Exeltium est un consortium dont les actionnaires-clients sont des industriels « électro-intensifs » au sens de la loi de finances rectificative pour 2005 et de son décret d'application du 3 mai 2006. Il réunit les principaux groupes, implantés en France, des secteurs très sensibles au prix de l'électricité, tels que l'acier, l'aluminium, la chimie, les gaz industriels et le papier. Pour ces industries en situation de concurrence mondiale, l'approvisionnement électrique, qui représente 15 % à 50 % de leur coût de production, est un enjeu de compétitivité majeur. En outre, le cycle d'investissement dans les lignes de production des usines se faisant sur le long terme – au moins dix ans –, toute incertitude sur l'évolution du prix de l'électricité obère la pérennité de ces sites industriels. Deux éléments sont donc très importants : le niveau du prix de l'électricité et la prévisibilité de ce prix – j'y reviendrai.
Comment est né Exeltium ? Historiquement, les électro-intensifs ont été parmi les premiers à militer pour la libéralisation des marchés de l'énergie en Europe, et donc à sortir des tarifs réglementés. Après la déréglementation du secteur de l'électricité dans les années 2000, l'électron fut considéré comme une commodité, ce qui a conduit à de graves dysfonctionnements du marché de l'électricité, dont ils ont été également les premiers à s'alarmer : spirale de hausse des prix déconnectée des réalités économiques de production, alignement par le haut des offres de fourniture électrique et impossibilité de contracter à long terme.
À ces dysfonctionnements, le législateur a apporté deux types de réponse. La première fut tarifaire : le Tarif réglementé et transitoire d'ajustement au marché (TARTAM) fut mis en place en décembre 2006 et prorogé à plusieurs reprises. La seconde relève d'un contrat privé : c'est la création d'Exeltium. Dès 2005, le gouvernement français a en effet convié des producteurs d'électricité français et des sociétés électro-intensives établies sur le territoire national à participer à une table ronde. Exeltium est né de cette table ronde. Le cadre juridique a été défini dans la loi de finances rectificative de décembre 2005 ; en mai 2006, Exeltium était créé par sept sociétés. En 2007, au terme d'un appel d'offres européen, EDF a été retenue comme fournisseur, mais les discussions avec la DG Concurrence ont duré jusqu'en 2008, de sorte que le contrat de partenariat industriel avec EDF a été signé qu'à la fin du mois de juillet 2008. Au moment où le consortium allait se tourner vers les marchés pour se financer, la crise financière a éclaté.
Faute de pouvoir accéder à des financements suffisants, la décision fut donc prise de réaliser le projet en deux phases. La première, qui a démarré le 1er mai 2010, est en cours ; elle porte sur 148 Térawattheures (TWh) sur 24 ans, mais avec un financement sur une durée limitée à 9,5 ans, nécessitant un refinancement d'ici à la fin de 2014 – c'est un élément crucial pour Exeltium. La seconde phase, pour 163 TWh sur la même période, reste en suspens.
Fin 2014, Exeltium aura livré 33 TWh d'électricité à une centaine d'usines appartenant à ses 27 actionnaires-clients, soit 7,4 TWh en rythme annuel. Ces volumes représentent entre le tiers et la moitié des besoins des sites concernés. C'est un ruban de puissance ; charge aux clients de s'approvisionner pour la part restante auprès d'un autre fournisseur.
Quelle est la philosophie d'Exeltium ? Historiquement, la production électrique et les usines électro-intensives se sont développées en symbiose : les usines se sont implantées à côté des moyens de production existants ou de gisements d'énergie à exploiter, notamment dans les vallées alpines ou pyrénéennes équipées d'ouvrages hydroélectriques. Avant la nationalisation de 1946, de nombreux industriels possédaient ainsi leurs propres centrales et pouvaient ainsi s'approvisionner à prix coûtant. Aujourd'hui, si ces pratiques sont révolues en France, les pays industriels qui disposent d'une production électrique compétitive, souvent issue de ressources locales, s'appuient sur ces spécificités pour développer des dispositifs très favorables aux électro-intensifs : hydroélectricité au Québec, aux États-Unis, au Brésil, en Norvège et en Russie, gaz dans les pays du Golfe, charbon en Chine.
La philosophie du projet Exeltium consiste également à donner accès aux électro-intensifs français à la spécificité du parc nucléaire historique dans le cadre d'un partenariat associant ces industriels à certains risques d'exploitation – essentiellement la disponibilité du parc et sa capacité installée – et au renouvellement du parc, c'est-à-dire au développement de nouvelles capacités, en l'occurrence une petite série d'EPR, pour l'instant limitée à un seul exemplaire.
Concrètement, Exeltium se doit d'assurer à ses actionnaires-clients une grande quantité d'électricité pendant vingt-quatre ans à un prix compétitif et prévisible. Le consortium acquiert cette électricité sous forme de rubans en take-or-pay pour une durée de quinze à vingt-quatre ans auprès d'EDF, en contrepartie, d'une part, d'une prime fixe initiale dite « avance en tête », versée à EDF en début de contrat, en mai 2010, d'un montant de 1,75 milliard d'euros – financée à 90 % par de la dette et à 10 % par les fonds propres apportés par les actionnaires-clients –, et, d'autre part, d'un prix d'enlèvement au fil de l'eau correspondant aux charges d'exploitation du parc nucléaire historique.
Le prix de l'électricité vendue par Exeltium à ses associés-clients est donc constitué de deux termes : une partie visant à rembourser la dette ayant servi à payer à EDF l'avance en tête ; une autre servant à payer la part proportionnelle du prix négocié avec EDF.
L'intérêt du montage repose sur l'accès des électro-intensifs à la compétitivité du parc nucléaire historique. En outre, la part importante de dette – 90 % – dans le financement de l'avance en tête permet d'assurer un effet de levier important grâce au différentiel entre, d'une part, le coût de la dette d'Exeltium et, d'autre part, le coût moyen pondéré du capital du producteur d'électricité. Cet effet de levier creuse progressivement un écart qui assure à Exeltium une compétitivité à long terme.
Je tiens à souligner que la création d'Exeltium est un acte inédit au plan industriel qui traduit un véritable volontarisme : les pouvoirs publics se sont impliqués, EDF s'est mobilisée et la Caisse des dépôts ainsi que les grandes banques françaises ont participé au financement. Last but not least, les industriels eux-mêmes, pour la plupart des groupes internationaux dont le siège ne se trouve pas forcément dans notre pays, ont investi 1,75 milliard d'euros en France pour assurer la fourniture électrique d'une centaine d'usines représentant 60 000 emplois.
L'histoire d'Exeltium n'est pas un long fleuve tranquille. Entre 2010 et 2014, le contexte énergétique français, européen et mondial a en effet considérablement évolué. En France, l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) a été mis en place en juillet 2011 et fixé au prix de 40 euros par MWh puis de 42 euros par MWh dès janvier 2012, ce prix étant censé refléter le coût de la production du parc nucléaire historique. Fin 2013, le coût final d'Exeltium ressortait pour ses actionnaires à environ 50 euros par MWh. Ce coût incluait le prix contractuel de vente d'Exeltium à ses clients, une provision liée au surcoût du futur EPR de Flamanville – reflet d'un risque avéré du partenariat avec EDF – et le coût pour les actionnaires de la non-rémunération des fonds propres qu'ils ont apportés. Exeltium a en effet pour principe de répercuter sur le prix la totalité de ses revenus ; il ne verse donc pas de dividendes à ses actionnaires.
Il est en outre apparu que divers aspects économiques et législatifs – annonce d'une baisse de la capacité du parc nucléaire historique et modification des règles fiscales applicables, notamment la non-déductibilité totale des intérêts d'emprunt, dont l'impact se fera sentir dès 2015 – allaient aggraver directement la dégradation relative du prix Exeltium en raison de sa formule de calcul. Dans le même temps, au-delà de nos frontières, l'évolution compétitive est radicale. Les prix du gaz nord-américain, deux à trois fois inférieurs aux prix européens, permettent de produire une électricité à un prix bien moindre qu'en Europe. Le charbon chinois permet lui aussi de développer d'importantes capacités électro-intensives dans d'excellentes conditions de compétitivité.
En Europe, plusieurs facteurs contribuent également à la faiblesse des prix de marché – tout au moins hors de France, où le niveau de l'ARENH semble à court terme constituer un « plancher de verre » pour les prix de marché forward. Ces facteurs sont les suivants. Premièrement, la demande d'électricité est atone, du fait de la crise. Deuxièmement, la baisse du prix du charbon américain importé, induite par le développement des gaz de schiste, permet un regain de compétitivité des parcs de centrales à charbon, dans un contexte de bas prix du CO2. Troisièmement, les capacités nouvelles de production d'origine renouvelable connaissent une forte croissance.
On assiste ainsi à une inversion complète du rapport de compétitivité électrique entre la France et l'Allemagne : alors qu'en Allemagne, les prix de marché étaient, en 2009, supérieurs de 30 euros par MWh au TARTAM, ils se situent, pour 2015, autour de 34 euros par MWh, contre 42 euros pour le prix de l'ARENH en 2014 et 43 euros pour le prix CAL-15 français, c'est-à-dire les prix forward français pour 2015. Si l'on en croit les médias, l'ARENH devrait être porté à 44 euros en 2015, voire 46 euros en 2016, ce qui est de nature à creuser plus profondément encore le gouffre qui existe entre nos deux pays.
Enfin, de nombreux États ont mis en place des dispositifs spécifiques permettant de baisser encore la facture électrique des électro-intensifs : contrats de long terme à des tarifs très favorables, notamment en Amérique du Nord – USA et Canada – et panel de mesures, notamment en Allemagne, portant sur divers termes de la chaîne de coût de l'électricité. Ces mesures consistent en de larges exonérations du coût de transport – qui représente en moyenne 6 euros par MWh pour les électro-intensifs français –, une compensation du coût du CO2 indirect – soit un peu plus de trois euros par MWh –, ou une rémunération importante de l'effacement et de l'interruptibilité. Au total, pour ces grands électro-intensifs, la facture pour 2015 est en Allemagne, qui consomme pourtant une électricité plus carbonée, inférieure de 35 % à ce qu'elle serait en France !
Dans ces conditions, il était fondamental de refonder la compétitivité à court et moyen terme du dispositif Exeltium, en particulier pour certains sites industriels directement menacés à court terme en l'absence de visibilité et de compétitivité sur l'approvisionnement stratégique en électricité. Tel fut l'objet des travaux menés au cours du premier semestre 2014, notamment des discussions avec EDF.
L'enjeu de ces discussions consistait à identifier les moyens d'adapter un contrat privé, qui offre certes une compétitivité prévisible à long terme, aux évolutions violentes du contexte immédiat. Dans la situation économique de l'industrie électro-intensive en France, le long terme est bien lointain, le court terme peut être celui de la survie… Ainsi l'accord signé le 21 juillet entre EDF et Exeltium en présence du ministre de l'économie a permis de sécuriser une baisse du prix pour les prochaines années, rétablissant en grande partie la compétitivité du contrat Exeltium, et d'introduire dans le contrat une notion de variabilité, donc de souplesse, qui permet de l'adapter à l'environnement économique futur.
Pour simplifier, je dirais que cet aménagement permet de créer un tunnel autour du prix actuel, avec une modulation du prix à la baisse, dans une certaine limite, quand le prix de l'énergie est bas – comme c'est le cas actuellement – et une modulation du prix à la hausse, également dans une certaine limite, quand la situation économique est plus favorable et que les prix de l'électricité sont revenus à « la normale ». En outre, l'accord porte sur une limitation plus stricte qu'initialement prévue du risque industriel partagé par Exeltium.
La philosophie du contrat, validée dès l'origine par la Commission européenne, n'est pas modifiée par cet accord. Il s'agit toujours d'offrir aux électro-intensifs une visibilité à long terme, avec un prix compétitif sur l'ensemble de la période considérée, tout en permettant au producteur de couvrir ses coûts dans la durée. La variabilité introduite doit permettre d'amortir les soubresauts du contexte économique et concurrentiel, sans remettre en cause l'économie générale du dispositif. Le schéma ainsi redéfini par cet accord est donc robuste sur un plan à la fois économique et juridique.
Pour compléter ce dispositif et achever le rétablissement de la compétitivité d'Exeltium, deux actions complémentaires sont en cours. La première consiste à effectuer une démarche auprès des pouvoirs publics afin que soit supprimé l'impact prévisible d'une déductibilité partielle des intérêts sur Exeltium, projet fondé, je le rappelle, sur un endettement très important. La seconde consiste en la réalisation dans des conditions favorables du refinancement de la dette d'Exeltium, nécessité par la maturité du financement initial limitée à dix ans. Le processus de refinancement vient d'être lancé et devrait aboutir au début de l'année 2015.
En conclusion, je souhaite réaffirmer, à quel point Exeltium, malgré les difficultés survenues au cours des dernières années, est un bon dispositif. Il est de nature à assurer aux électro-intensifs, pour lesquels cela est la priorité, compétitivité et visibilité. L'accord récemment conclu avec EDF, qui démontre la capacité du dispositif à s'amender, doit apporter à celui-ci la souplesse qui pouvait lui manquer pour s'adapter aux aléas de la conjoncture.
Je veux également souligner que le prix de l'électron n'est qu'une des composantes du prix de l'électricité, et donc de la facture des électro-intensifs. Dans ce contexte, l'aboutissement des réflexions initiées depuis deux ans et relayées en partie dans le cadre des travaux sur le projet de loi relatif à la transition énergétique reste essentiel.
Je tiens à mentionner ici trois sujets importants pour les semaines qui viennent.
Premièrement, l'établissement d'une rémunération attractive des effacements et de l'interruptibilité de la part des industriels, en échange du service économique que ces grands consommateurs de base rendent à l'équilibre du système électrique. En effet, la mise en oeuvre des dispositifs actuels de rémunération des effacements est le plus souvent inopérante pour les industriels et sans commune mesure avec ce qui est pratiqué en Allemagne.
Deuxièmement, l'introduction dans la loi d'un dispositif permettant un abattement sur le coût du transport d'électricité, la consommation en base ou anticyclique des industriels profitant à l'équilibre du réseau et ne nécessitant pas un surdimensionnement de celui-ci. L'article 43 du projet de loi relatif à la transition énergétique donne une base juridique à l'abattement sur le Tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) issu de la délibération de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) du printemps dernier. Cependant, l'abattement est plafonné à 60 %, contre 90 % en Allemagne. Par ailleurs, des incertitudes demeurent en ce qui concerne l'éligibilité au dispositif. Il apparaît donc souhaitable que les discussions se poursuivent et permettent d'affiner cette rédaction complexe d'ici à la fin de la procédure législative.
Troisièmement, la mise en conformité du dispositif de plafonds de la Contribution au service public de l'électricité (CSPE) qui n'entraîne pas pour autant une hausse de cette contribution pour les sites électro-intensifs français – à l'instar de ce que vient de faire l'Allemagne. Compte tenu des montants en jeu, ce statu quo est absolument vital pour les industries électro-intensives françaises, dans la mesure où leurs principaux concurrents dans le monde ne sont pas soumis à ces charges
De façon plus générale, il faut veiller à ce que de futures modifications législatives ou fiscales applicables à des projets comme Exeltium ne viennent pas affecter un équilibre économique très délicat. La déductibilité partielle des intérêts, que j'ai évoquée tout à l'heure, n'existait pas lorsque ce projet a été créé. Or, l'impact potentiel d'une telle mesure, supérieur à 1 euro par MWh, est de nature à mettre en jeu l'équilibre économique d'un projet comme celui d'Exeltium.