Intervention de Isabelle Attard

Séance en hémicycle du 4 novembre 2014 à 21h30
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 - projet de loi de finances pour 2015 — Recherche et enseignement supérieur

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard :

Je peux comprendre aussi que, lors de vos déplacements, vos hôtes cherchent à vous montrer le bon côté des choses, leurs plus beaux accomplissements, car ce n’est pas très valorisant d’étaler sa misère lorsque l’on reçoit des visiteurs de marque.

Je vous propose donc un contact bref et intense avec la réalité – cela risque de piquer un peu, je vous préviens. Devant l’Assemblée nationale se trouvent actuellement 200 membres du collectif « Science en marche ». Ils seraient ravis de vous rencontrer à l’issue de ces débats, et ce serait l’occasion pour vous de faire des rencontres très enrichissantes.

Je pense par exemple à ce doctorant de la Pitié-Salpêtrière qui doit utiliser son ordinateur personnel depuis six mois, parce que son laboratoire de myologie n’a pas les moyens de lui en fournir un.

Je pense à cette archéozoologue qui enchaîne, à l’Institut national de recherches archéologiques préventives – INRAP –, les contrats à durée déterminée de deux semaines à trois mois depuis trois ans. Après toutes ces années d’études réussies, et avec toute son expérience, elle peut tout au plus ambitionner d’être recrutée en contrat à durée indéterminée à 1 400 euros nets par mois. Et ce n’est pas parce que je suis moi-même archéozoologue qu’il faut me soupçonner d’un quelconque corporatisme servile lorsque j’évoque son cas.

Je pense à cet ingénieur d’études de trente-trois ans qui a enchaîné huit CDD en six ans, à Paris et en Auvergne, et qu’aucun laboratoire de recherche publique ne veut plus embaucher, de peur qu’il atteigne les conditions d’accès à un emploi stable.

Je pense à ce chercheur de l’université d’Angers qui m’a parlé des nouveaux postes que son université pourrait obtenir, au titre de vos « 1 000 postes créés par an ». Cette université, qui a été évaluée par vos services, aurait un déficit de 384 postes et de 8 millions d’euros. Votre ministère lui a attribué 35 des 1 000 postes créés chaque année, ce qui est beaucoup. Même s’il faudrait dix ans, à ce rythme, pour combler le déficit total, les choses iraient dans le bon sens si ces promesses étaient tenues. Le problème, c’est qu’en trois ans et demi, sur les 105 nouveaux postes promis, seuls 14 ont réellement été ouverts.

Qui peut blâmer la direction de cette université ? Avec un tel déficit budgétaire, elle affecte d’abord l’argent aux frais de fonctionnement. Elle fait ce qu’elle peut pour absorber les mille étudiants supplémentaires inscrits cette année. Elle fait ce qu’elle peut pour limiter les séances de travaux dirigés à cinquante étudiants.

Allez donc leur expliquer que vos 1 000 postes par an existent, à ces gens qui vous attendent dehors ! Ils ne demandent qu’à vous croire, mais ils sont sur le terrain, et ils savent bien que vos chiffres sont faux.

Vous nous avez vanté le merveilleux fonctionnement de l’Agence nationale pour la recherche, qui attribue des financements aux laboratoires sur appel à projets. Si le principe n’est pas fondamentalement mauvais, la réalité, elle, est exécrable. Les laboratoires n’embauchent plus que sur des contrats précaires, ce qui est logique, puisqu’ils savent que leurs financements seront temporaires. Les jeunes chercheurs enchaînent donc les CDD : ils se forment pendant un ou deux ans, puis ils sont mis à la porte, pour être remplacés par de nouveaux jeunes.

Allez en parler à ce maître de conférences de l’université d’Orsay, qui dirige des recherches en biologie sur des durées de quatre à cinq ans. Il forme un premier chercheur en CDD, qui part bientôt, puis un second, qui part à son tour. Peut-être le troisième produira-t-il des résultats. Le maître de conférences, en tout cas, entre la constitution de dossiers de financement et la formation des jeunes chercheurs en CDD, ne produira rien. Rien d’autre que des monceaux de paperasse, comme tous ses collègues, dans tous les laboratoires : des dossiers dans lesquels ils doivent non seulement annoncer, avant d’avoir cherché, ce qu’ils vont trouver, mais où ils doivent aussi décrire les conséquences sociétales de leurs trouvailles ! Comme si les découvreurs des ondes radio avaient pu prévoir la radio, la télévision et le téléphone portable !

Vous demandez aux chercheurs des talents de voyante ou de médium. Malheureusement, cela ne fait pas partie des critères de recrutement à l’entrée… Au mieux, le système d’attribution de financement récompense les meilleurs mentalistes, ceux qui vous font croire qu’ils peuvent tout savoir à l’avance. Ce n’est pas un bon critère pour financer la recherche publique.

C’est peut-être cela le plus déplorable : sous couvert de rendre la recherche publique plus efficace, on détruit les conditions de sa productivité.

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