en moi l'apôtre inconditionnel de l'interconnexion, je ne prétendrai pourtant pas qu'il s'agisse là d'une panacée. Les interconnexions représentent aujourd'hui environ 10 % de la capacité installée en France – ce qui veut dire que 90 % du problème est réglé autrement – et des discussions sont menées sur ce point dans le cadre d'un sommet européen se tenant ces jours-ci à Bruxelles, l'une des questions qui se posent consistant à savoir s'il ne faudrait pas s'efforcer de passer de 10 % à 15 %. En tout état de cause, les chiffres actuels montrent qu'à l'intérieur d'un pays, l'électricité est une énergie assez largement autoproduite et autoconsommée, les échanges entre États restant marginaux – de ce point de vue, la France est l'un de ceux qui échangent le plus. Un spécialiste de l'énergie a récemment déclaré que, sur le plan mondial, 50 % de la production locale de pétrole était autoconsommée, cette proportion étant de 70 % pour le charbon, 80 % pour le gaz et 98 % pour l'électricité. Comme on le voit, l'électricité est une forme d'énergie consommée essentiellement là où elle est produite – ce qui s'explique en partie par le fait qu'elle ne se transporte pas si facilement. En France, on constate une très grande disparité entre certaines régions, qui produisent moins de 10 % de l'énergie qu'elles consomment – c'est le cas par exemple de la Bretagne ou de l'Île-de-France, pour des raisons historiques – et d'autres, qui disposent sur leur territoire de moyens de production représentant deux fois leur consommation – je pense à la région Rhône-Alpes, dotée d'importantes capacités de production d'origine hydraulique et nucléaire, ou à d'autres régions autrefois très industrialisées, qui ont conservé des installations de production d'électricité en grand nombre alors même que leur activité industrielle a décliné. Même si, demain, les disparités peuvent se réduire du fait du rapprochement entre les points de production et les zones de consommation, il appartiendra toujours à RTE d'assurer un équilibre entre les régions : en effet, nous avons à la fois un rôle consistant à fournir l'énergie et un rôle de garantie et d'assurance. En ce sens, le réseau est également un instrument de solidarité à l'intérieur du territoire : ainsi, quand le fonctionnement d'une centrale doit être interrompu pour des raisons de maintenance, la région concernée peut être alimentée en électricité par la centrale d'une région voisine.
Je remercie la représentation parlementaire – et vous en particulier, monsieur Brottes, pour votre implication – d'avoir introduit dans la loi une simplification des procédures relatives aux enquêtes publiques. Si la procédure de débat public avec garant de préférence et celle de débat public avec commission particulière du débat public sont toutes deux conformes à la convention d'Aarhus, nous avons constaté que la première nécessitait sept jours de concertation par kilomètre de ligne et la seconde, quarante-cinq jours – pour un degré d'information des populations assez comparable. La procédure de débat public avec garant nous paraît donc être la plus efficace, en ce qu'elle permet de faire l'économie de nombreuses réunions, de commissions particulières, ou encore de la rédaction de cahiers d'acteurs.
Vous avez évoqué une autre simplification appréciable, relative à la loi Littoral. Afin que le raccordement des éoliennes offshore n'implique plus l'obligation de longer la côte sur plusieurs kilomètres jusqu'à atteindre une embouchure ou un port, ce qui était pour le moins paradoxal, la loi de 2013 à laquelle vous avez donné votre nom prévoit la possibilité de demander des dérogations, lesquelles, je le précise, ne sont pas accordées automatiquement – pour réaliser de telles interconnexions – qui auront de plus en plus vocation à être réalisées par voie souterraine.
La question des modèles de marchés de capacité est complexe. Je commencerai par dire deux choses à ce sujet. Premièrement, l'une des principales préoccupations de nos concitoyens est que le système électrique pris dans sa globalité – production, transport et distribution – lui assure une sécurité d'alimentation. Or, nous n'en sommes plus au temps où un opérateur unique était responsable de tout : le système a évolué de telle manière que la responsabilité consistant à garantir l'alimentation – en particulier en période de pointe – s'est trouvée diluée entre différents acteurs. La vocation du mécanisme de capacité est bien de responsabiliser ces acteurs, à la hauteur de leur présence sur le marché : chacun d'entre eux doit pouvoir justifier à l'avance qu'il disposera des capacités de production ou d'effacement lui permettant de satisfaire l'ensemble des clients composant son portefeuille.
Dans le cadre du bilan prévisionnel qu'il nous incombe de réaliser, j'ai été amené à lancer une alerte sur l'urgente nécessité qu'il y a à mettre en oeuvre ce dispositif : à défaut, durant l'hiver 2015-2016, la « mise sous cocon » de centrales à gaz à cycle combiné envisagée par certains producteurs pourrait, si elle était effectivement mise en oeuvre et si l'hiver était rigoureux, nous faire courir le risque d'une pénurie d'électricité. Le marché de capacité constitue une réponse à ce problème, en faisant obligation à chaque fournisseur du marché français d'établir à l'avance un équilibre entre l'offre et la demande et de pouvoir en justifier : à défaut, il serait considéré comme un fournisseur irresponsable – car il agirait un peu comme un boulanger qui, ayant trente clients, ne cuirait que vingt baguettes au motif qu'en cuire davantage lui coûterait plus cher – et pourrait même encourir des sanctions.
Pour ce qui est de l'objectif européen, je préfère parler de changement dans le tour de table que d'ouverture du capital, car la loi prévoit actuellement que ne peuvent être actionnaires de RTE qu'EDF, l'État français ou un organisme public, afin de garantir le maintien du caractère public de notre activité : EDF étant pour le moment le seul actionnaire, l'entrée au capital de l'État ou d'un organisme public constituerait une évolution importante.