Intervention de George Paul-Langevin

Réunion du 15 octobre 2014 à 10h30
Délégation aux outre-mer

George Paul-Langevin, ministre des outre-mer :

À mon tour de vous remercier de m'avoir conviée à clôturer cette rencontre. Je salue évidemment Mme la déléguée interministérielle. Je salue également les députés présents et les présidents d'association, que j'ai toujours plaisir à rencontrer. Nous nous connaissons parfois depuis des années et au fil du temps, nous avons suivi la façon dont notre population s'intégrait au sein de la société française.

Je pense que cette initiative est importante. Nous avons besoin de mieux connaître les réalités pour pouvoir proposer des politiques publiques. Malgré le grand nombre de rapports produits sur un certain nombre de sujets qui nous concernent, nous manquons parfois d'une vision actualisée.

Vous avez évoqué les travaux de Claude-Valentin Marie, qui sont d'une qualité remarquable. Mais nous savons bien que celui-ci a buté sur un obstacle méthodologique ou de principe, lié au fait que nous en sommes à la troisième ou quatrième génération d'ultramarins installés en métropole. Les uns et les autres se sont souvent perdus de vue. Aujourd'hui, il est difficile de faire des enquêtes statistiques complètes. On ne peut procéder que par des sondages, des photographies prises à un « instant t », et à partir d'échantillons.

Ce que vous nous présentez aujourd'hui est tout à fait intéressant. En effet, nous-mêmes, qui vivons dans ce pays, avons intégré certains des stéréotypes affectant les originaires d'outre-mer en métropole. Ce travail nous aide à voir qu'ils ne sont pas exacts.

Claude-Valentin Marie avait déjà démontré que, contrairement à l'image de nonchalance qu'on lui accole, la population originaire d'outre-mer est la plus active. Toutes les femmes travaillent dans la communauté antillaise. Au moment de la retraite, les gens repartent souvent au pays. Statistiquement, c'est le groupe qui travaille le plus en France, ou du moins qui a le plus fort taux d'activité.

Un autre stéréotype est en train de tomber : les originaires d'outre-mer étaient vus comme « la nation des fonctionnaires ». Cela se comprend, puisque l'avantage du congé bonifié ne s'applique pas dans le secteur privé. Mais vous nous montrez que les originaires d'outre-mer s'impliquent dans l'entrepreneuriat. Peut-être que la jeune génération, dont les parents vivaient tranquillement comme fonctionnaires, s'est dit qu'il lui fallait passer à autre chose et s'est intéressée à l'entreprise ? Peut-être qu'elle s'est lancée dans l'entrepreneuriat pour se créer des emplois ? Il y a dix ans, le taux de chômage était très important dans la deuxième génération. Il serait bien de creuser un peu plus la question.

En tout cas, cela confirme ce que vous disiez, à savoir qu'on peut considérer que ces jeunes ultramarins ou descendants d'ultramarins ont de l'audace. Pour ma part, j'ai toujours pensé que les émigrants ont un esprit de pionniers. Cela demande du caractère et je ne suis pas étonnée que des jeunes, dont les parents ont su s'arracher à leurs habitudes pour chercher une vie meilleure, aient hérité de leur audace et puissent faire preuve d'esprit d'entreprise.

Vous avez dit que les ultramarins avaient une assez bonne image et vous vous êtes demandé si la manière de faire des ultramarins les avait fait connaître et apprécier. Je suis assez d'accord avec cette idée.

Dans ma génération, les associations étaient très actives, elles organisaient de nombreuses manifestations, des bals, des fêtes – dont on avait tendance à se moquer. J'ai toujours été convaincue que c'était un moyen d'intégration très important. Cela permettait aux gens de retrouver un peu du pays avant de se replonger dans la vie et dans le travail. Cela permettait aussi – même si cela n'attirait pas les grands médias – de tisser un lien avec la population d'accueil. Je crois que cela a contribué à améliorer l'image des migrants antillais.

À propos d'image, j'ai une observation à faire. Traditionnellement, le rapport de la Commission des droits de l'homme publie un petit sondage destiné à montrer comment sont perçus les différents groupes qui vivent en France. Cela m'a permis de constater à plusieurs reprises que les ultramarins ont plutôt une bonne image, ce que j'ai trouvé réconfortant. Cette image est d'ailleurs meilleure que celle des noirs, ce qui est un peu contradictoire. Or le dernier rapport ne prend plus en compte les ultramarins et s'intéresse seulement à la façon dont sont perçus les noirs. Cela m'a causé un choc : cela signifie que la catégorie juridique dans laquelle nous nous trouvons a disparu en France ! Je m'en suis entretenue avec la présidente de la Commission des droits de l'homme qui m'a répondu que la discrimination était une question de couleur de peau et que, par conséquent, il n'y avait pas de raison de prendre en compte l'origine. Pour moi, ce n'est pas satisfaisant car il y a tout de même, quoi qu'on en dise, une sorte de communauté d'esprit, d'histoire, de culture dans les différentes régions des Outre-mer. Je trouve donc dommage, y compris pour la conception que la France peut avoir de son peuple, de faire disparaître une catégorie qui contribue depuis longtemps à sa diversité.

Je pense que mon intervention a déconcertée la présidente de la Commission. Je vous incite néanmoins à veiller à ce genre de choses. En effet, il n'est jamais bon qu'un pays ne se rende plus compte de sa composition plurielle. C'est plutôt un facteur d'affaiblissement de faire disparaître les ultramarins dans l'ensemble français.

Je crois moi aussi qu'il faut lutter contre les discriminations. Seulement, je remarque qu'on a tendance à les sous-estimer. Or on n'arrive pas à traiter un problème que l'on ne nomme pas. Bien sûr, on n'a pas à crier au loup devant chaque difficulté de la vie quotidienne. Mais on doit faire en sorte de mettre en avant ce problème de discrimination pour pouvoir le résoudre et réussir l'intégration la plus harmonieuse possible.

Si l'on veut que les ultramarins, et notamment les jeunes générations, se sentent totalement partie prenante de ce pays, il faut que nous soyons présents dans tous les moments mémoriels – en particulier, au moment de la commémoration de la Première et de la Deuxième guerre mondiale. C'est une manière de rappeler que le gens ne sont pas là simplement par tolérance, mais parce qu'ils ont voulu défendre la France, adhérer aux valeurs de ce pays, parce que notre histoire commune dure depuis longtemps.

Il faut aussi, au jour le jour, mener une véritable action de lutte contre les discriminations. Voilà pourquoi ce que fait Sophie Elizéon est extrêmement important. Mais il faudrait que ce soit encore plus visible. Comme vous l'avez dit, il se passe souvent des choses intéressantes, mais les autres ne s'en rendent pas compte.

Monsieur Auerbach-Chiffrin, vous avez raison de dire que nous devons lutter contre toutes les discriminations, et qu'il n'y a aucune fraction du peuple qui en soit exempte. Il nous faut donc combattre les discriminations et les préjugés dont peuvent être victimes les originaires de l'outre-mer, que ces discriminations et préjugés viennent ou non de l'extérieur. Certains préjugés et stéréotypes peuvent affecter certaines fractions de nos populations. Dans les Outre-mer, nous avons un souci avec l'homophobie. C'est la raison pour laquelle la prévention et la lutte contre le sida ne sont pas menées avec autant d'efficacité qu'il le faudrait. Nous avons le projet, avec Mme Elizéon, d'intensifier le travail en ce domaine. Sachez qu'au 1er décembre, au ministère des Outre-mer, nous allons lancer une initiative visant à impliquer au maximum les élus et les associations dans la lutte contre l'homophobie et contre le sida – même si, dans les Outre-mer, le sida est surtout le fait d'hétérosexuels.

Évidemment, nous continuons à suivre de très près les initiatives des associations. Je suis notamment très contente de voir qu'aujourd'hui les jeunes prennent les choses en main et essaient d'avancer sur des questions comme leur insertion professionnelle, qui est très préoccupante. Comme on dit aux Antilles, il faut que chacun « lutte pour son âme ».

Mais s'il faut effectivement lutter contre les discriminations et faire en sorte que les jeunes et les moins jeunes arrivent aux plus hautes responsabilités dans ce pays, il faut aussi faire en sorte que les jeunes puissent trouver de l'emploi à tous les niveaux quand ils rentrent ou quand ils souhaitent rentrer. Or pour l'instant, nous ne sommes pas totalement satisfaits de ce qui se passe.

Dans le cadre du Pacte de responsabilité, nous nous efforçons d'aider les entreprises et d'alléger leurs charges afin de faciliter l'emploi dans les outre-mer. Par ailleurs, je veille attentivement à ce que la commande publique, qui est considérable dans les Outre-mer, prenne en compte l'emploi des ultramarins, et notamment des jeunes ultramarins. Avec la Délégation, nous contribuons à former beaucoup de jeunes, et je ne comprends pas que l'on n'arrive pas à les faire embaucher dans les Outre-mer à un niveau de salaire suffisant. Aujourd'hui, c'est pour nous une tâche prioritaire.

Lors de ma visite à La Réunion, l'été dernier, j'ai été interpellée assez vivement par des manifestants qui exprimaient leur volonté de pouvoir travailler au pays. L'expérience n'a rien d'agréable, mais je reconnais qu'ils posaient ainsi une vraie question : que faire et comment s'y prendre pour que l'argent public qui est versé, notamment par les régions, pour la formation des jeunes ultramarins et qui est versé sous forme de commande publique sur les outre-mer, puisse mieux profiter à l'emploi outre-mer ?

Je sais bien – pour y avoir beaucoup travaillé quand j'étais députée – qu'il y a un certain nombre de verrous juridiques. Mais je pense qu'aujourd'hui, compte tenu de la gravité de la situation de l'emploi et de l'emploi des jeunes dans les Outre-mer, nous devrions tout de même pouvoir faire évoluer la situation. Les associations sont à même de faire des choses assez simples comme, par exemple, créer des réseaux. Le problème est que souvent ceux qui offrent l'emploi ne sont pas en relation avec la personne qui a la compétence. Les réseaux sociaux peuvent toutefois y contribuer. Reste que l'emploi est indispensable si l'on veut que les jeunes d'outre-mer aient confiance dans le modèle républicain. On ne peut pas accepter des taux de chômage à de tels niveaux. En tout cas, je suis prête à soutenir les associations et les initiatives en faveur de l'emploi.

Ensuite, le président de l'association de Marseille a insisté sur le fait qu'il fallait que les originaires d'outre-mer se comportent comme des citoyens à part entière et que, par conséquent, dans la ville où ils sont présents, ils puissent continuer à défendre les valeurs de la République, ces valeurs qui nous protègent et qui sont à l'origine de l'abolition de l'esclavage. Je suis d'accord avec lui. C'est particulièrement important dans les régions où l'on a l'impression que le pacte républicain est en danger.

Il avait été question d'inaugurer un collège Aimé Césaire à Marseille. Je suis toujours d'accord pour le faire. En tant qu'originaires d'outre-mer, nous devons être partout, en tête de la lutte pour les valeurs de la République.

Nous sommes enfin conscients du fait que, nés dans des endroits assez éloignés de l'hexagone, nous participons au rayonnement de la France dans le monde. Et nous devons être également conscients – je pense plus particulièrement aux jeunes qui sont nés et qui ont grandi ici – que la présence des ultramarins n'est pas une charge pour la République, mais un atout et qu'en toute hypothèse, ils un rôle à jouer à l'avant-garde de la défense des valeurs de la République.

Quoi qu'il en soit, je vous remercie pour cette initiative, qui m'a donné l'occasion de m'adresser à vous.

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