Intervention de Hugues Cazenave

Réunion du 15 octobre 2014 à 10h30
Délégation aux outre-mer

Hugues Cazenave, président fondateur de la société Opinion Way :

Il me revient de vous présenter les principaux enseignements de la deuxième édition de ce baromètre, dont l'objectif est d'analyser les représentations aussi bien des ultramarins vivant dans l'hexagone que de l'ensemble des hexagonaux. Cet outil permet en effet de mesurer et de comparer les deux populations sur des indicateurs identiques et sur des sujets comparables.

Nous avons interrogé deux échantillons : un échantillon représentatif de l'ensemble de la population hexagonale, et un échantillon de personnes originaires d'outre-mer vivant dans l'hexagone – dont certains avaient des parents, voire des grands-parents vivant également dans l'hexagone. Le terrain d'enquête – c'est-à-dire les dates entre lesquelles les deux échantillons ont été interrogés – est relativement récent, puisqu'il va du 11 au 25 juin 2014.

Nous avons cherché à caractériser les profils des originaires d'outre-mer vivant dans l'hexagone. Je ne détaillerai pas les chiffres, mais je vais essayer de vous donner le sens de ces résultats.

Nous avons à faire à une population un peu plus masculine (54%) que l'ensemble des hexagonaux (48%), plus jeune aussi puisque les 18-24 ans et les 25-34 ans représentent un peu plus de la moitié de cette population, et un peu plus francilienne. On l'a dit, la plus grande partie des personnes originaires d'outre-mer vit dans la région Île-de-France. Enfin, en matière de CSP (catégories socioprofessionnelles) il n'y a pas de différences significatives, si ce n'est qu'il y a beaucoup moins de retraités dans la population d'origine ultramarine que dans l'ensemble de la population hexagonale.

Nous nous sommes ensuite intéressés à différents sujets : l'état d'esprit des originaires d'outre-mer, leurs représentations, les discriminations et la représentation de l'outre-mer et des outre-mer dans les médias – déjà abordée en première partie.

Pour caractériser l'état d'esprit des originaires d'outre-mer, nous avons utilisé un outil qu'Opinion Way avait mis en place pour le CEVIPOF (Centre d'études de la vie politique française).

Dans l'ensemble, une majorité absolue d'ultramarins exprime un état d'esprit plutôt négatif : méfiance, lassitude, morosité, peur – qualificatifs cités par une proportion non négligeable d'ultramarins. Il convient cependant de signaler que cet état d'esprit négatif est moins souvent présent que dans l'ensemble de la population hexagonale. Je prendrais l'exemple de la morosité : 20% des originaires d'outre-mer citent ce qualificatif, contre 34 % pour l'ensemble de la population hexagonale. Nous avons là un premier élément de caractérisation de l'état d'esprit des ultramarins vivant dans l'hexagone : celui-ci est moins souvent négatif que celui de l'ensemble de la population hexagonale.

On remarque par ailleurs que la méfiance est citée par presque un tiers de la population des originaires d'outre-mer et que cette méfiance a progressé de 6 points par rapport à l'an dernier. Je crois qu'il faut y voir là une corrélation avec ce que l'on a dit – et que l'on va dire – sur les discriminations.

On peut également se réjouir que l'état d'esprit négatif des originaires d'outre-mer, bien qu'important, ait régressé de 9 points par rapport à l'an dernier. Comme vous pouvez le constater, nous avons un une double clé de lecture : diachronique, dans le temps, qui nous permet de comparer 2013 et 2014, et synchronique, qui nous permet de faire des comparaisons avec l'ensemble de la population hexagonale.

Maintenant, si l'on s'intéresse aux qualificatifs positifs, on a un double motif de satisfaction. Le bon état d'esprit concerne 58 % des originaires d'outre-mer et surtout, il est en progression de 11 points par rapport à l'an dernier : c'est le bien-être qui l'emporte (30%, soit une progression de 8 points) ; l'enthousiasme progresse de 7 points et la sérénité de 10.

Au final, l'état d'esprit des ultramarins est meilleur que dans l'ensemble de la population hexagonale, et il progresse également – même si la méfiance progresse elle aussi.

Après l'état d'esprit, j'en viens à l'image des ultramarins, sujet déjà abordé en introduction. Quelques résultats permettent de mieux appréhender les représentations associées aux territoires d'outre-mer.

Bien sûr, dans ces représentations, il y a des stéréotypes, des caractéristiques qui sont associées à l'outre-mer et qui sont partagées de façon largement consensuelle, aussi bien par les ultramarins vivants dans l'hexagone que par l'ensemble de la population hexagonale. Ce sont : les paysages uniques et attirants, cités par la quasi-totalité de nos deux échantillons ; le potentiel touristique, qui vient en corollaire ; l'importance de la biodiversité naturelle et des populations enrichissantes par leur diversité, deux éléments largement cités par les uns et par les autres.

D'autres dimensions sont un peu moins partagées et parfois un peu plus clivées : la capacité à ouvrir la France sur le monde est citée par 90 % des originaires d'outre-mer, contre 69 % par la population hexagonale. S'il y a une certaine convergence s'agissant de l'importance des ressources naturelles, des différences apparaissent dès lors que l'on cite les atouts de l'outre-mer dans le cadre de la mondialisation et le goût de l'innovation des populations ultramarines. Sur ce dernier point, il y a un vrai fossé entre les deux populations : 58 % des originaires de l'outre-mer, contre 38 % seulement pour la population hexagonale.

Le résultat peut-être le plus spectaculaire de ce baromètre concerne l'attirance ou la propension à l'entrepreneuriat.

La question est la suivante : « Vous, personnellement, seriez-vous tenté(e) ou avez-vous été tenté(e) de devenir un entrepreneur ? » Chez les hexagonaux, le oui est minoritaire, avec 36 % ; chez les originaires, il atteint 64 %, soit près des deux tiers.

Mais le fait que, dans l'hexagone, les personnes originaires de l'outre-mer sont plus souvent des entrepreneurs que le reste de la population – réalité mesurée par ailleurs – est une surprise aussi bien pour les hexagonaux (80%) que pour les originaires d'outre-mer (79%). Les uns et les autres, et plus particulièrement les originaires d'outre-mer, considèrent que c'est une bonne chose et qu'une telle information n'est pas suffisamment mise en valeur (76 % des hexagonaux et 87 % des originaires d'outre-mer). Sans doute, là encore, y a-t-il une responsabilité des médias. Une action en ce sens devrait être menée pour mieux diffuser cette information, très intéressante et très valorisante.

Nous avions déjà évoqué la question de la représentation, dans les médias, de la diversité des origines. Nous avons cherché ici à distinguer plusieurs sphères : la sphère médiatique, politique ou celle de la fonction publique.

À la question « Est-ce que la diversité des origines est bien ou mal représentée dans les médias ? », nos deux populations ont répondu à peu près de la même façon. Elles considèrent que cette diversité des origines est bien représentée : 63 % pour les hexagonaux, et 55% pour les originaires d'outre-mer. Cette petite différence est probablement due à un niveau d'exigence plus élevé – et bien légitime – de la part des originaires d'outre-mer.

S'agissant des autres sphères, les résultats sont beaucoup moins favorables. Dans la sphère politique, 44% des hexagonaux – donc moins d'un sur deux – considèrent que cette diversité est bien représentée, contre 34 % des originaires d'outre-mer. Dans la haute fonction publique, la proportion tombe à 40 % des hexagonaux et 30 % des originaires d'outre-mer. Dans les entreprises cotées et les grandes entreprises, elle n'est que de 37 % pour les hexagonaux et 42 % pour les originaires d'outre-mer. Il y a sans doute des efforts à faire pour améliorer la représentation des origines.

J'en viens à un sujet central, que nous avons également déjà eu l'occasion d'aborder, à savoir les discriminations et avec elles, la colonisation et l'esclavage. En parle-t on suffisamment en France ?

Une petite moitié des hexagonaux et une majorité absolue des originaires considèrent que l'on ne parle pas suffisamment des discriminations. Les résultats sont à peu près les mêmes pour ce qui concerne la colonisation et l'esclavage.

Nous avons posé la question suivante : « Diriez-vous qu'en ce moment les discriminations en France sont une chose très répandue, plutôt répondue, plutôt rare, très rare ? » Or, aussi bien pour les hexagonaux qu'a fortiori pour les originaires, ces discriminations sont considérées comme répandues : 74 % pour les premiers et 81 % pour les seconds. On est donc conscient, en France, du caractère fréquent de ces discriminations. J'observe que cette conscience varie selon l'ancienneté dans l'hexagone. Pour ceux dont les parents sont originaires d'outre-mer, ces discriminations sont encore plus fréquentes.

J'en viens à la question : « Avez-vous personnellement déjà été victime de discriminations ? » Un quart (25%) de l'échantillon hexagonal répond oui, contre 58 % de l'échantillon des personnes originaires de l'outre-mer – soit 33 points d'écart entre les deux.

Ces 58 % correspondent à un sous-total : oui, une fois (18%); oui, plusieurs fois (40%). Ce dernier pourcentage est spectaculaire, puisqu'il signifie que quatre personnes originaires de l'outre-mer sur dix ont subi à plusieurs reprises des discriminations.

Pour analyser plus finement ces discriminations et savoir sur quoi elles étaient fondées, nous avons interrogé les personnes qui nous avaient déclaré avoir été victimes de discriminations : les 25 % de la population hexagonale, et les 58 % de la population originaire d'outre-mer. Nous nous sommes alors aperçus que les discriminations fondées sur l'origine, sur l'appartenance ou non à une race, sur l'appartenance ou non à une ethnie, sont fréquentes dans les deux cas, mais évidemment malheureusement beaucoup plus fréquentes à l'encontre de la population originaire d'outre-mer – par exemple, 43 % ont été victimes de discriminations fondées sur l'origine.

Ensuite, nous avons essayé de savoir dans quels domaines et dans quelles circonstances s'étaient exercées ces discriminations. Elles s'exercent le plus fréquemment dans le domaine de l'emploi, et les différences de situation sont spectaculaires entre la population hexagonale et la population originaire d'outre-mer : ainsi, 44 % des originaires d'outre-mer, contre 17 % de la population hexagonale, nous ont déclaré avoir été victimes de discriminations à l'occasion d'une recherche d'emploi. Mais bien d'autres situations et circonstances – les relations avec l'administration, l'accès aux services bancaires, l'accès aux établissements d'enseignement en dehors de la scolarité obligatoire, et la recherche de logement – font apparaître un différentiel important entre l'ensemble de la population hexagonale et les originaires d'outre-mer.

Je terminerai sur cette question, qui a été posée aux originaires d'outre-mer : « Pensez-vous que les élus de l'hexagone (maires, députés, sénateurs) prennent suffisamment en compte les problématiques des originaires d'outre-mer ? » Les résultats se passent de commentaires : un tiers seulement des originaires d'outre-mer considèrent que leurs intérêts sont suffisamment pris en compte ; les deux tiers d'entre eux sont donc d'un avis inverse. On pourrait même insister sur ces 20 % qui considèrent que cette prise en compte n'est pas du tout effective. Je précise que lorsque l'on essaie d'analyser ces résultats par proximité partisane, on s'aperçoit qu'il n'y a aucune différence entre les sympathisants de gauche et les sympathisants de droite.

Ma conclusion portera sur trois points.

Premièrement, l'outre-mer et les ultramarins ont une image plutôt positive auprès des hexagonaux, fondée sur les territoires eux-mêmes et les atouts qu'ils représentent pour la France, et le fait que la population ultramarine est plus entreprenante que l'ensemble de la population de l'hexagone.

Deuxièmement, l'état d'esprit des ultramarins de l'hexagone est meilleur que celui des hexagonaux. Malgré tout, les ultramarins ont le sentiment d'être davantage discriminés en raison de l'origine, de l'appartenance à une race ou à une ethnie, et dans des circonstances qui sont graves, notamment parce qu'elles sont souvent liées à un sujet majeur qui est l'emploi.

Troisièmement, le sentiment que les problématiques et les intérêts des ultramarins sont encore insuffisamment pris en compte par les élus prévaut parmi les originaires de l'outre-mer.

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