Intervention de Gérard Amiel

Réunion du 14 novembre 2012 à 16h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Gérard Amiel, Président-directeur général de Renault Trucks Defense, RTD :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m'offrir l'occasion de pouvoir m'adresser à la Commission de la défense nationale et des forces armées. Je suis très honoré d'être le premier industriel à participer aux auditions relatives au Livre blanc.

Alors que nous allons bientôt célébrer le centième anniversaire du début de la Première guerre mondiale, je tiens à rappeler que Renault est sans doute un des plus anciens fournisseurs de l'armée de terre. C'est en effet Renault qui avait mis au point en 1917 le FT17, fort justement dénommé le « char de la Victoire ».

Paradoxalement, si ce souvenir glorieux est bien connu, je dois admettre que la société que je dirige l'est beaucoup moins ! Pourtant, Renault Trucks Défense (RTD) est sans nul doute aujourd'hui l'un des principaux fournisseurs de l'armée de terre dans le domaine des plates-formes. J'ai été frappé lors du dernier 14-Juillet de constater que 95 % des calandres des véhicules qui défilaient provenaient des bureaux d'études et des chaînes de montage du groupe Renault Trucks Defense. Ce groupe, qui comprend également ACMAT et Panhard, ce sont en effet 4 000 véhicules de l'avant blindé (VAB) – l'engin le plus employé en Afghanistan avec plus de 600 unités –, 1 600 véhicules blindés légers (VBL), 1 100 petits véhicules protégés (PVP), la partie mobilité du véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI), assemblé par Nexter, et celle du camion équipé d'un système d'artillerie Caesar, également commercialisé par Nexter, 1 500 véhicules légers de reconnaissance et d'appui (VLRA), ainsi que des milliers de camions et de véhicules légers, sans compter un parc très important en service dans de nombreuses armées étrangères.

Nous équipons également le service des essences des armées et l'armée de l'air, à laquelle nous fournissons les porteurs des lanceurs antiaériens de moyenne portée terrestre SAMPT. Ceux d'entre vous qui ont eu la possibilité d'aller sur un théâtre d'opérations sont très certainement montés au moins une fois à bord de l'un de nos blindés.

Je commencerai mon propos en vous présentant synthétiquement l'entreprise industrielle que je préside.

Au regard des autres intervenants de l'industrie de défense, Renault Trucks Defense demeure une entreprise de taille modeste : le groupe devrait atteindre 430 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2012 et 700 millions en 2015 s'il réalise son plan stratégique de développement. Il emploie un millier de personnes en France, réparties sur cinq sites industriels – Saint-Nazaire pour la marque ACMAT, Marolles-en-Hurepoix et Saint-Germain-Laval pour la marque Panhard, Fourchambault et Limoges ainsi que Lyon et Versailles – deux sites tertiaires –, pour la marque Renault Trucks. Le groupe devrait compter 1 700 collaborateurs en 2013. Point particulier : nous sommes déjà un acteur européen et mondial, puisque nous appartenons au groupe Volvo, le deuxième constructeur mondial de poids lourds, présent dans plus de 120 pays et dont le siège social est situé à Göteborg en Suède. Renault Trucks est toutefois une entreprise française qui, cédée par le groupe Renault à Volvo en 2001, emploie plus de 12 000 personnes en France. Aucun Suédois ne fait partie de l'organisation de RTD dans quelque division que ce soit en France, où tous les postes de responsabilité sont occupés par des Français. Nous sommes donc plus français que suédois. Je me permets également de vous rappeler que Renault SA est l'actionnaire de référence du groupe Volvo, lequel a vendu en 1998 sa branche automobile à Ford, qui l'a à son tour cédée au chinois Geely il y a deux ans.

Cette appartenance à un groupe mondial est une force. On retrouve ce business model – excusez le terme – chez la plupart de nos concurrents, non seulement en Italie – Iveco – et en Allemagne – Rheinmetall –, mais aussi en Inde – Tata ou Ashok Leyland –, en Chine – AVIC. Il en est de même au Brésil. Ce lien nous permet de bénéficier des capacités de recherche du groupe, par exemple dans le domaine des moteurs hybrides et des effets de série sur les pièces, et de disposer de plusieurs réseaux de distribution. Aujourd'hui, ces trois domaines sont mobilisés au profit de l'armée française. Par exemple, les camions de l'armée de terre sont entretenus à proximité des unités de combat, dans les concessions Renault Trucks – une centaine. À ce propos et sans esprit de polémique, nos coûts, qui sont souvent critiqués, sont audités par différents services du ministère et synthétisés par le Contrôle général. Nous agissons ainsi en toute transparence, avec des marges raisonnables, mais nécessaires à la préservation de la capacité d'innovation et d'investissement de la société, car nous investissons le plus souvent sur fonds propres.

Sachez que si nous sommes européens, 100 % de notre production est réalisée en France, dans les cinq usines que j'ai précédemment citées. L'an passé, nous avons recruté plus de 150 collaborateurs supplémentaires, la plupart en province et dans le domaine industriel.

Après avoir décrit une entreprise industrielle nationale, je souhaiterais évoquer la question des exportations qui est extrêmement importante pour Renault Trucks Defense.

Pour tordre le cou à quelques idées reçues, je tiens à souligner que les possibilités à l'exportation dans le domaine de l'armement terrestre sont nombreuses et que, même si elles ne sont pas médiatisées, les Français y ont toutes leurs chances. En 2012, Renault Trucks Defense a remporté quatre appels d'offres pour l'équipement de l'armée égyptienne contre des concurrents italiens et américains. Si les composantes de ces contrats sont intégralement réalisées, RTD sera dans quelques années le premier partenaire français de l'armée égyptienne.

Nous sommes en train de changer de modèle économique : auparavant, nous vendions d'abord à l'armée française des programmes et des volumes importants, puis, grâce à cette référence, à des clients étrangers. Aujourd'hui, les cycles de remplacement des équipements sont plus rapides dans le monde qu'en Europe, si bien que nous livrons des clients étrangers bien avant l'armée française. Le cas de notre véhicule blindé de dix tonnes, le Sherpa, est révélateur : nous en avons vendu plus de 300 dans le monde – nous en vendrons 500 en 2013 – et seulement une trentaine pour le moment à l'armée française. Dans un contexte économique difficile, les sociétés ne peuvent envisager un soutien de l'État autre que le label « Armée française », lequel cependant apporte un effet multiplicateur important dans la vente à l'exportation et un retour en termes d'emplois pour la France.

Ce changement de modèle et cette possibilité de pouvoir s'appuyer sur une base industrielle en France sont aussi une chance pour l'armée de terre. Je veux profiter de cette audition, exercice peu courant pour un industriel comme moi, pour vous livrer quelques réflexions. Nous avons en effet bien saisi que le budget du ministère de la défense et, en particulier, celui de l'armée de terre seront sous tension dans les prochaines années.

Des solutions pourraient être envisagées pour permettre de sauvegarder en même temps le format de l'armée de terre, qui est un gage du rayonnement de la France et de sa capacité à résoudre les crises, et ses capacités opérationnelles, en la dotant d'équipements modernes, fiables et déjà en service dans d'autres pays. Il est très important en effet que les unités de l'armée de terre disposent de matériels en nombre suffisant. C'est nécessaire non seulement pour réaliser la formation des équipages et les exercices d'entraînement, mais également pour être en mesure de déployer rapidement des moyens importants en cas de crise.

Pour répondre à cette nécessité de formation et à une réduction du coût de soutien des matériels anciens, des achats de matériels neufs en nombre limité pourraient être envisagés.

Ces solutions, qui peuvent être apportées par un industriel national, ne le seraient pas forcément par un fournisseur étranger car, en matière de défense, la loi de l'offre et de la demande joue contre les pays européens qui sont devenus de petits clients. Pour notre part, nous dépassons cette approche mercantile. En voici quelques exemples.

Alors que des réflexions sont menées sur le programme de véhicule blindé multirôles (VBMR), en vue de relever le défi du lancement d'un programme complètement nouveau et très ambitieux d'un point de vue technologique, nous soutenons les réflexions des services de l'État par le biais de nombreux travaux exploratoires de réduction des coûts. Nous avons, de même que Nexter, réalisé un démonstrateur, en cours d'évaluation par la DGA. Nous soutenons ce programme majeur, en investissant sur fonds propres dans le développement de l'architecture et des fonctions mobilité, protection et systèmes d'information.

En cas de crise majeure, l'armée de terre doit également pouvoir compter sur nous pour aider à son déploiement. Compte tenu du fait que nous produisons différents engins blindés pour l'exportation, nous sommes en mesure de proposer des parcs de véhicules blindés ou de camions en urgence. Il nous suffit d'adapter nos cadences de production. C'est là aussi l'un des intérêts de disposer, en France, d'une base industrielle terrestre. Un fournisseur étranger le ferait plus difficilement.

Signalons toutefois que le code des marchés publics, ou du moins l'utilisation qui en est faite par le ministère de la défense, n'est pas adapté à l'urgence opérationnelle, comme c'est le cas chez nos voisins européens, ce qui ne facilite ni notre tâche, ni celle de la DGA. Pour répondre à des besoins exports de remplacement de milliers de blindés M113, nous avons également réalisé le VAB Mk3, présenté au dernier salon de Satory. Son développement a été financé sur fonds propres et les contraintes budgétaires nationales ont été prises en compte en amont. Ce matériel reprend, en plus de l'architecture, tous les éléments qui ont fait le succès du VAB – modularité, polyvalence d'emplois, grande mobilité –, avec un niveau élevé de protection. Aujourd'hui, plus de dix pays sont intéressés par ce blindé de nouvelle génération. Il commencera d'être livré au début de 2014.

Notre base industrielle est également un atout dans le domaine du soutien : le VAB en est un excellent exemple. Pendant toute la crise en Afghanistan nous avons, main dans la main avec la DGA et l'armée de terre, fait évoluer ce blindé pour augmenter ses capacités de protection et d'agression, via un nombre important de programmes d'urgences opérationnelles – une quinzaine. La dernière optimisation, le VAB Ultima, a même été renvoyée sur le théâtre pour faciliter le retrait des troupes. C'est parce que, en tant qu'industriel français, nous sommes très proches de notre client national, que nous avons la capacité de faire évoluer un matériel sur le théâtre. En tant que français, nous sommes et serons derrière nos soldats.

Cette capacité de soutien prend également tout son sens sur le territoire national. Je voudrais citer l'exemple de Fourchambault, près de Nevers, ancienne base de l'armée de terre : c'est une opération d'externalisation réussie. En 2007, nous avons repris cet établissement industriel, auparavant géré par l'armée de terre. Ce site a su monter en puissance et offrir une réelle qualité de service à l'armée française.

D'une soixantaine de VAB réparés tous les ans au début, nous sommes passés à 160 durant les neuf premiers mois de 2012, ce qui permet d'améliorer, à des prix raisonnables, la disponibilité du véhicule blindé le plus employé de l'armée de terre. Nous avons parallèlement créé 220 emplois sur un territoire à revitaliser. Ce type de partenariat entre un industriel et l'armée de terre doit être souligné. Il permet, en cas de réduction du format des équipes de maintenance de l'armée de terre, de maintenir malgré tout la disponibilité des équipements. Ce partenariat pourrait, si nécessaire, être étendu à d'autres sites.

Enfin, comme vous le savez, Renault Trucks Defense a initié la consolidation de l'armement terrestre français au travers de l'acquisition de Panhard. Il reste pourtant quelques étapes à franchir pour disposer d'un champion franco-européen capable d'affronter les plus grands groupes mondiaux. Alors que des réflexions sont en cours pour une restructuration européenne, une consolidation française peut avoir un sens. Il faudra bien, un jour, que les responsables politiques tracent l'avenir de cette filière industrielle française et donnent des orientations à Nexter. Sachez que le groupe RTD, avec tous les atouts que je vous ai cités, sera présent pour accompagner cette démarche, quel que soit le choix du Gouvernement.

Je voudrais enfin profiter de cette tribune pour saluer le professionnalisme des hommes et des femmes de l'armée de terre qui utilisent au quotidien, et parfois dans des missions très exposées, nos matériels. Les collaborateurs de RTD et leur président sont très fiers de pouvoir les aider à accomplir leur mission.

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