Intervention de Philippe Duong

Réunion du 14 novembre 2012 à 9h30
Commission des affaires économiques

Philippe Duong, directeur du cabinet Samarcande :

Je tiens à remercier l'Assemblée nationale de me faire l'honneur de son invitation, et je vais tâcher de me montrer synthétique.

Le transport de marchandises n'a pour légitimité que d'assurer le service des entreprises et des territoires. Il s'oppose, sur ce point, au transport de voyageurs qui est au service des populations. Inscrire la question du fret dans le cadre d'un débat économique est donc tout à fait cohérent.

La logistique constitue l'intermédiaire entre l'économie et le transport. Selon toutes les études récentes, ses coûts représentent 10 % du PIB, soit 200 milliards d'euros en France. C'est donc un enjeu considérable : baisser les coûts logistiques d'un dixième équivaudrait à un gain de 20 milliards d'euros pour les entreprises. De surcroît, c'est un progrès assez facilement accessible, qui existe dans toutes les filières et dans toutes les activités, et qui présente de nombreuses vertus : il ne donne pas prise à des délocalisations, il ne provoque pas de suppression d'emplois, il s'accompagne d'une élévation des compétences et d'une réduction des gaspillages. Je verse cet élément dans les discussions sur la compétitivité.

Tous les chefs d'entreprises se soucient des charges et de la fiscalité, mais pas plus d'un sur dix cherche à gagner en efficacité logistique alors que les gains potentiels – jusqu'à 40 % des coûts – sont largement supérieurs, principalement dans les PME souvent en retard en la matière. J'irai même jusqu'à dire que c'est un combat aussi fondateur que la recherche et le développement dans les activités de flux.

Il est vrai que la logistique actuelle est soumise à des contradictions fortes. Dans un monde économique qui privilégie les flux tendus et les livraisons fractionnées, il est difficile de développer des transports optimaux – c'est-à-dire massifiés. C'est un paradoxe qu'il n'est pas facile de résoudre pour les modes alternatifs à la route, parfaitement adaptée à ces contraintes, mais auquel le commerce maritime apporte déjà une réponse à travers la conteneurisation.

Les entreprises sont le facteur principal de la compétitivité, mais ne négligeons pas le rôle structurant des pouvoirs publics dans le système de transport et dans la politique d'aménagement du territoire. Le bilan de ces dernières décennies n'incite pas à l'enthousiasme : on a laissé les entreprises s'installer à leur guise, sans prendre en compte les besoins de transport et les difficultés d'une massification des flux dans un contexte de dispersion des activités.

De plus, la logistique et le transport sont longtemps demeurés en marge des politiques publiques. J'y vois une des principales raisons de la perte de compétitivité des entreprises françaises et du déclin de nos activités industrielles. Les modes alternatifs à la route n'ont pas été soutenus et, d'ailleurs, la route non plus : le pavillon français a lourdement reculé parmi les transporteurs internationaux. L'État a manqué d'une vision intégrée entre transport et logistique, entre industrie et aménagement du territoire. Tout ceci amène à déplorer une approche lacunaire, dans laquelle le transport de marchandise est appréhendé à travers le prisme de l'aménagement du territoire – ce qui est la vérité, mais pas toute la vérité. L'interface avec l'économie n'a été pensée ni à l'échelon national, ni à l'échelon local.

Les politiques sectorielles de transport manquent de coordination. Nous avons une politique ferroviaire, une politique portuaire, une politique d'aménagement des zones logistiques. L'articulation avec les interfaces maritimes n'a pas été imaginée, et il en résulte un gaspillage colossal. L'évolution du fret ferroviaire est accablante puisque la moitié du trafic a disparu dans les années 2000. Quant au secteur maritime, alors même que la France compte le littoral le plus important en Europe derrière la Grèce, les indicateurs doivent alarmer : nous générons 1 700 conteneurs par milliard d'euro de production, contre 4 000 en Allemagne, plus de 7 000 en Espagne, 13 000 aux Pays-Bas et 21 000 en Belgique. Nous sommes donc très en-deçà du poids de notre économie.

Je terminerai par la désormais rituelle comparaison avec l'Allemagne. Dans sa politique de fret, elle a une vision cohérente : un plan logistique national décliné en volets ferroviaire, fluvial et portuaire extrêmement efficaces. Le rail et les canaux desservent notamment à la perfection les ports de Hambourg et de Brême. Cette articulation de la stratégie industrielle, exportatrice, entre le Bund et les Länder n'existe pas en France. S'il y a un bon exemple à prendre en Allemagne, c'est certainement celui-ci, plus encore que dans la thématique de la compétitivité. C'est un enjeu essentiel pour maintenir à flot notre économie et notre industrie dans les territoires. Notre vision des échanges et de la logistique doit connaître une véritable révolution.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion