Intervention de Philippe Deiss

Réunion du 14 novembre 2012 à 9h30
Commission des affaires économiques

Philippe Deiss, président d'HAROPA :

J'interviens aujourd'hui en qualité de président du directoire du Grand Port maritime de Rouen, mais également comme président — pour cette année — du GIE que les grands ports de Paris, Rouen et Le Havre ont mis en place après des décennies de méfiance, voire d'hostilité.

L'alliance HAROPA nous est imposée par l'évolution du contexte maritime international, marqué une explosion du trafic — on transporte aujourd'hui par mer trente-deux fois plus qu'on ne transportait en 1950 — et un mouvement de concentration autour de certains axes, autour de quelques ports et entre les mains de quelques armateurs majeurs.

Ces évolutions structurelles obligent les ports français à une mutation radicale. La réduction du nombre de destinations desservies exacerbe en effet la concurrence entre les différentes places, notamment au regard de leur offre de services. Par ailleurs, la massification des escales, qui vise à réduire le coût du transport à la tonne, conduit à une augmentation spectaculaire de la taille des navires et à une croissance concomitante des infrastructures et capacités d'accueil requises.

Mais on entend dire, de plus en plus souvent, que la bataille des ports se gagne à terre. C'est exact. Le coût du transport et de la logistique se partage en une composante maritime, une composante portuaire et une composante terrestre et, au regard du développement de ports de plus en plus massifiés, il faut que les dessertes terrestres en aval soient pleinement opérantes : à titre d'exemple, amener une tonne de céréales de Rouen jusqu'au Havre coûte aussi cher que d'amener cette tonne de Rouen à Alger et amener un conteneur de Dijon à Marseille représente la même charge que de l'amener de Marseille à Shanghai… La maîtrise des dessertes terrestres, la qualité des réseaux massifiés, les caractéristiques de l'offre et sa diversité, la densité des « haltes » potentielles sont donc devenues des enjeux majeurs.

Jusqu'à présent, priorité a été donnée par les pouvoirs publics au transport de voyageurs. Mais la compétitivité industrielle et logistique d'un pays passe par l'acheminement souple, fiable et rapide des frets. Nos concurrents, les ports du nord de l'Europe, l'ont compris depuis bien longtemps : ils sont excellemment desservis par leur hinterland, ils utilisent largement des modes massifiés pour maximiser les économies d'échelle et ils anticipent les évolutions à venir. Les ports français – et ceux de l'axe Seine n'y faisaient pas exception – ont longtemps souffert, inversement, d'un ensemble de faiblesses : absence de taille critique, mauvaise qualité des dessertes, contraintes d'organisation humaine significatives, etc.

La loi du 4 juillet 2008 a permis d'adapter les grands ports français à ce nouveau contexte. Indéniablement, la France adopte désormais un modèle nord-européen, dans lequel les opérateurs privés sont en charge du fonctionnement des services portuaires et de l'investissement, les établissements publics sont très fortement impliqués dans les problématiques de desserte terrestre, d'aménagement, d'environnement, d'animation et de portage de projets et dans lequel l'État défend les intérêts nationaux et définit une stratégie pour l'ensemble du territoire, au-delà des particularismes locaux. Les ports français bénéficient depuis cette date d'une nouvelle dynamique, qui doit leur permettre de reconquérir des parts de marché vis-à-vis de leurs concurrents — s'agissant des conteneurs, il faut avoir à l'esprit que le port d'Anvers est aujourd'hui le principal port de France…

La réforme de 2008 a également invité à mieux se coordonner, soit par façades, soit par axes. Cette coordination, qui est récente, est une tendance qui n'est pas propre au seul territoire français et il y a des exemples en ce sens au Canada, en Chine ou en Belgique. Sur une distance de 200 km, il y avait jusqu'à présent les ports de Paris, du Havre et de Rouen et Voies navigables de France, chacun avec sa politique de commercialisation, sa stratégie, ses investissements… Les clients, de leur côté, exprimaient des attentes fortes, demandant un service logistique de bout en bout, du Havre à Paris, et souhaitant n'avoir qu'un partenaire unique et intégré au lieu d'une multitude d'interlocuteurs. Ces mêmes clients demandaient une mise à niveau des équipements et des infrastructures et un transfert fluvio-maritime plus aisé. Ils faisaient également part de leur embarras face à certaines contraintes d'ordre réglementaire, technique, douanier ou contractuel.

L'objectif de l'alliance HAROPA est donc de pouvoir proposer une réponse globale et adaptée. L'alliance constitue aujourd'hui le quatrième complexe portuaire européen, soit 100 millions de tonnes en termes de trafic maritime — et 130 millions de tonnes pour le maritime et le fluvial. Nous disposons de quelques positions de force : premier port européen exportateur de céréales, premier port français pour les conteneurs — en dépit d'un rang international modeste —, second port fluvial européen, premier port intérieur mondial pour le tourisme, etc. L'alliance confère un positionnement tant national qu'international totalement novateur et nous donne une lisibilité sans commune mesure vis-à-vis de nos partenaires étrangers. Culturellement, une véritable révolution est en marche, avec son cortège de réticences à surmonter, tant au niveau des places portuaires que des personnels.

Le GIE a vocation à regrouper l'effort des trois ports dans plusieurs domaines. Il sera chargé d'élaborer une stratégie à l'horizon de 2030. Les équipes chargées des réseaux, de l'hinterland et de la multimodalité auront à contribuer à une redynamisation du transport ferroviaire, à accompagner le développement du trafic fluvial, à lancer des projets allant jusqu'à la distribution en milieu urbain. Il y aura également des équipes chargées de la politique commerciale, de la promotion et de la communication. Créé en janvier 2012, le GIE regroupe une centaine de salariés des trois ports, dans une structure unique qui n'est pas une holding, mais un outil, un service commun aux trois opérateurs. Au terme de quelques mois d'existence, plusieurs succès ont déjà été capitalisés en termes de visibilité internationale et de légitimité.

Notre vocation est donc de nous affirmer comme un hub maritime et logistique dans le « top cinq » européen, mais aussi de jouer un rôle de cluster industriel dans certains secteurs — chimie, agro-industrie, énergie, automobile, bâtiment et travaux publics… —, de faire de la Seine un territoire attractif pour l'économie des territoires et de devenir une référence en matière d'intégration des ports à leur environnement urbain ou naturel.

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