Intervention de Estelle Grelier

Réunion du 4 novembre 2014 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEstelle Grelier, rapporteure :

Ce sujet va peut-être vous paraître abstrait, mais il a une grande importance pour les zones littorales.

La présente proposition de règlement, présentée par la Commission européenne le 14 mai dernier, prévoit une interdiction totale de détenir à bord ou d'utiliser tout type de filet dérivant à compter de janvier 2015 – une échéance qui est donc extrêmement rapprochée. Je vous rappelle qu'un règlement, contrairement à une directive, ne nécessite pas de transposition et s'applique de la même manière dans tous les États membres.

De quoi parle-t-on lorsque l'on parle de filets dérivants ? Les filets dérivants sont constitués d'une ou de plusieurs nappes rectangulaires, déployées verticalement dans l'eau. Dans les années 1980, des filets dérivants de plusieurs dizaines de kilomètres de long ont commencé à être utilisés. Ces grands filets, non-sélectifs, ont entraîné un accroissement de la mortalité accidentelle d'espèces protégées, en particulier de cétacés, de tortues de mer et de requins. D'importantes campagnes de sensibilisation ont été menées contre ce que l'on a parfois appelé à cette époque des « murs de la mort » pour les dauphins, qui se prenaient dans ces filets de plusieurs kilomètres de long, ce qui a conduit l'Assemblée générale des Nations Unies à adopter plusieurs résolutions condamnant l'utilisation de ces grands filets dérivants.

Suite à ces différentes résolutions, l'Union européenne a progressivement élaboré une législation encadrant la pêche au filet dérivant. Ainsi, depuis 1992, la détention à bord ou l'utilisation de filets dérivants d'une longueur supérieure à 2,5 km est interdite dans les eaux de l'Union européenne. Depuis 2002, tous les filets dérivants, peu importe leur taille, sont interdits dans les eaux de l'Union européenne lorsqu'ils sont destinés à la capture d'espèce vulnérables, notamment le thon et l'espadon. Enfin, depuis le 1er janvier 2008, il est interdit de détenir à bord ou d'utiliser des filets maillants dérivants en mer Baltique. Il y a donc déjà un encadrement très strict de l'usage de ces filets maillants dérivants par la législation communautaire.

La proposition de la Commission européenne, qui vise à interdire totalement les filets maillants dérivants, poursuit un objectif contestable de mon point de vue puisqu'elle pénaliserait la pêche artisanale et aurait un impact environnemental qu'il est difficile aujourd'hui de mesurer. Je considère donc que la proposition de la Commission européenne n'est pas justifiée.

Selon la Commission européenne, le respect des dispositions sur l'utilisation de ces filets dérivants est difficile à contrôler du fait de la petite taille des flottilles concernées et de leur polyvalence – ainsi, la possibilité de détenir à bord d'autres engins de pêche permettrait à certains pêcheurs de capturer des espèces dont la pêche au moyen de filets dérivants est interdite, puis de déclarer qu'ils les ont capturés à l'aide d'un autre engin.

Certes, des pratiques de pêche illégale au filet dérivant ont en effet été constatées à plusieurs reprises. La France a d'ailleurs été condamnée par la Cour de Justice de l'Union européenne, tout comme l'Italie, pour ne pas avoir suffisamment contrôlé ces pêcheries.

Toutefois, la Commission européenne déduit de l'existence de ces pratiques illégales, que je condamne évidemment, que le plus simple pour y remédier serait tout simplement d'interdire totalement l'utilisation de filets maillants dérivants, ce qui faciliterait l'application de mesures de contrôle. Je considère que ce raisonnement est assez aberrant.

Ce raisonnement est d'autant plus absurde que l'étude d'impact qui accompagne la proposition montre que la France comme l'Italie, après avoir été condamnées par la CJUE, ont adopté des mesures qui ont permis d'améliorer le contrôle de ces pêcheries. En France, l'utilisation de filets maillants dérivants n'est désormais autorisée en Méditerranée que pour les navires inférieurs à dix mètres, qui pêchent en deçà de deux milles nautiques de la côte, et leur maillage doit être inférieur à cinquante millimètres. Selon l'association Oceana, ces pratiques illégales ont en effet substantiellement diminué au cours des dernières années, et concernent désormais essentiellement des ports italiens de Calabre et de Sicile.

Par ailleurs, cette approche prônant une interdiction uniforme d'une technique de pêche dans toutes les eaux de l'Union va à l'encontre du principe de régionalisation consacré par la nouvelle politique commune de la pêche.

Enfin, le manque de fiabilité de l'étude d'impact (qui ne comprend pas d'avis scientifique et dont les données sont contestées) a été souligné par la plupart des parties prenantes.

L'interdiction totale de la pêche au filet dérivant aura un impact socio-économique négatif, puisqu'elle concerne uniquement la pêche artisanale.

En France, environ 400 navires au total pratiquent la pêche au filet dérivant – l'activité de ces petits navires polyvalents étant difficile à évaluer avec précision car variable.

Cette pêche est notamment exercée dans les estuaires de la Loire, de la Gironde et de l'Adour, l'utilisation du filet dérivant étant particulièrement adaptée aux conditions d'exercice de la pêche estuarienne. La pêche au filet dérivant est également pratiquée dans les eaux maritimes de la façade Atlantique – Manche – Mer du Nord. Dans ces régions, ces pêcheries ciblent des espèces telles que le bar, le saumon, le hareng, la sole, la lamproie, le mulet ou la dorade. Par exemple, en Haute Normandie, une douzaine de petits navires, pêchant essentiellement le hareng, seraient concernés par la nouvelle règlementation.

Six navires pratiqueraient ce type de pêche en Méditerranée, pour cibler la sardine, l'anchois, la dorade, le maquereau ou le mulet.

Enfin, cette pêcherie est également pratiquée dans certains DOM : la pêcherie guyanaise comprend 83 navires et cible l'acoupa, tandis que la pêcherie martiniquaise comprend 45 navires et cible les poissons volants.

Non seulement l'impact socio-économique d'une telle interdiction serait négative, mais, de plus, l'impact environnemental d'une interdiction totale est très incertain.

Avec cette technique de pêche, peu de captures accidentelles sont recensées, et la durée de l'action de pêche est en général inférieure à deux heures d'immersion et le plus souvent à 30 minutes, ce qui permet de minimiser le risque de mortalité des espèces protégées qui seraient capturées accidentellement. Une interdiction totale pourrait présenter des effets aussi bien négatifs que positifs selon la manière dont s'opère le report de l'effort de pêche sur d'autres métiers.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les pêcheries artisanales sont les gardiennes d'un savoir-faire précieux, contribuant directement à la protection de l'écosystème : la mobilisation des pêcheurs de l'estuaire de la Gironde utilisant le filet dérivant pour la mise en oeuvre du plan national de restauration de l'esturgeon européen en est un bon exemple.

Au Conseil, cette proposition a été très mal accueillie par la plupart des États membres. Le calendrier prévu par la Commission européenne, avec une application prévue pour janvier 2015, est apparu comme une forme de provocation.

Au Parlement européen, lors d'une première réunion organisée par la Commission pêche le 23 septembre dernier, les députés européens ont souligné que l'évaluation de l'impact socio-économique de cette proposition était insuffisante. Le 16 octobre, deux positions politiques ont émergé, une partie des députés européens souhaitant le rejet complet de la proposition législative, l'autre restant ouverte à l'adoption d'une telle proposition sous réserve de certaines modifications. A mon sens, une telle position de compromis ne semble pas adéquate pour un texte ayant une visée si précise, et risquerait de rendre le système plus complexe qu'il ne l'est actuellement, notamment si un tel compromis devait être obtenu à la faveur de la multiplication de dérogations.

En ce qui concerne la société civile, il est intéressant de souligner que les réactions des ONG sont mitigées. Oceana, par exemple, est défavorable à cette proposition car elle a bien compris que cela toucherait principalement la pêche artisanale. Greenpeace, en revanche, semble considérer tout ce qui touche à une interdiction comme un signal positif. Les organisations de pêcheurs sont quant à elle très défavorables à ce texte.

Je suis favorable à un renforcement des contrôles, mais je tiens également à rappeler que ces pêcheries sont déjà très encadrées et qu'il ne doit donc pas s'agir d'un « acharnement » contre ces pêcheries artisanales qui font déjà face à de nombreuses difficultés.

Enfin, je tiens à rappeler, suite à des discussions que j'ai eu avec certains collègues de notre commission, qu'il s'agit ici d'un sujet qui n'a absolument rien à voir avec la pêche en eaux profondes.

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