Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 15 octobre 2014 à 10h30
Délégation aux outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVictorin Lurel :

Je suis agréablement surpris par la qualité de ces deux enquêtes et par leurs conclusions. Je félicite la Délégation d'avoir pris l'initiative de dire, d'une certaine manière, ce que nous sommes. J'avoue que les pourcentages sur l'optimisme, l'enthousiasme et la sérénité des ultramarins m'étonne et, en même temps, m'interpelle.

Sur les échantillons qui ont servi aux enquêtes, j'aimerais savoir comment vous avez procédé. Notre collègue Gosselin a évoqué les difficultés que nous rencontrons en matière de statistiques, et l'on peut s'interroger à propos de l'échantillon, sur sa fiabilité et sur les conclusions que l'on peut en tirer, d'autant plus que la culture française ne permet pas de statistiques ethniques. Cette question est d'ailleurs récurrente. Il y a quelques années déjà, au sein de mon propre parti, le débat avait été assez « animé ». Dernièrement, Esther Duflo, une économiste française qui s'est prononcée en faveur de telles statistiques, a été pratiquement « vilipendée » dans notre pays.

Il est exact que nous rencontrons de vrais problèmes de connaissances, et qu'il y a de vraies béances statistiques sur ce que nous appelons « notre communauté », que j'aurais plutôt tendance, pour ma part, à qualifier d' « agrégat statistique ». Je ne suis pas sûr en effet que la manière de voir les choses et d'envisager l'avenir soit la même pour nos compatriotes qui vivent dans le Sud, pour ceux qui vivent en Île-de-France ou ceux qui vivent dans les grandes métropoles. Il est d'ailleurs bien difficile de fédérer tout ce monde-là même si, depuis une vingtaine d'années, une sorte de convergence se crée, ce dont je suis très heureux. De plus en plus en effet, les Antillais et les Réunionnais se fréquentent davantage, se mobilisent ensemble, et trouvent des intérêts communs pour agir.

Il manque à mon sens à cette étude des éléments sur le statut matrimonial des ultramarins de l'hexagone. J'aimerais bien savoir comment nous vivons ici, d'autant plus qu'il subsiste en outre-mer des rémanences de la société coloniale et post-coloniale. Je veux parler de la « matri-focalité » ou, plutôt, d'une certaine prééminence des femmes au sein des familles. Je me demande si on la retrouve dans l'hexagone.

J'observe par ailleurs que le rôle des associations y est considérable. C'est peut-être une façon de mieux connaître le vécu de nos compatriotes.

S'agissant des discriminations, on parle de ce qui se passe dans l'hexagone. Mais il faut savoir que nos sociétés sont inégalitaires, qu'il y a des discriminations, qu'il peut-être lourd d'y vivre et d'y supporter le regard de l'autre. L'interconnaissance peut-être un enfer. Ce n'est pas que je condamne l'insularité, mais il y a sans doute encore un long cheminement à faire dans nos têtes en matière de tolérance. Il y a sans doute aussi à tenter de diagnostiquer ce que l'on appelle en créole « mès é labitid an nou » (« ce sont nos coutumes »). La régularité de cette étude devrait permettre d'avoir une vision diachronique de la question.

S'agissant de l'entrepreneuriat, je ne suis pas surpris. Ce n'est pas seulement une façon de se créer un travail. On ne le sait pas, mais la plupart des régions d'outre-mer sont parmi les plus créatives de France. À l'époque, la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion étaient en concurrence avec la Seine-saint-Denis ; je serais d'ailleurs curieux de connaître la composition sociodémographique de ces départements, et leur créativité en termes d'entrepreneuriat. En outre, c'est dans ces régions que les entreprises vivent le plus longtemps, et que le taux de succès après cinq ans est le plus élevé.

On a beau vouloir le dire, ce n'est pas suffisamment reçu : les stéréotypes que l'on a contre les ultramarins perdurent. On pense, par exemple, que sont des gens qui vocifèrent ou qui se complaisent dans l'assistanat. Mais ce n'est pas le cas. Bien sûr, chez nous, il y a du chômage, mais on y crée beaucoup d'entreprises qui vivent plus longtemps que la moyenne de celles qui sont créées dans l'hexagone. D'ailleurs, dans nos communautés, il y a moins d'inactifs, et les gens sont parfois plus diplômés que la moyenne. Il y a des cadres, ce que l'on ne sait pas. Cette réalité mériterait d'être mieux explorée, mieux exploitée et mieux connue. Les élus devraient s'en emparer pour la faire connaître et mieux la diffuser.

Sur la connaissance de la première, de la deuxième, de la troisième génération, il y a manifestement un problème. Où en est le rapport avec les cultures ultramarines ? Est-ce qu'un jeune réunionnais, guadeloupéen, martiniquais de la troisième génération parle encore le créole ? Quels sont les rapports avec les religions ? Chez nous, quoi qu'on en dise, les gens fréquentent encore les églises. Cela peut étonner dans l'hexagone, dans une république laïque. Ce qui constitue un contrôle social continue à s'exercer là-bas, alors qu'il est de plus en plus lâche ici.

Reste un sujet un peu délicat à évoquer : la conversion dans les grandes religions du Livre et parfois, pour certains, la radicalisation. Je ne prétends pas ici qu'il y aurait une propension des ultramarins à épouser d'autres confessions. Dans les statistiques un peu confidentielles que le ministère de l'Intérieur nous transmet, apparaît cette fragilité que certains ont pu qualifier d'anthropologique. On le vit ici : à la troisième génération, une rupture se créée : les jeunes ne connaissent plus les territoires, ne parlent plus la langue, ne vont plus à l'église. Face aux grandes religions, on sent parfois un manque d'adossement. Il nous faut peut-être exercer une meilleure vigilance, sans pour autant exercer un contrôle social.

Je tiens maintenant à revenir sur le propos de Daniel Hierso. Pendant près de trois ans, à l'antenne de la région, au 284 du boulevard Saint-Germain, j'ai fait venir régulièrement depuis la Guadeloupe un cadre pour créer des entreprises dans l'hexagone. Par exemple, je m'étonnais qu'à Paris, il n'y ait que deux ou trois restaurants réunionnais et très peu de restaurants guyanais et guadeloupéens – et je ne parle pas de la Polynésie – alors que notre gastronomie est formidable. J'aurais aimé la faire rayonner partout, en tout cas dans les grandes métropoles hexagonales, avec nos danses et notre culture. Or pendant trois ans, je n'ai pratiquement pas vu passer de vrai dossier de création d'entreprise. J'ai donc dû renoncer Pourtant, Bertrand Delanoë et Jean-Paul Huchon, que j'avais contactés à l'époque, auraient été prêts à financer des projets. Il est intéressant de constater que ce que j'ai vécu ne correspond pas aux résultats de l'enquête. Cela correspond à ce que nous vivons outre-mer, mais pas ici.

Nous allons malgré tout essayer de recommencer pour voir s'il est possible d'accompagner la création d'entreprises, en allant dans tous les salons, séminaires et colloques. Le potentiel est là. Simplement, il y a un écart entre ce que nous vivons, ce que nous savons en petit groupe et ce que l'opinion publique hexagonale sait. Il y a donc un effort de communication à faire pour mieux nous faire connaître et apprécier.

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