Intervention de Fabien Choné

Réunion du 29 octobre 2014 à 17h00
Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Fabien Choné, président de l'Association nationale des détaillants en énergie, ANODE et directeur général de Direct énergie :

L'ANODE représente cinq fournisseurs alternatifs : Direct Énergie, Lampiris et Planète OUI pour l'électricité,ENI et Gaz de Paris pour le gaz. Je suis accompagné de Julien Tchernia, directeur du développement chez Lampiris, et de Nicolas Milko, président-directeur général de Planète Oui. À eux seuls, ces cinq fournisseurs représentent plus de 95 % des consommateurs résidentiels français ayant quitté les deux opérateurs historiques.

J'aimerais, tout d'abord, tordre le cou à certaines idées reçues à propos du marché de l'énergie, en me basant sur des graphiques issus de publications de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) qui figurent dans le document que nous vous avons remis.

La première idée reçue est que les tarifs de l'électricité ont augmenté de façon vertigineuse. Si les tarifs de l'électricité ont augmenté ces dernières années pour les consommateurs résidentiels, ils sont néanmoins inférieurs de 25 % à leur niveau de 1995. De surcroît, les hausses récentes sont dues essentiellement à la contribution au service public de l'électricité (CSPE) qui a augmenté de 270 % en quatre ans, entraînant une hausse de 15 % de la facture des consommateurs, soit plus de la moitié de la hausse intervenue depuis 2010. Or la CRE table sur une augmentation de 60 % de la CSPE d'ici à quatre ans, ce qui équivaudra à une hausse de 10 % de la facture des consommateurs. En réalité, ce sont les envolées vertigineuses de la CSPE qui sont préoccupantes.

Deuxième idée reçue : la concurrence fait monter les prix et ses offres sont ou seront plus chères. Sur les 30 % d'évolution tarifaire entre 2012 et 2017 envisagés par la CRE, 10 % sont dus à l'inflation, 10 % à la CSPE, 18,4 % aux tarifs hors CSPE sur cinq ans, soit 1,5 % par an d'augmentation hors inflation. Les évolutions tarifaires à venir ne sont donc pas vertigineuses, et la concurrence n'en est pas responsable. En effet, les hausses incluent les investissements dans le parc de production nucléaire, le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) de 9 euros par mégawatheure (MWh), lié notamment au développement des énergies renouvelables, et les coûts commerciaux à hauteur de 0,90 euroMWh, sur lequel 0,30 euroMWh seulement sontliés à des coûts de « désoptimisation ». Cela concerne notamment les modifications du système d'information de l'opérateur historique en vue de répondre aux impératifs de l'ouverture du marché, à savoir la séparation des activités de réseau et des activités de commercialisation. Autrement dit, la libéralisation explique pour 0,3 % seulement la hausse de la facture entre 2012 et 2017. En outre, il est faux de dire que les tarifs réglementés de vente (TRV) sont plus compétitifs que les offres libres, car celles-ci sont 5 % à 10 % moins chères. Malheureusement, moins de 5 % de la population a quitté l'opérateur historique d'électricité et à peine plus de 10 % l'opérateur historique du gaz, alors que le passage à un fournisseur alternatif ne présente aucun risque – il n'y a pas de changement de compteur et il est possible de revenir au tarif réglementé à tout moment. D'ailleurs, le taux de retour chez les opérateurs historiques est très faible, les consommateurs se montrant très satisfaits de bénéficier du même produit dans des conditions de services clients aussi bonnes, voire meilleures, et à des prix nettement inférieurs.

La troisième idée reçue est que le gel des tarifs est bénéfique pour le pouvoir d'achat des consommateurs. D'abord, le maintien de tarifs réglementés à un niveau artificiellement bas, afin de protéger le pouvoir d'achat de tous les Français, aboutit forcément à une protection moindre de ceux qui en ont vraiment besoin, c'est-à-dire les personnes en situation de précarité énergétique. Ensuite, non seulement cette politique empêche les opérateurs d'investir, mais elle n'incite pas les consommateurs à se lancer dans des travaux de rénovation énergétique. Enfin, l'absence de couverture des coûts de l'opérateur historique asphyxie la concurrence qui est le seul vrai vecteur de modération tarifaire. C'est pourquoi l'ANODE a systématiquement introduit des recours devant le Conseil d'État pour demander l'application de la loi qui prévoit la couverture des coûts. D'abord, cette couverture des coûts est vitale pour nous, mais surtout, elle répond à l'intérêt des consommateurs. Dans un contexte de hausse tendancielle des coûts, empêcher une hausse de 5 % ou 10 % des tarifs annihile l'attractivité d'une offre inférieure de 5 % ou 10 % de n'importe quel opérateur alternatif qui ne pourra alors plus assurer son développement. Aussi la politisation des tarifs a-t-elle vocation à faire disparaître la concurrence. À qui va-t-on demander de couvrir les coûts ? Aux consommateurs ? À l'actionnaire de l'opérateur historique et donc au contribuable ? Selon nous, une tarification qui couvre les coûts, ajoutée à la pression concurrentielle exercée par les opérateurs alternatifs, entraînera inévitablement une évolution contrainte des coûts, comme cela est observé dans tous les secteurs économiques, et aboutira à terme à des niveaux tarifaires inférieurs à ceux fixés artificiellement.

Quatrième et dernière idée reçue : la fixation des tarifs réglementés est très compliquée. La détermination des tarifs réglementés pour couvrir les coûts est relativement simple, le vrai problème est d'assumer les augmentations tarifaires, malheureusement nécessaires, mais très impopulaires dans le contexte actuel. Soumis au jugement de leurs électeurs, les responsables politiques assument difficilement ces décisions, qui en réalité ne sont pas des choix politiques, mais la validation d'une situation économique. L'exercice est d'autant plus schizophrénique pour eux que l'État est actionnaire majoritaire d'EDF.

Je vais, maintenant, vous parler de la construction des tarifs et faire un bref rappel du contexte dans lequel s'inscrit la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME).

En 2009, la France s'est engagée auprès de la Commission européenne à garantir d'ici à fin 2015 la possibilité pour les opérateurs alternatifs de contester les tarifs réglementés – c'est ce qu'on appelle la contestabilité – notamment via l'ARENH. Pour obéir aux injonctions de Bruxelles concernant l'instauration de la concurrence, la loi NOME de 2010 dispose que la construction des tarifs réglementés de vente (TRV) est basée sur l'empilement des coûts vus du marché pour permettre cette contestabilité. Or en 2010, le niveau des prix de marché était tel que la contestabilité a été jugée suffisante pour assurer la couverture des coûts d'EDF. Cette hypothèse, vous le savez, n'est plus valide aujourd'hui du fait de la baisse des prix du marché.

La réforme actuellement souhaitée par le Gouvernement concernant la construction des tarifs sous-tend une fausse bonne idée, selon laquelle la construction des tarifs réglementés est possible uniquement via la contestabilité, c'est-à-dire sur la base des prix de marché de gros, sans tenir compte des coûts de production d'EDF. Certes, compte tenu des prix de marché actuel, cela aboutira à des tarifs réglementés plus bas, mais les coûts d'EDF ne seront plus couverts, sans que personne ne sache qui - du consommateur ou du contribuable - les couvrira à terme. Par ailleurs, cette méthode annihile toute pression concurrentielle réelle sur les coûts d'EDF et n'incitera pas l'opérateur historique à baisser ses coûts. En outre, elle est un très mauvais signal en matière d'incitation à l'entrée sur le marché de la production hors nucléaire, car si les tarifs réglementés ne couvrent plus les coûts de production hors nucléaire et que les prix de marché de gros sont insuffisants pour investir dans la production, aucun investissement ne sera envisagé dans cette production.

Pour EDF, la seule manière de « rattraper » l'absence de couverture des coûts de production hors nucléaire est d'envisager une surévaluation du prix de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique. Un projet de décret prévoit une évolution de la méthode de calcul du prix de l'ARENH. La CRE a évoqué ici même un prix de 44 euros, voire de 46 euros par mégawatheure (MWh) ; la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) avait envisagé 46 eurosMWh. Or dans son rapport de janvier 2014, la CRE a évalué le coût comptable de production nucléaire à 34 eurosMWh. Nous en concluons qu'il existe un risque de subventions croisées entre production hors nucléaire et production nucléaire, ce qui reviendra encore une fois à évincer les concurrents d'EDF.

Pour toutes ces raisons, la réforme de la construction des tarifs actuellement envisagée ne nous paraît pas souhaitable. La construction des tarifs réglementés par contestabilité, rendue nécessaire au regard du droit communautaire, n'est pas selon nous une alternative à la couverture des coûts. Elle n'est qu'une condition cumulative : les tarifs réglementés doivent, à la fois, couvrir les coûts de l'opérateur historique et être contestables du point de vue des opérateurs alternatifs.

J'en viens à nos recommandations permettant de concilier ces deux contraintes.

D'abord, un choix politique s'impose : il faut distinguer les Français qui ont besoin d'être protégés des autres. La solidarité nationale doit jouer grâce à une évolution des tarifs sociaux, si besoin en intégrant le chèque énergie.

Ensuite, il est primordial de couvrir les coûts de l'opérateur historique. Aucune industrie ne peut survivre sans couvrir ses coûts sur le long terme. La question doit être posée d'un point de vue économique et pas seulement juridique.

Enfin, il convient de promouvoir une réelle concurrence pour dynamiser le marché. Plus de sept ans après l'ouverture du marché, il est aberrant que moins de 5 % des consommateurs aient quitté l'opérateur historique, alors que les tarifs des alternatifs sont plus avantageux et sans risque. La concurrence est favorable en termes d'informations aux consommateurs, grâce aux comparateurs d'offres; elle est la seule source de pression concurrentielle sur les coûts d'EDF ; et elle favorise les innovations, notamment en matière de maîtrise de la demande d'énergie, d'effacement, d'offres vertes, d'offres intelligentes et diversifiées qui seront déployées grâce en particulier aux compteurs Linky. Ainsi, nous proposons aux consommateurs des prix plus bas, mais aussi de consommer moins et mieux pour réduire leur consommation.

Nous avons des propositions sur la méthode capable d'articuler les deux contraintes que j'ai soulignées.

Selon nous, la fixation structurelle des tarifs réglementés grâce au principe de contestabilité doit s'accompagner de la vérification, par tests réguliers, de la couverture des coûts de l'opérateur historique. S'ils ne sont pas couverts, il faudra fixer un coefficient de calage. S'ils le sont, deux possibilités se présentent : soit ils sont couverts avec une rémunération dite « normale » ou « raisonnable », et il n'y aura pas de problème ; soit la construction par contestabilité aboutit à une sur rémunération de l'opérateur historique – une rémunération excessive, une rente –, ce qui poserait la question de savoir si les règles de concurrence ne créent pas un désavantage pour les consommateurs. Si cette deuxième situation venait à se présenter, il serait nécessaire que cette rente fasse l'objet d'une rétrocession au consommateur via un mécanisme transparent et ne créant pas de distorsion de concurrence. Tous les dispositifs communs à l'ensemble des offres du fournisseur historique et des opérateurs alternatifs – CSPE, ARENH, TURPE – permettraient de rétribuer cette rente.

En pratique, pour éviter que chaque évolution tarifaire ne crée un drame politico-médiatique, nous pensons urgent que la CRE reprenne définitivement la main sur l'évolution des tarifs réglementés, comme la loi NOME le prévoit à l'horizon 2016, et de manière totalement indépendante, c'est-à-dire sans politisation des tarifs. Faute de quoi, les recours et les factures rétroactives perdureront, alors qu'ils donnent une très mauvaise image des opérateurs alternatifs. Sans compter que les factures rétroactives, illisibles pour les consommateurs, coûtent très cher en termes de systèmes d'information et de réclamations ; elles créent par ailleurs des impayés et favorisent l'attrition. La CRE devrait avoir la possibilité d'auditer toute la comptabilité de l'opérateur historique, notamment en ce qui concerne la fourniture aux tarifs réglementés.

Enfin, nous estimons nécessaire de poser la question de la CSPE, qui représentera 100 milliards d'euros entre 2014 et 2025, contre 30 milliards entre 2002 et 2013. Il s'agit de savoir si elle doit porter uniquement sur l'énergie électrique ou si elle a vocation à porter sur toutes les énergies, afin d'envoyer un signal positif à la consommation électrique renouvelable, au détriment de la consommation d'énergie fossile.

Je termine par votre question sur nos relations avec ERDF, Monsieur le président. Nous souffrons de la grande confusion entre ERDF et sa maison mère – bien peu de consommateurs savent faire la différence –, entretenue à la fois par les logos et les dénominations. En outre, se pose la question de la gouvernance de la distribution, au regard des choix d'investissement et de la répartition entre investissements et dividendes. En effet, si l'augmentation du TURPE, comme on l'entend dire régulièrement, est à même de favoriser les investissements sur le réseau, auxquels nous sommes bien évidemment favorables, elle peut néanmoins faire l'objet d'un arbitrage entre une augmentation des investissements et une augmentation des dividendes. Or les dividendes versés par ERDF à sa maison mère l'année dernière, de l'ordre de 537 millions d'euros, s'avèrent colossaux au regard des capitaux investis par EDF dans sa filiale, aux alentours de 4 milliards seulement. Alors que le TURPE est payé par tous les consommateurs, y compris nos clients, les dividendes vont dans la poche de notre principal concurrent. Par conséquent, nous sommes opposés à une augmentation du TURPE sans modification de la gouvernance de la distribution car, sinon, les dividendes de notre concurrent numéro un continueront d'augmenter et aucun investissement supplémentaire ne sera consenti sur le réseau.

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