Je voudrais excuser Bernard Deflesselles qui n'a pas pu être présent mais partage les termes de cette communication d'étape car le travail ne fait que commencer.
Après l'audition par notre commission du président directeur général de l'Agence spatiale européenne (ASE), Jean-Claude Dordain, en juin dernier, il nous a semblé essentiel de faire un point sur un sujet important et d'une forte actualité.
La nécessité de développer l'Europe spatiale est une évidence. Les pays européens n'ont plus, depuis de longues années, les moyens d'agir seul. Le coût des programmes spatiaux impose une dimension continentale, voir mondiale dans le domaine de la recherche, mais l'autonomie de décision de l'Europe implique la maitrise d'une technologie présente aujourd'hui dans les usages les plus quotidiens : télécommunications, télévision, localisation….
Aussi, l'article 4 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne fait-il de l'espace une compétence partagée entre l'Union européenne et les États — ce qui est une nouveauté introduite par le Traité de Lisbonne —. Son article 189 précise : « afin de favoriser le progrès scientifique et technique, la compétitivité industrielle et la mise en oeuvre de ses politiques, l'Union élabore une politique spatiale européenne. À cette fin, elle peut promouvoir des initiatives communes, soutenir la recherche et le développement technologique et coordonner les efforts nécessaires pour l'exploration et l'utilisation de l'Espace ».
Aujourd'hui, des décisions essentielles doivent intervenir car le panorama mondial de l'industrie aéronautique est en train de se modifier considérablement : les États-Unis viennent de relancer la concurrence dans le domaine des lanceurs avec « space-x », compagnie privée qui fournit des lanceurs à la NASA ; la Chine dispose d'un lanceur habité et annonce de grandes ambitions, tout comme l'Inde.
Or, le bilan de la politique spatiale européenne est contrasté, il est excellent dans le domaine des lanceurs avec la lignée des fusées Ariane, il est moins bon avec le projet de mise en place d'un GPS européen – le projet Galileo – qui sera mis en oeuvre l'an prochain, mais avec un retard de dix ans, qui a permis l'émergence de concurrents russes, chinois et indiens.
Aussi, si nous voulons préserver la première place occupée par l'Union européenne dans le domaine des lanceurs, est-il est urgent de lancer la construction d'Ariane 6. Au-delà de l'élaboration de nouveaux programmes, l'Europe spatiale devra profondément réformer ses procédures et ses structures pour garder la place éminente qu'elle occupe aujourd'hui et qu'elle doit en grande partie aux efforts de la France qui, avec 24 000 emplois directs, très qualifiés, accueille la moitié des emplois européens du secteur.
Le retour des États-Unis dans le domaine des lanceurs, à travers le bas prix de leurs lanceurs « spaceX », déstabilise le marché et impose la mise en chantier rapide d'Ariane 6, qui est un lanceur de taille intermédiaire plus modulable et adapté à la demande.
Des débats majeurs doivent également être engagés sur le modèle économique de l'industrie spatiale, qui connaît actuellement une évolution similaire à celle de l'informatique, avec un transfert de la valeur ajoutée des matériels vers les services.
Au niveau des institutions la clarification des responsabilités entre la Commission européenne et l'Agence spatiale européenne permettra également d'obtenir une meilleure efficacité dans la gestion des futurs programmes, car comme l'a indiqué la Cour des comptes européenne, à propos du programme Galileo, la Commission européenne n'est pas outillée pour gérer en direct des programmes industriels.
Ce secteur de haute technologie, qui permet d'acquérir des compétences qui se diffusent dans l'ensemble du tissu industriel de demain, illustre les possibilités de croissance que l'intégration européenne offre à la France. Il mériterait sans aucun doute de figurer au sein du programme de relance de 300 milliards d'euros actuellement proposé par le président Jean-Paul Juncker.
La politique spatiale repose sur une organisation spécifique composée de l'Union européenne, de l'Agence spatiale européenne, qui regroupe 20 membres (dont certain n'appartiennent pas à l'Union européenne), et des États membres.
Les programmes souscrits par les États sont réalisés dans l'industrie européenne au prorata de leurs souscriptions (c'est le principe du retour géographique). Chaque État membre est représenté au Conseil de l'Agence et dispose d'une voix, quelle que soit sa taille ou l'importance de sa contribution. La France est le premier contributeur de l'ASE, avant l'Allemagne et ces deux pays apportent la moitié du budget de l'ASE. Suivent le Royaume-Uni, puis l'Italie et la Belgique. Les programmes de l'ASE sont décidés tous les deux ans lors d'une réunion au niveau ministériel du Conseil de l'ASE, la dernière s'est tenue en 2012 à Naples et la prochaine est prévue le 2 décembre 2014 à Luxembourg.
C'est pourquoi nous avons souhaité pouvoir au préalable vous présenter cette communication.
La question de l'avenir de l'ASE dans sa relation avec les instances de l'Union Européenne prend une importance nouvelle. Il est en effet essentiel de mettre en place une gouvernance permettant à la Commission Européenne de s'appuyer sur l'ASE pour la gestion de ses programmes spatiaux, présents (Galileo et Copernicus) et surtout futurs.
Les États membres de l'ASE sont unanimes dans leur double volonté de préserver le caractère spécifique de l'ASE et d'utiliser au mieux ses compétences pour tous les programmes spatiaux de l'Europe. Une résolution de caractère politique sur ce sujet devrait être adoptée sans trop de difficultés lors de la réunion de Luxembourg du 2 décembre 2014 et nous ne pouvons qu'en approuver le principe. Le lancement d'Ariane 6 me paraît indispensable.
La concurrence américaine de « SpaceX » progresse à une allure très rapide. En moins de cent jours, « SpaceX » vient de réussir trois lancements d'affilée du nouveau lanceur Falcon 9, ce qui constitue un record absolu. Le Falcon 9 est un concurrent redoutable d'Ariane 5, comme en attestent d'ailleurs les récentes prises de commande de « SpaceX » au détriment d'Arianespace. En outre, un lanceur nettement plus puissant – Falcon 9 Heavy – est annoncé pour 2015, ce qui pourrait encore accroître la pression sur Ariane 5 qui, quels que soient les efforts de réduction des coûts entrepris, souffre d'une conception et d'une organisation industrielle intrinsèquement complexes, donc très coûteuses.
Après des débuts difficiles, trois échecs consécutifs, « Space X » connaît un succès significatif avec la version 1.1 de son lanceur Falcon 9, assurant trois missions de desserte de la station spatiale internationale, et plusieurs lancements commerciaux. Le lanceur Falcon 9 est capable d'emmener des satellites de télécommunication de 3,5 tonnes vers l'orbite géostationnaire. Ariane 5 amène traditionnellement un couple de satellites composé d'un petit – gamme 3,5 tonnes – et d'un gros – gamme 6 tonnes.
En effet, « Space X » a déjà prouvé qu'il pouvait capter un certain nombre des lancements : quatre contrats de lancement signés en 2014, sur un marché ténu. Ensuite, indirectement, parce que sa politique de prix agressive peut influencer les stratégies des opérateurs, qui auront tendance à commander plus de satellites compatibles avec la fusée Falcon – des petits satellites – pour contraindre les autres opérateurs de lancement, dont Arianespace, à baisser leur prix de vente.
Ce double effet – captation d'une partie des lancements commerciaux, déjà peu nombreux, influence sur les masses et prix de vente des satellites – peut fragiliser le modèle économique d'Arianespace, qui est un lanceur lourd et cher.
Face à la montée en puissance de la concurrence américaine, l'Europe a réagi dès 2012 à Naples, en poursuivant la mise en oeuvre d'une nouvelle version d'Ariane 5 et en mettant en chantier le développement d'un nouveau lanceur, Ariane 6, destiné à mieux répondre aux défis à venir, tant par sa conception que par l'organisation industrielle mise en place. Les grandes lignes de la proposition du directeur général de l'ASE, que nous avons entendu, sont désormais connues : achever d'ici 2018 le développement de la version améliorée d'Ariane 5 « Ariane 5 ME » et poursuivre le développement d'Ariane 6 pour un premier lancement dès 2021.
Cela implique le développement rapide d'Ariane 6, dont le premier et le second étage utilisent les mêmes moteurs — ce qui conduira à la fabrication de quatre moteurs identiques pour chaque exemplaire d'Ariane 6 — et dont l'organisation industrielle devrait être grandement simplifiée par rapport à celle qui caractérise la production d'Ariane 5.
Pour ce nouveau projet d'un montant de l'ordre de 4 milliards d'euros, il est nécessaire d'obtenir la participation de l'Allemagne et de l'Italie.
Le schéma idéal serait une répartition où la France assurerait 50 % du financement, l'Allemagne 25 % et l'Italie 15 %. À ce stade, l'Allemagne semble réticente à engager un tel effort financier et doit encore être convaincue, et nous allons avec Bernard Deflesselles aller à Berlin, en particulier grâce à l'attribution de tâches industrielles « nobles ». L'Italie de son côté est favorable à Ariane 6, mais se trouve dans une situation budgétaire extrêmement contrainte qui nécessitera des arbitrages au plus haut niveau.
Lancé en 1999 par l'Union européenne, pour doter l'Europe d'un système de positionnement et de datation autonome, de couverture mondiale, précis et robuste, compatible et interopérable avec les systèmes existants, le GPS américain et GLONASS russe, Galileo devrait fournir ses premiers services à partir de 2015. Aujourd'hui quatre satellites sont en orbite, deux seront lancés cet été et à la mi 2015.
Le mauvais positionnement des deux satellites lancés par Soyouz au mois de septembre ne devrait pas entraîner de perturbation au-delà des deux prochaines années.
Lors de la réunion de Naples en 2012, le principe de la poursuite de l'exploitation de la Station Spatiale Internationale (ISS) jusqu'en 2020 a été acté par les ministres européens. Un peu plus d'un milliard d'euros est encore nécessaire pour financer la part européenne de l'ISS jusqu'en 2020.
La règle du retour géographique à l'ASE devrait logiquement conduire l'Allemagne à augmenter considérablement ses financements, ce qu'elle n'est pas prête à faire. L'Italie de son côté a aligné sa contribution sur son retour industriel, ce qui a pour conséquence une diminution sensible de sa contribution et un possible sous-financement du programme. La France devrait logiquement faire de même, mais d'une part, ses perspectives de sous-retour industriel sont moins critiques que celles de l'Italie et d'autre part, elle pourrait utiliser cette question dans la négociation globale du consensus recherché avec l'Allemagne sur les lanceurs.
L'Union européenne a acquis une position forte dans le domaine spatial ; il est essentiel qu'elle se donne les moyens de financer Ariane 6, faute de quoi elle risquerait de redescendre en seconde division.
Nous allons avec Bernard Deflesselles continuer à travailler sur ce point.