ERDF est une entreprise de service public issue, en 2008, d'un groupe intégré. En charge de la distribution publique d'électricité sur 95 % du territoire métropolitain, elle gère, avec 1,3 million de kilomètres de lignes en basse et moyenne tension (HTA), le premier réseau d'Europe par sa taille, pour 35 millions de clients desservis. Chaque année, 11 millions d'interventions sont réalisées sur ce réseau. ERDF compte enfin plus de 1 000 implantations sur l'ensemble du territoire, et emploie 37 000 salariés.
Le réseau de distribution évolue ; il accueille chaque année de nouveaux consommateurs – entre 350 000 et 450 000, et il ne vous aura pas échappé que nous sommes actuellement dans le bas de la fourchette –, mais surtout, fait plus récent, 30 000 nouveaux producteurs, soit, avec une puissance d'environ 1 gigawatt, l'équivalent d'une tranche nucléaire : le projet de loi relatif à la transition énergétique confortera bien entendu cette tendance. Ce sont aujourd'hui 95 % des producteurs qui sont raccordés sur le réseau de distribution d'ERDF, pour une puissance d'environ 13 gigawatts. Des apports aussi massifs d'énergie intermittente appellent une évolution des modes opératoires, d'où la nécessité d'investir dans les smart grids et la numérisation des données : c'est là l'une des conditions de l'adaptation des réseaux et même, j'ose le dire, du succès de la transition énergétique.
La distribution d'électricité en France est caractérisée par sa dimension concessionnaire, avec deux niveaux de régulation : un niveau national pour la fixation des tarifs et des critères de qualité ; un niveau local, avec les 623 contrats de concession qui lient ERDF aux autorités concédantes, et aux termes desquels s'exercent des prérogatives en termes de contrôle, de suivi et d'exigence patrimoniale. Tout cela est le fruit d'une longue histoire, que certains d'entre vous connaissent bien, et qui, comme je le suggérais, n'est pas terminée car les collectivités ont, en matière énergétique, des attentes auxquelles il faudra répondre.
Ces mêmes collectivités, donc, délèguent le plus souvent à l'opérateur national la gestion de leur réseau mais, à la différence d'une concession classique, ni le tarif, ni les niveaux de qualité ne sont fixés au niveau local.
Le TURPE, vous l'avez rappelé, constitue l'essentiel de nos recettes – environ 90 % – et de celles du transporteur. Fixé par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), il repose sur le principe de la péréquation tarifaire, lequel garantit à tous les utilisateurs, où qu'ils se trouvent, un prix d'acheminement identique. Le TURPE 4 a été fixé pour une période de quatre ans. Il couvre d'abord, Dominique Maillard a dû vous le rappeler, le tarif de transport, pour 2 200 postes sources, qui assurent l'interface entre le réseau à très haute tension (THT) et le réseau HTA. En 2013, ce « TURPE transport » a représenté 3,4 milliards d'euros ; il couvre également les achats de pertes sur les réseaux – pour 1,4 milliard –, qu'elles soient techniques ou non techniques – fraudes, adaptations tarifaires, résiliations hors du cadre normatif ou locaux vacants –, et, pour 4,7 milliards, les charges opérationnelles : exploitation, maintenance et entretien des réseaux, conduite, relations avec les fournisseurs et les clients.
Le TURPE couvre également les redevances versées aux autorités concédantes et les contributions au fonds d'amortissement des charges d'électrification (FACÉ), pour 700 millions d'euros, ainsi que les charges liées aux investissements – rémunération du capital et amortissements –, pour 3,2 milliards – et même un peu plus en 2014. Au total, ce sont donc 8,6 milliards d'euros qui sont investis dans l'économie locale, conformément à la vocation même d'ERDF quant au maillage territorial, à travers le déploiement d'un réseau que Dominique Maillard qualifie de « chevelu ».
La facture, pour un consommateur résidentiel, se décompose de la manière suivante : 30 % pour l'acheminement de l'énergie – soit environ 49 euros par mégawattheure –, 36 % pour la fourniture et 34 % pour la contribution au service public de l'électricité (CSPE) et les taxes.
Même si une partie d'entre elles sont restées stables, les charges couvertes par le TURPE sont en forte croissance depuis 2008. Les investissements ont pour ainsi dire doublé depuis 2007, après avoir connu des niveaux relativement faibles à la fin des années 1990 et au début des années 2000. La maintenance préventive, qui contribue bien entendu à la qualité du réseau, a aussi été significativement revue à la hausse, ne serait-ce qu'à travers les interventions d'urgence liées aux intempéries, dont les médias se sont fait l'écho.
Les 700 millions d'euros versés aux autorités concédantes au titre des redevances étant presque intégralement réinvestis dans les réseaux, ce sont en réalité 4 milliards au total qui sont investis tous les ans. La commission spéciale saisie du projet de loi pour la transition énergétique s'est d'ailleurs penchée sur ces investissements et la manière de les coordonner au mieux.
Le principe du TURPE, tarif national péréqué fixé par la CRE, est celui d'un « cost plus » : le revenu d'ERDF, perçu à travers des recettes tarifaires, doit couvrir ses coûts et lui permettre d'investir ; mais ce tarif recouvre aussi des exigences de productivité et des incitations à fournir le meilleur service aux utilisateurs du réseau : vous avez mentionné les fournisseurs alternatifs, mais d'autres acteurs apparaissent sur le marché, liés par exemple à la flexibilité ou à l'effacement.
Les investissements ont d'abord pour objet de traiter les demandes de développement du réseau : le niveau des raccordements est globalement soutenu, même si l'on peut déplorer un infléchissement vers le bas lié à la conjoncture économique, et les grands programmes de restructuration urbaine posent des enjeux de sécurité et de maîtrise, en termes de transition énergétique comme de développement économique.
Depuis deux ans, la puissance raccordée de l'éolien et du photovoltaïque sur les réseaux ne cesse de croître, et l'on peut penser que la future loi amplifiera encore cette tendance – je reviendrai sur le développement des véhicules électriques. Le raccordement des énergies intermittentes sur des mailles à géométrie variable génère, au niveau local, des pointes toujours plus nombreuses.
Deuxième grand domaine d'investissements : la gestion des obligations réglementaires, sécuritaires et de voirie. Les élus de terrain que vous êtes connaissent les implications des modifications d'ouvrage, eu égard aux restructurations urbaines, en termes de contraintes et de délais. Ces dépenses, couvertes à 50 % par les recettes, représentent environ 200 millions d'euros par an. L'isolation des transformateurs avec du PolyChloroBiphényle, dit « PCB », a fait l'objet d'une nouvelle réglementation, plus exigeante, qui a nécessité une dépense de 400 millions d'euros, dont 300 millions d'investissements, sans parler de l'amiante, de la mise à la terre ou de la mise en conformité des réseaux.
La réglementation relative aux déclarations de travaux a aussi un impact en matière de cartographie. La numérisation est bien entendu un facteur de performance pour la mise à jour des données ; elle implique des investissements, par exemple pour les branchements, pour lesquels la loi de 2012 nous impose des normes réglementaires qui passent par la numérisation. Toute situation de non-conformité pouvant avoir un impact sur la sécurité des tiers, une nouvelle réglementation, dite de « contrôle technique des ouvrages », a vu le jour ; il ne s'agit pas de la discuter, bien entendu, mais elle est une source de dépenses supplémentaires, sans parler de la question des colonnes montantes : autant de charges qui nécessitent une gestion dans le temps compatible avec le niveau des investissements.
Le troisième grand segment d'investissements est la modernisation de l'outil de travail et des moyens d'exploitation, qu'il s'agisse des véhicules utilisés par les agents – pour la sécurité desquels un industriel de référence se doit naturellement d'avoir des exigences élevées –, mais aussi des systèmes d'information, liés à l'évolution des marchés – celui de l'effacement, par exemple – ou à la numérisation des données : à travers le projet Linky, ERDF deviendra un opérateur de « big data » ; c'est la condition même de la maîtrise des smart grids. La gestion de données de consommation nécessite au demeurant des investissements d'autant plus élevés qu'elle implique aussi des exigences de sécurité, de non-discrimination et de fiabilité, sans oublier les interfaces avec les parties prenantes, clients – domestiques ou industriels – et collectivités.
Nos investissements portent aussi, quatrièmement, sur la modernisation du patrimoine et l'amélioration des performances du réseau, dans des conditions de sécurité et de maîtrise auxquelles les parties prenantes sont évidemment très sensibles. Globalement, le niveau du réseau français est dans la moyenne européenne, nonobstant des écarts de qualité dans certaines zones rurales : c'est là une priorité de nos investissements, avec le souci de donner la meilleure visibilité aux parties prenantes.
La modernisation du patrimoine est au coeur des discussions sur les capacités d'investissement du distributeur. Le faible niveau des investissements, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, a été préjudiciable à la qualité moyenne et il explique la remontée des durées de coupure ; cela a conduit ERDF à reprendre une forte dynamique d'investissements, avec près de 3,5 milliards d'euros par an, soit environ 40 milliards pour l'ensemble de la décennie à venir. Au reste, le niveau moyen des coupures connaît déjà un infléchissement, en dépit d'une année 2013 assez agitée en raison des aléas climatiques. La Cour des comptes a d'ailleurs salué, dans son rapport de 2013, la nouvelle dynamique d'investissements de notre entreprise.
Au-delà de la modernisation du patrimoine, les investissements doivent financer la transition énergétique. L'intégration des énergies renouvelables implique, telle qu'elle est prévue, un investissement brut de près de 4 milliards d'euros à l'horizon 2020, dont 1,8 milliard pour l'éolien et 2,3 milliards pour le photovoltaïque. Quant aux 7 millions de bornes de recharge électrique, elles pourraient appeler, d'ici à 2030, un investissement de l'ordre de 5 milliards d'euros. Ce chiffre, purement évaluatif, dépend bien entendu de la nature des bornes, puisqu'une borne de recharge rapide exige une puissance trente fois supérieure, sinon plus, à celle d'une borne de recharge lente. Nous pourrons vous communiquer nos estimations établies en fonction des différentes hypothèses.
Le déploiement des compteurs Linky a été décidé cet été ; nous avons d'ores et déjà ouvert des appels d'offre pour la première tranche de 3 millions, qui seront installés d'ici à la fin de 2015 ; les 32 autres millions autres le seront à partir de 2017. Aux termes du plan d'affaires élaboré avec la CRE, ce déploiement implique un investissement de 5 milliards d'euros, qui restera cependant neutre pour le consommateur, qu'il s'agisse de l'installation même des compteurs ou du TURPE. Cette neutralité est assurée par un mécanisme de différé tarifaire, les charges d'investissement, qui courront jusqu'à l'échéance de 2021, étant amenées à générer des gains une fois engagé le déploiement massif. Le mécanisme a bien entendu un coût, puisque de tels gains sont susceptibles d'entrer dans le périmètre du TURPE ; ce coût d'immobilisation a été négocié avec la CRE, avec l'application d'un taux bien entendu différent de celui de la rémunération des capitaux.
Le tarif doit garantir un revenu suffisant pour permettre des investissements, tout en assurant une juste répartition, entre les clients, des charges liées aux impératifs de péréquation. Depuis le 1er novembre 2002, plusieurs TURPE, aux caractéristiques très différentes, se sont succédé. Le TURPE 1 obéissait à une approche comptable, les TURPE 2 et 3 à une approche économique ; la transition entre les TURPE 3 et 4 a vu de nouveau prévaloir l'approche économique, et le TURPE 4 est une sorte d'hybride. Or, au vu des niveaux d'investissements que j'évoquais, la stabilité tarifaire et la visibilité sont indispensables. Le tarif doit faire sens économiquement tout en gardant une robustesse juridique. À cette fin, l'article 42 du projet de loi relatif à la transition énergétique apporte une sécurité juridique au régulateur, s'agissant de la constitution du prochain tarif ; il me semble indispensable d'aller au bout de cette logique, qui est de nature à garantir la stabilité et la lisibilité tarifaires. Le même article lève en particulier une ambiguïté qui incitait le régulateur à la logique comptable, alors que, pour les entités régulées – et pas seulement dans le secteur de l'énergie –, c'est l'approche économique qui prévaut désormais.
Un dernier mot sur l'évolution du TURPE, cette fois quant à sa structure. Le raccordement des bornes électriques et des énergies intermittentes, ainsi que le développement de l'autoconsommation impliquent que, désormais, le critère de la puissance s'imposera sur celui de la consommation, que reflète encore majoritairement le TURPE. Tel qu'il est aujourd'hui construit, celui-ci pourrait en effet envoyer des signaux tarifaires contraires à l'optimisation des investissements. Il faudra donc, de mon point de vue, repenser la pondération entre la part fixe et la consommation dans l'architecture du TURPE.
D'une manière plus générale, il s'agit d'inciter à une juste localisation des charges – certains d'entre vous ont à gérer ce problème à travers les schémas directeurs – et d'adapter les signaux tarifaires ou économiques au développement, par exemple, de l'autoconsommation. La tarification doit aussi être associée à l'accès aux données, élément essentiel de la transition énergétique. Sur l'ensemble de ces sujets, nous espérons que le TURPE 5 apportera des réponses.