En ce qui concerne l'innovation, condition de la montée en gamme, je ne propose pas de mettre beaucoup plus d'argent qu'il y en a aujourd'hui. Mais d'une part, l'effort financier actuellement fourni doit être consolidé – je pense bien sûr au crédit d'impôt recherche –, et d'autre part nous devons aller beaucoup plus loin en matière de collaboration entre les industriels et les différents acteurs de la recherche et de l'innovation. Des structures existent : les pôles de compétitivité, les instituts de recherche technologique, les sociétés d'accélération du transfert de technologies. Elles doivent se développer, car leurs premiers résultats sont encourageants.
Le deuxième axe de la stratégie que je soutiens concerne la structuration et la solidarité du tissu industriel. Comment pouvons-nous faire grossir nos PME ? Dans ce domaine, les propositions contenues dans mon rapport ne sont pas exhaustives. Il n'y a pas de recette miracle : seul un environnement favorable peut permettre aux entreprises de grandir et aux chefs d'entreprise de prendre le risque de grandir. Pour cela, ils doivent disposer de financements, pouvoir compter sur une stabilité de l'environnement réglementaire – notamment en matière de transmission d'entreprise –, utiliser des outils pour se constituer des fonds propres sans perdre le contrôle de leur entreprise, être formés. En effet, pourquoi les chefs d'entreprise ne bénéficieraient-ils pas, au même titre que les cadres, d'une aide à la formation ?
Il convient également de renforcer la solidarité des filières industrielles. Dans ce domaine, l'État a un rôle à jouer : je propose par exemple qu'il apporte son soutien aux grandes entreprises à la condition que celles-ci associent leurs sous-traitants et fournisseurs à leur programme de recherche. Mais la constitution de filières organisées – à l'image de la filière aéronautique, que je connais bien et qui est sans doute celle qui fonctionne le mieux – est surtout l'affaire des industriels eux-mêmes. Cela implique que des syndicats professionnels forts perçoivent des cotisations substantielles de la part des entreprises concernées et soient impliqués dans la gestion opérationnelle des filières.
Les grands groupes devraient proposer des chartes destinées à organiser leurs relations avec les fournisseurs et les sous-traitants, non pas tant pour normaliser ces relations que pour participer à l'effort visant à renforcer la compétitivité de la filière. Il y va de leur intérêt à long terme, et ce serait également une manifestation de patriotisme.
Il faut enfin développer les solidarités territoriales. Les régions devront jouer un rôle essentiel, celui de coordonner toutes les actions concernant les entreprises de taille moyenne à l'échelle régionale. Je propose ainsi qu'une partie des pôles de compétitivité soient placés sous le pilotage des régions. La nouvelle étape de la décentralisation devrait leur donner la capacité à jouer ce rôle de coordination.
J'en viens aux leviers de la politique industrielle, et au premier d'entre eux, la formation.
S'agissant de la formation initiale, je propose que les entreprises soient associées à la gouvernance de l'enseignement technique et professionnel, soit au niveau des établissements, en étant représentées au conseil d'administration, soit au niveau régional, en participant à l'élaboration des cartes de formation, soit au niveau national.
Par ailleurs, nous devons nous donner des objectifs très ambitieux en matière de formation en alternance et d'apprentissage. J'ai donc proposé le doublement, en cinq ans, du nombre de contrats de professionnalisation.
De son côté, la formation continue représente un poids financier considérable : 31 milliards d'euros par an. Il me semblerait d'ailleurs sain d'effectuer un audit du dispositif, afin d'en mesurer l'efficacité. La formation doit être beaucoup plus orientée vers l'employabilité des salariés, et notamment de ceux qui, aujourd'hui, en bénéficient le moins, à savoir les salariés non qualifiés des PME. Or on observe au contraire un phénomène de réduction de la durée des formations, qui indique qu'elles sont de plus en plus orientées vers l'adaptation au poste de travail.
Je propose que chaque salarié dispose d'un compte individuel de formation, alimenté soit au début, soit au cours de sa vie active, afin de lui permettre d'exercer réellement son droit à la formation. Les partenaires sociaux ont par ailleurs reconnu l'objectif, pour tout salarié, d'une progression d'au moins un niveau de qualification au cours de sa vie professionnelle. Il convient maintenant de passer à l'acte.
Le deuxième levier est le financement. Les banques doivent faciliter l'accès au marché financier des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire, les ETI, dans la mesure où elles seront de moins en moins capables de les financer directement en raison des Accords de Bâle III.
Le crédit interentreprises est décisif, puisque son volume est cinq fois plus important que le crédit bancaire de trésorerie des entreprises. Mais son fonctionnement pose un énorme problème, comme l'a illustré le rapport Volot. Il faut donc que les commissaires aux comptes fassent leur travail, et joignent à leur avis sur les comptes de l'entreprise, conformément à la loi, un rapport sur le crédit fournisseur. En cas de manquement, des sanctions administratives doivent être prises, car il serait vain d'attendre d'un fournisseur qu'il poursuive son client en justice.
Par ailleurs, l'épargne longue des Français n'est pas suffisamment orientée vers les entreprises, et encore moins vers l'industrie. Il faut donc avantager les placements à risques et l'épargne à long terme, et soutenir le capital investissement, qui est passé de 12 milliards d'euros en 2008 à seulement 6 milliards aujourd'hui.
La Banque publique d'investissement doit jouer un rôle de levier sur les financements privés, comme Oséo a su le faire.
Enfin, le troisième levier est le Commissariat général à l'investissement, outil essentiel pour faire travailler ensemble des acteurs aujourd'hui trop isolés. Je suggère qu'il soit plus particulièrement orienté vers trois priorités techniques et industrielles : les technologies génériques, la santé et les sciences du vivant et la transition énergétique.
Le rapport contient également un chapitre sur l'Europe. Le principe a été accepté d'une sorte de conseil des ministres européens consacré à la politique industrielle, mais cela reste une mesure trop générale. Deux politiques européennes concourent à la compétitivité, celle du marché intérieur et celle de la recherche. En revanche, il n'y a pas de politique européenne pour l'énergie ou pour les matières premières, ce qui pose un véritable problème. Et trois politiques sont insuffisamment orientées vers la compétitivité industrielle : la politique de la concurrence, la politique commerciale extérieure et la politique monétaire extérieure.
Je terminerai par l'exigence d'un nouveau pacte social, un élément selon moi décisif. Notre société est en effet fondée sur le pacte de 1946, issu du Conseil national de la résistance. Or ce pacte est à bout de souffle : après avoir porté les Trente glorieuses, il ne produit plus ses effets. Mais nous avons une chance historique à saisir, puisque trois négociations majeures ont lieu en ce moment, sur le financement de la protection sociale, les institutions représentatives du personnel et la sécurisation de l'emploi. Nous avons donc l'opportunité de rebâtir un pacte social digne du XXIe siècle, qui permettrait à l'économie française de s'adapter tout en assurant aux salariés la sécurité qu'ils sont en droit d'attendre. C'est aussi l'occasion pour ces derniers de s'exprimer. L'intérêt de tout le monde est que le niveau d'intelligence collective s'élève, ce qui n'est possible que dans le dialogue social.
Ce pacte social est essentiel, car il est le socle du pacte de compétitivité que j'appelle de mes voeux.