Intervention de Annie Genevard

Réunion du 29 octobre 2014 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnie Genevard, rapporteure pour avis :

J'ai souhaité aborder un sujet très peu étudié, sur lequel on ne dispose, par conséquent, que de peu de renseignements : l'observation par le ministère de la culture des politiques culturelles dans les petites villes rurales ou périurbaines et la mesure de leurs effets sur les territoires.

Ce choix a été dicté par un triple constat.

L'accès de tous à la culture est une priorité politique, comme l'a rappelé le projet annuel de performances de la mission « Culture » pour 2015. En septembre 2012 déjà, la précédente ministre de la culture invitait les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) à définir une stratégie pour l'égalité des territoires.

Deuxièmement, il apparaît nécessaire de se doter d'outils de pilotage pour observer et analyser les pratiques. Or, les villes de moins de 10 000 habitants, qui représentent tout de même 97,5 % des communes de France et 50 % de la population nationale, demeurent dans l'angle mort des indicateurs du ministère.

Enfin, dernier constat, les petites communes ne ménagent pas leurs efforts en la matière. L'étude que nous avons menée dans trois communes du Doubs – deux en milieu rural, une en agglomération – a montré qu'elles jouaient un rôle essentiel dans le déploiement territorialisé d'une offre culturelle de qualité et de proximité, notamment grâce à la présence quasi systématique du triptyque d'équipements culturels que sont la médiathèque, la salle de cinéma et la salle de spectacle. Par ailleurs, il est apparu qu'elles consentaient un effort notable de professionnalisation de l'emploi culturel, phénomène relativement récent dans les petites villes.

Le sujet que j'ai retenu a déjà été partiellement évoqué en 2006 dans le rapport d'information sur l'action culturelle diffuse, instrument de développement des territoires, élaboré par Jean Launay et Henriette Martinez, au nom de la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire. Il pointait déjà le manque d'instruments de mesure de l'action culturelle.

J'ai souhaité pousser plus loin l'analyse et présenter des pistes dont l'exploration permettrait au ministère de la culture de disposer d'outils de pilotage d'une politique de démocratisation culturelle.

En 2012, un rapport de l'inspection générale des affaires culturelles (IGAC) a constaté l'existence de « failles » dans l'aménagement culturel du territoire. Le terme est intéressant car il évoque à la fois la défaillance des politiques publiques, dont la mission est pourtant d'assurer l'égalité de territoires, et la faille au sens géographique, c'est-à-dire la rupture territoriale et la segmentation de l'offre culturelle. Il a établi un classement des régions en trois catégories qui montre que certaines d'entre elles cumulent plusieurs carences en matière d'aménagement du territoire, y compris dans le domaine de la culture.

Un autre facteur d'inégalités territoriales est peut-être à chercher du côté de l'orientation très forte des financements publics vers les grandes métropoles. L'IGAC a remis en juin 2014 à la ministre de la culture un rapport analysant les interventions financières et les politiques culturelles en région qui comporte une très intéressante étude de la répartition régionale des dépenses d'intervention du ministère – crédits centraux et déconcentrés. Elle montre qu'en 2013, avec 2,2 milliards d'euros sur 3,3 milliards d'euros, la région Île-de-France a concentré 66 % de la totalité des crédits du ministère destinés aux régions - 13 % des crédits déconcentrés et 77 % des crédits centraux. Une telle situation s'explique en grande partie par l'implantation majoritairement parisienne des établissements publics nationaux, qui a pour effet de surreprésenter dans cette région les dépenses culturelles du ministère alors même que celles-ci « ont vocation à couvrir l'intégralité du territoire national ou toucher un public non francilien », selon les auteurs du rapport. Encore faudrait-il disposer des éléments d'analyse de la fréquentation de ces équipements par des non-franciliens pour se persuader de la pertinence de ce déséquilibre des financements.

La lutte contre ces inégalités de traitement renvoie à des enjeux multiples.

Un enjeu de cohésion sociale, tout d'abord : la lutte contre les failles culturelles qui touchent une partie de notre territoire est avant tout une question d'équité entre nos concitoyens pour l'accès à la culture. C'est un problème politique et une exigence morale. Dans ses travaux récents, le géographe et chercheur Christophe Guilluy a souligné la persistance dans notre pays de fractures territoriales et fait le constat d'un phénomène de relégation d'une France périphérique des petites villes et des territoires éloignés des métropoles qui, elles, bénéficient de très nombreux équipements notamment culturels.

Un enjeu économique, ensuite : l'impact économique des implantations culturelles dans les petits bassins de vie a été souligné dans un rapport élaboré conjointement par l'inspection générale des finances et l'IGAC. Il établit une corrélation positive entre les initiatives culturelles et le développement local mais déplore le caractère disparate et non méthodique des études réalisées sur le sujet. Il met en évidence – un fait extrêmement important à mes yeux – la présence d'une implantation culturelle significative est d'autant plus importante que le bassin de vie est modeste en nombre d'habitants.

C'est dans cette perspective qu'il est nécessaire de disposer d'outils d'observation pour amplifier les effets de ce facteur de richesse.

Les auditions ont démontré que le ministère ne dispose que de très peu de connaissances sur la cible que nous avons retenue, à savoir les communes de moins de 10 000 habitants. Les analyses quantitatives restent concentrées sur les grands pôles urbains et les villes moyennes. En mars 2014, une grande étude portant sur les dépenses culturelles des collectivités territoriales en 2010 a montré que celles-ci s'élevaient à un total de 7,6 milliards d'euros et que la part de budget qui y était consacrée était de 2,7 % pour les régions, 2,1 % pour les départements et de 8 % pour les communes de plus de 10 000 habitants et leurs groupements. Que dépensent les 97,5 % communes restantes et pour quelles actions ? Nous ne le savons pas. Des études thématiques portant sur les pratiques culturelles des Français existent – surtout pour la lecture publique et le cinéma, les données faisant particulièrement défaut pour ce qui est du spectacle vivant –, toutefois, les enquêtes menées ne prennent que partiellement en compte les problématiques territoriales. Il ressort néanmoins que, même si la fréquentation en zone rurale progresse – et on le doit sans doute à l'effort de structuration culturelle consenti par les communes –, les taux de fréquentation restent bien moins élevés et moins réguliers que dans les zones urbaines. La politique culturelle est d'abord une politique de l'offre. Si celle-ci est abondante, la demande, c'est-à-dire la fréquentation, est là.

La question est de savoir quelle méthodologie d'observation mettre en place pour promouvoir la culture sur les territoires.

L'approche territorialisée développée par L'INSEE, service de la statistique publique, pourrait être transposée aux études du ministère de la culture.

Le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) mène des études sur l'accessibilité des services au public au travers de cinq dimensions, point qui nous a particulièrement intéressés lors des auditions : le temps et la facilité d'accès, la disponibilité du service, son coût, son niveau, le choix et l'information sur le service. Ainsi, une cartographie nationale de l'accès aux salles de cinéma en fonction des chronodistances a pu être établie par le CGET et l'Institut national de recherches agronomiques (INRA). Elle a permis d'identifier des territoires insuffisamment équipés et le Centre national du cinéma (CNC) a mis en place une commission d'aide sélective qui donne la priorité aux projets dans ces zones moins dotées. Cette démarche pourrait aisément être appliquée à d'autres services culturels, comme la lecture publique ou le spectacle vivant, grâce à une coopération, au niveau régional, des DRAC et de l'INSEE, en lien avec le CGET.

Remettre le territoire au centre de l'action publique en matière culturelle a du sens. C'est une logique plus transversale et susceptible de répondre aux enjeux de la démocratisation culturelle. Mais pour cela, il est crucial de mettre en place des outils de diagnostic territorial dans chaque région, par exemple, en établissant une cartographie des équipements culturels et de leur accessibilité selon la méthode utilisée par le CGET, ou en uniformisant la nomenclature d'observation des activités culturelles et de leur financement.

Lors des auditions, j'ai été particulièrement impressionnée par la méthode mise en place par la DRAC Rhône-Alpes qui a dressé un état des lieux des pratiques culturelles des villes les moins peuplées de la région, grâce aux données statistiques et cartographiques. C'est ainsi que quarante-neuf EPCI ont été identifiés comme territoires prioritaires auxquels la DRAC a proposé une convention de développement culturel ayant pour but de promouvoir la découverte et l'éducation à l'art et à la culture tout au long de la vie.

L'observation fine peut aider à ajuster les politiques culturelles aux territoires. Les auditions ont permis de dégager quelques lignes de force pour combler les failles culturelles dont souffre notre pays. J'en dénombrerai trois : encourager et soutenir la fonction d'appui des petits bourgs centres qui disposent d'équipements culturels ; concentrer les nouveaux équipements et les actions de médiation culturelle sur les zones blanches ; encourager l'itinérance artistique et la diffusion hors les murs.

Rompre avec une approche exclusivement centrée sur les différentes disciplines de la création pour adopter le territoire comme clé d'entrée des politiques culturelles est devenu un enjeu majeur de la démocratisation culturelle dans notre pays.

C'est grâce à la connaissance fine des territoires, à leur cartographie, à l'identification des zones les moins dotées, des zones blanches, des zones de relégation culturelle parfois, comme des zones d'appui culturel, que pourra plus efficacement être pilotée une politique culturelle appropriée.

Je vous remercie pour votre attention et surtout pour l'appui qui pourra être donné à la suite de ces travaux.

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