Intervention de Louis Schweitzer

Réunion du 29 octobre 2014 à 9h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Louis Schweitzer, commissaire général à l'investissement :

Troisième commissaire général du programme d'investissements d'avenir (PIA) créé il y a quatre ans, je m'inscris résolument dans la continuité de mes deux prédécesseurs, René Ricol et Louis Gallois – qui vous a présenté les grandes lignes de ce programme il y a un an. Les fondateurs du PIA, Alain Juppé et Michel Rocard, coprésident toujours notre comité de surveillance, contribuant également à la cohérence de notre action.

Le PIA est avant tout fondé sur une exigence d'excellence. Depuis le rapport Juppé-Rocard, le Commissariat général à l'investissement (CGI) ne finance pas les investissements tout-venant, mais uniquement des projets innovants qui construisent notre avenir en permettant d'exploiter notre potentiel de croissance durable. Cette exigence se traduit par des procédures particulières de sélection – appels d'offres, appels à manifestation d'intérêt, recours à des experts reconnus et parfois à des jurys – qui apparaissent pourtant trop lentes et parfois trop compliquées. À la suite de Louis Gallois, je souhaite donc promouvoir la vitesse, mais également – afin de ne pas perdre en qualité – la simplicité. Les progrès sont particulièrement nécessaires dans le domaine de l'énergie et de l'économie circulaire où la lenteur des procédures décourageait certains candidats à l'investissement. En effet, le délai entre le dépôt d'un projet par un investisseur et la décision d'attribution d'un financement par le CGI dépassait souvent douze à quinze mois. Pour les entreprises – souvent jeunes et faisant face à des problèmes de trésorerie –, de tels délais sont insupportables, surtout en matière d'innovation où tout retard peut permettre aux concurrents de prendre de l'avance.

Le CGI est une petite structure d'une trentaine de collaborateurs – dont Thierry Francq, commissaire général adjoint, Jean-Yves Larraufie, conseiller « Filières industrielles et transports », et Fabrice Hermel, chef de cabinet et responsable de la communication, ici présents. Notre équipe s'appuie sur des opérateurs dont la mission est d'instruire les projets en amont de la décision d'attribution d'une aide – prise par le Premier ministre ou, par délégation, par le commissaire général –, puis de contractualiser et de suivre les projets en aval. Avec l'un d'entre eux, la Banque publique d'investissement (BPI), nous avons convenu de réduire la plupart des délais entre le dépôt du projet et la décision de principe à trois mois. Avec un autre – l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) –, nous avons décidé de réformer les procédures pour parvenir à un délai de quatre à six mois. Pour les dossiers moins importants, que je peux signer par délégation, je souhaite aller plus loin encore pour arriver à un délai de trois mois entre le dépôt du projet et la contractualisation – moment où le bénéficiaire signe un contrat avec l'opérateur et reçoit le premier versement de l'aide. En effet, pour certains projets très compliqués et très chers, comme celui des hydroliennes – fermes pilotes transformant l'énergie des courants marins liés à la marée en énergie utilisable –, le délai de traitement du dossier est nécessairement important car on a affaire à plusieurs entreprises de métiers différents et à des risques techniques et économiques élevés. Mais dans beaucoup d'autres domaines, rien ne justifie la lenteur, et il faut simplifier et accélérer notre action.

Au PIA 1 de 35 milliards d'euros s'ajoute un PIA 2 de 12 milliards, portant le total à 47 milliards. Ces sommes ne sont pas toutes de la même nature. Dans le cadre des dotations non consommables destinées aux universités et aux laboratoires d'excellence, le bénéficiaire ne touche pas la somme – déposée au Trésor –, mais seulement ses intérêts. Ceux-ci représentent 3,5 % par an pour le PIA 1 et 2,5 % pour le PIA 2 ; un engagement de 1 milliard d'euros génère ainsi, pour le PIA 1, 35 millions et pour le PIA 2, 25 millions d'euros effectivement versés par an. Nous faisons également des subventions et des avances remboursables – prêts à très hauts risques qui ne sont remboursés que si certaines conditions sont remplies. Ces deux dernières catégories entrent dans le déficit budgétaire au sens de Maastricht ; d'autres mécanismes d'intervention – dotations en capital ou prêts – n'y entrent pas dès lors que nous agissons en investisseur avisé, avec un souci de rentabilité similaire à celui qu'aurait un acteur privé. Prépondérante dans le PIA 1, la part des financements qui affectent le budget de l'État est beaucoup plus faible dans le PIA 2.

Sur les 47 milliards d'euros du PIA, nous avons engagé un peu plus de 32 milliards. Il y a un an, Louis Gallois en était à un peu moins de 30 milliards ; le rythme d'engagement est donc à mes yeux trop faible. Quant aux décaissements, ils ne représentent qu'un peu moins de 9 milliards d'euros. En effet, pour les dotations non consommables, les décaissements sont faibles par construction ; quant aux autres projets – subventions ou avances remboursables –, les sommes sont versées à l'avancement. Un premier montant est décaissé au moment de la contractualisation, le reste ne suivant qu'au fur et à mesure que le partenaire exécute les dépenses. Il est donc naturel que les décaissements effectifs qui pèsent sur le déficit d'exécution du budget de l'État soient beaucoup plus faibles que les engagements. Pour les années à venir, nous imaginons des décaissements de l'ordre de 4 à 5 milliards d'euros par an. Mon objectif, d'ici à fin 2017, est d'engager la totalité des crédits des PIA 1 et 2.

Les projets relatifs à l'environnement et au développement durable bénéficient d'enveloppes dédiées au sein des PIA 1 et 2, d'un montant de 4,3 et d'environ 2,2 milliards d'euros respectivement. En même temps, au moins 50 % des investissements industriels du PIA 2 doivent comporter une dimension « développement durable » explicite et mesurable. Les appels à projets dans ce domaine attirent pourtant moins de candidats qu'ailleurs. Si l'on peut partiellement l'expliquer par la lourdeur de nos procédures – il peut être décourageant, pour une entreprise, d'engager un processus dont elle ne verra le résultat que dans dix-huit mois –, les projets pertinents en matière de développement durable sont peut-être moins nombreux que nous ne le voudrions. J'étudie cette question avec M. Bruno Léchevin, président de l'ADEME, qui suit particulièrement ces sujets.

En sens inverse, votre Commission souhaite savoir si nous savons interrompre des actions qui ne répondent pas aux attentes. En effet, sur une soixantaine de projets, une dizaine ont été arrêtés. C'est ce qui arrive notamment aux structures qui ne décollent pas ; ainsi, alors que certains instituts de transition énergétique (ITE), dont Louis Gallois a dû vous relater le lancement, fonctionnent très bien, deux – Geodenergies et Green Stars – n'ont pas réussi. Un projet peut également être arrêté à la suite d'un effondrement du marché. Ainsi toutes les espérances liées aux énergies renouvelables n'ont-elles pas été confirmées : en matière de solaire à concentration, les perspectives de marché ont été divisées par quatre en raison de l'évolution du prix de l'énergie et des coûts technologiques ; aucun modèle ne permettant de réussir dans ces conditions, nos partenaires ont dû abandonner le projet. Dans ce type de cas, nous arrêtons le programme, et s'il s'agit objectivement d'une évolution imprévisible et de grande ampleur du marché, nous ne demandons pas le remboursement des avances déjà versées. Au contraire, lorsqu'une entreprise change d'avis et décide d'elle-même de renoncer au projet, elle doit nous rembourser les avances. Enfin, on interrompt également certains projets où la technologie ne remplit pas ses promesses et où les coûts de développement paraissent beaucoup plus élevés que prévu. La proportion de ces abandons reste limitée. Ayant affaire, dans le cadre du PIA, à des projets qui portent sur le long terme, il faut accepter un certain taux d'échec ; si nous n'en avions jamais, cela voudrait dire que nous ne prenons pas assez de risques, que nous vivons dans le présent et non dans l'avenir. Mais par nos procédures – appel à des experts, recours à des jurys, discussion approfondie avec les porteurs de projets –, nous essayons de rendre le risque raisonnable.

Parce qu'il s'agit de projets de long terme, il est encore trop tôt pour mesurer l'impact économique réel de notre action. Le groupe de travail que nous avions mis en place dès la création du PIA avait souligné que l'efficacité du programme devait être évaluée à plusieurs niveaux : la qualité des contrats, le succès des projets, et enfin l'impact de ces derniers sur une évolution plus générale. Ainsi dans l'exemple des fermes hydroliennes, la réussite du projet se mesure-t-elle d'abord à la signature du contrat ; ensuite, au fait que les fermes soutenues fonctionnent, produisant de l'électricité à un coût acceptable ; au-delà, le succès de ces installations peut avoir un effet d'entraînement sur le développement d'hydroliennes en régime économique normal ; enfin – quatrième niveau d'évaluation –, elles peuvent contribuer à atteindre l'objectif européen en matière de production d'électricité à partir d'énergies renouvelables : 27 % à l'horizon 2020 pour la France.

Dans d'autres domaines, les objectifs peuvent être d'une autre nature. Ainsi, s'agissant des universités, notre action vise non seulement à soutenir la recherche, mais aussi à inciter les organisations universitaires à se rapprocher entre elles et à développer la coopération avec les entreprises de façon à faire progresser notre appareil de recherche publique. Pour certains de ces objectifs, l'efficacité de notre action peut être mesurée très vite ; pour d'autres, elle n'apparaîtra qu'à l'horizon de cinq, dix, voire quinze ans.

Je voudrais enfin évoquer les trente-quatre plans industriels – initiative d'Arnaud Montebourg – qui vous ont été présentés par Louis Gallois et dont le lancement a été entériné par le dernier comité ministériel de pilotage, qui s'est tenu le 9 juillet. Le CGI a été associé à l'instruction de ces plans, sans que ceux-ci n'ouvrent systématiquement un droit à financement au titre du PIA. En tout état de cause, leur approbation ne se substitue pas au processus de décision propre à notre programme. Certains de ces trente-quatre plans démarrent bien ; d'autres semblent moins cohérents. M. Emmanuel Macron en a annoncé le réexamen, sachant que la possibilité de les reconfigurer avait été annoncée dès l'origine, le défaut de coopération des industriels pouvant conduire à des regroupements ou à l'abandon de certains d'entre eux. La dynamique de ces trente-quatre plans me paraît bonne. Au-delà du fond, ils ont permis d'instaurer un dialogue efficace entre différents partenaires – petites et grandes entreprises, organismes de recherche, pouvoirs publics et administration – qui ont pour mission d'assurer la croissance durable. Il s'agit d'une réussite en soi, tant l'insuffisance de ce dialogue a pu handicaper la France dans la compétition internationale. En outre, ces plans ont fait apparaître des pistes nouvelles, suscitant l'intérêt des entreprises qu'ils orientent vers l'avenir.

Parmi les plans qui touchent au domaine du développement durable, le stockage de l'énergie bénéficie d'une bonne dynamique. Les deux solutions concurrentes qu'on y voit s'affronter – hydrogène ou batteries – méritent d'être explorées, tout choix apparaissant aujourd'hui prématuré. En matière de chimie verte, les progrès s'accompagnent d'une difficulté : certains de nos partenaires espéraient que ce plan permettrait de financer des activités proches de la production par des mécanismes subventionnels – procédé interdit par les règles européennes. Onze projets ont été identifiés au sein du plan « Recyclage et matériaux verts », dont l'instruction se poursuit. Pour le plan « Qualité de l'eau et gestion de la rareté », la situation est plus complexe, les règles françaises des marchés créant dans ce domaine des contraintes particulières. En matière de réseaux électriques intelligents, tout se passe bien. Le plan « Rénovation thermique des bâtiments » renvoie, en plus de l'effort de recherche, à une importante dimension réglementaire. Séduisant, le plan « Industries du bois » vise à construire des immeubles de six ou sept étages à partir de ce matériau ; alors que des maisons à énergie zéro sont déjà construites dans un département, il s'agit d'une voie prometteuse que notre pays devrait développer. Enfin, je m'intéresse particulièrement au plan relatif au véhicule consommant moins de deux litres aux cent kilomètres, qui fait l'objet de débats techniques et dont l'exécution est mise en difficulté parce qu'un des grands groupes automobiles français, qui a récemment bénéficié d'aides publiques, n'a plus le droit d'en recevoir.

Le CGI intervient également en matière de formation, finançant notamment des places d'apprentis dont 40 % sont liées à la transition écologique et énergétique. Notre action dans ce domaine rejoint ainsi l'enjeu du développement durable.

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