Intervention de Jean-Paul Chanteguet

Réunion du 31 octobre 2014 à 9h00
Commission élargie

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Chanteguet, président :

La commission du développement durable a décidé, cette année encore, de se saisir pour avis des crédits qui concourent à la connaissance, à la gestion de la protection des milieux et des ressources et, d'une manière plus générale, au développement durable. À cet effet, elle a désigné deux rapporteurs pour avis : Philippe Plisson pour la recherche dans les domaines du développement durable, et Charles-Ange Ginesy – dont je vous demande de bien vouloir excuser l'absence – pour la recherche dans les domaines de la gestion des milieux et des ressources.

M. Alain Claeys , rapporteur spécial de la commission des finances, pour la recherche. La part « recherche » des crédits de la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur (MIRES) est marquée du sceau de la stabilité : stabilité des crédits, reconduits quasiment à l'identique, à 13,89 milliards d'euros ; stabilité de l'emploi avec le renouvellement des départs à la retraite. Cette stabilité recouvre une situation mouvante. En effet, le caractère positif du glissement vieillesse technicité (GVT) et la hausse des cotisations au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », d'une part, et l'application de taux de mise en réserve plus élevés pour les crédits de fonctionnement que pour les crédits de personnel, d'autre part, amènent, pour une dotation constante, la part des crédits de personnel à progresser régulièrement aux dépens des dotations récurrentes permettant aux laboratoires de mener des projets de recherche sur crédits propres. C'est ainsi que l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) n'effectue plus que le quart de sa recherche grâce à des crédits récurrents. Les organismes sont donc contraints de financer sur projet une part de plus en plus importante de leur recherche.

En 2015, les sources de financement sont au nombre de trois : l'ANR, pour 580 millions d'euros, en légère hausse ; les programmes d'investissements d'avenir (PIA), pour 1,5 milliard d'euros, dont 520 millions d'euros environ d'intérêts de dotations non consommables, et, enfin l'Europe, pour plus de 700 millions d'euros. Ces trois sources de financement représentent un peu plus de la moitié des financements de la recherche de l'INSERM.

Lors de leur élaboration, les PIA n'intègrent pas forcément les priorités ciblées par le ministère de la recherche. Je pense à l'investissement stratégique que va représenter le renouvellement de la flotte océanographique française. Pour éviter ce type de situation, les PIA ne devraient-ils pas intégrer dès leur élaboration ces priorités, et le ministère y être mieux associé ? Afin d'assurer une meilleure lisibilité stratégique des financements de la recherche, il faut trouver une meilleure articulation entre les investissements d'avenir, l'ANR et les financements européens.

Dans la recherche, les coûts indirects sont extrêmement importants. On sait qu'héberger un laboratoire lauréat d'un projet a un coût pour la structure qui l'héberge : en frais de gestion, en frais d'accueil des contractuels recrutés au titre du projet. Le nouveau programme-cadre européen de recherche et développement technologique, dénommé Horizon 2020, a fixé les coûts indirects d'un projet à 25 % de celui-ci, ce qui semble adapté pour les dirigeants des grands organismes de recherche que j'ai entendus. Or l'ANR les a fixés à 15 % – 4 % de frais de gestion et 11 % de préciput, c'est-à-dire de couverture de charges pour l'établissement hébergeur –, et seulement 4 % de frais de gestion sont alloués au titre des investissements d'avenir, les autres coûts devant être justifiés. Ces taux ne couvrent pas la totalité des coûts indirects des projets, et les organismes d'accueil sont obligés d'y affecter des crédits récurrents qui devraient être consacrés à leurs recherches.

Le problème, c'est qu'en l'absence de financement suffisant des coûts indirects, certains laboratoires pourraient refuser des financements sur projet. Sans aller jusqu'à suivre les modèles américains ou canadiens, où les montants versés au titre des coûts indirects peuvent représenter plus de 50 % du montant du projet, ne faudrait-il pas augmenter progressivement les taux jusqu'à atteindre les taux des financements européens ?

Alors que la France a participé à hauteur de 16,6 % au financement du septième programme-cadre de recherche et développement (PCRDT), elle n'en a capté que 11,3 % des crédits. Une analyse détaillée montre que le taux de réussite français, à 23,6 %, est l'un des meilleurs, celui du CEA atteignant même 31 %. Mais comment prétendre capter 16 % du financement avec 8 % de la demande totale ? À cause de la multiplication des sources de financement, des laboratoires se sont détournés des financements européens. À l'évidence, il faut simplifier les procédures pour constituer les dossiers.

Enfin, concernant les contrats de projets État-région (CPER), je suis tout à fait favorable, en tant que rapporteur spécial, au financement d'excellence, étant entendu qu'il doit être équilibré par des financements d'aménagement du territoire – c'est le rôle des CPER. Or les crédits CPER sont en chute libre.

M. François André, rapporteur spécial de la commission des finances, pour l'enseignement supérieur et la vie étudiante. Le rapport spécial que j'ai l'honneur de présenter porte sur deux programmes emblématiques de la mission : le programme 150 relatif aux formations supérieures et à la recherche universitaire, et le programme 231 relatif à la vie étudiante. On peut retenir deux grandes idées concernant ces budgets : la sanctuarisation des crédits alloués à l'enseignement supérieur et la poursuite de l'augmentation des aides aux étudiants.

Pour ce qui est du programme 150, on ne peut que se féliciter de la sanctuarisation des crédits alloués à l'enseignement supérieur. Les moyens votés pour 2014 seront reconduits pour 2015, soit 12,8 milliards d'euros de crédits de paiement, dont plus de 12 milliards pour les 191 opérateurs que sont les établissements d'enseignement supérieur. Ce budget confirme donc l'effort engagé depuis 2012 pour rétablir les moyens de l'enseignement supérieur. Il prévoit, comme les deux années précédentes, 1 000 créations de postes, conformément à l'engagement du Président de la République de créer 5 000 emplois en cinq ans dans l'enseignement supérieur.

La masse salariale des opérateurs du programme doit augmenter d'environ 200 millions d'euros, selon les estimations de la conférence des présidents d'université (CPU). Environ la moitié de l'augmentation de la masse salariale sera prise en charge directement par l'État, grâce à des redéploiements de crédits internes au programme. Ces derniers sont notamment permis par la fin du chantier de reconstruction du campus de Jussieu, qui absorbait des sommes importantes.

Je constate que l'État accepte, pour la première fois, de financer une partie du solde positif du GVT des universités. Cette question faisait l'objet de discussions récurrentes entre la CPU et le ministère depuis le passage à l'autonomie. Je considère qu'un geste supplémentaire pourrait être fait en direction des établissements d'enseignement supérieur pour les aider à faire face à l'augmentation spontanée de leur masse salariale. Je proposerai un amendement pour réduire leur contribution au fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP). Ce geste serait d'autant plus justifié que les universités ont accompli ces dernières années d'importants efforts immobiliers pour accueillir les étudiants handicapés. Quel sera l'avis du Gouvernement sur cet amendement ?

La seconde grande idée à retenir de ce budget est la nouvelle augmentation des aides allouées aux étudiants. Ainsi, 2,5 milliards d'euros sont prévus pour le programme 231, soit une hausse de 15 % depuis 2012. Il s'agit d'un effort sans précédent dans un contexte budgétaire fortement contraint par l'impératif de redressement des comptes publics, et qui traduit concrètement l'engagement pris par le Président de la République de placer la jeunesse au coeur des priorités de son quinquennat.

La réforme des bourses sur critères sociaux entre cette année dans sa deuxième phase. Ce soutien aux étudiants les plus précaires est une réelle nécessité alors même que, selon l'observatoire de la vie étudiante, les revenus des mères de 20 % des étudiants sont inférieurs à 750 euros par mois. La première phase de la réforme s'est traduite par la création, à la rentrée 2013, de deux nouveaux échelons de bourse, l'un en bas de barème à destination des étudiants des classes moyennes, et l'autre en haut du barème pour les étudiants les moins favorisés. La seconde phase, qui prend effet à la rentrée 2014, étend le bénéfice du nouvel échelon de bourse 0 bis à 77 500 nouveaux étudiants des classes moyennes aux revenus modestes.

Un mot sur la fin progressive des bourses au mérite, suspendue par le Conseil d'État. Sur le plan budgétaire, les bourses au mérite ne représentent qu'une quarantaine de millions d'euros sur un peu plus de 2 milliards d'euros d'aides directes aux étudiants. Il ne s'agit donc pas d'un enjeu budgétaire majeur, mais d'une question essentiellement symbolique. Durant mes travaux de rapporteur spécial, j'ai pu constater que ce dispositif fonctionnait mal en raison de l'inflation des mentions « Très bien » au baccalauréat et des pratiques inégalitaires des universités en matière de notation. La faible enveloppe allouée à l'aide au mérite rend dès lors difficile le processus de sélection des étudiants méritants. Ce système est, du reste, contesté par les étudiants eux-mêmes. La disparition programmée de l'aide au mérite s'inscrit dans le cadre de la refonte globale des bourses sur critères sociaux ; elle ne traduit pas un désengagement de l'État dans l'aide aux étudiants et ne devrait pas détériorer la condition des étudiants méritants les moins favorisés.-

Je terminerai en soulignant l'effort important accompli pour le logement étudiant avec la mise en oeuvre d'un programme de construction de 40 000 logements en cinq ans voulu par le Président de la République. Où en est le déroulement de ce plan ambitieux ?

Mme Sophie Dion, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelle, pour la recherche. Le budget de la recherche est, pour 2015, en baisse de 61 millions d'euros en crédits de paiement. Si cette diminution ne représente que 0,4 % des moyens attribués, il s'agit en réalité d'un effort important demandé à la recherche et à ses organismes, une fragilisation supplémentaire après les précédentes réductions budgétaires décidées par le Gouvernement. Il s'agit pourtant de crédits fondamentaux pour notre développement puisqu'ils représentent un investissement qui conditionne l'avenir. Dès lors, augmenter le budget de la recherche ne revient pas à aggraver les déficits publics mais, au contraire, à engranger des bénéfices. Ce sont des investissements d'avenir tant en termes de croissance que de perspectives pour l'ensemble des acteurs : les jeunes, les étudiants, les enseignants, les chercheurs et les entreprises.

Dans un monde en mutation, stagner équivaut à reculer. Au-delà d'une baisse globale apparemment légère, la plupart des crédits diminuent significativement. Si la recherche universitaire est, en apparence, relativement préservée dans ses grandes lignes, le programme 172, « Recherche scientifique et technologique pluridisciplinaire », programme phare de la mission puisqu'il regroupe le financement de la plupart des grands organismes de recherche, connaît une baisse nette de ses dotations. Sans maintien d'une réorientation des financements des laboratoires par le renforcement des crédits récurrents ni reprise d'un développement de la recherche sur contrat, la dotation de 2015 pour l'ANR est inférieure à celle de 2006. Dans ce contexte, quel doit être, selon vous, le rôle de l'ANR dans notre système de recherche ?

Ces faibles dotations entraînent une baisse continue du taux de réussite aux appels à projets de l'ANR. Malgré la simplification de la procédure, le temps passé par les chercheurs à instruire les dossiers complexes de financement sur contrat est de moins en moins en rapport avec les résultats potentiels. Les chercheurs croulent sous le formalisme des dossiers administratifs au détriment de leur coeur de métier. De plus, les procédures pour candidater aux appels à projets des programmes-cadres européens, dont notre pays retire d'ailleurs des ressources très inférieures à sa participation financière, sont lourdes et complexes. Comment comptez-vous renforcer la place de la recherche française dans les appels à projets européens du programme Horizon 2020 ?

Plus inquiétant, la plupart des opérateurs du programme 190, « Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables », voient leurs moyens diminuer, ce qui semble pour le moins contradictoire avec les engagements très récemment pris par le Gouvernement en matière de transition énergétique et de croissance verte. On note d'ailleurs une baisse parallèle des crédits du programme 192, « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle », dont le premier objectif est de contribuer à améliorer la compétitivité des entreprises par le développement des pôles de compétitivité.

Cette baisse est préoccupante à plus d'un titre. En particulier, elle va se traduire par un recentrage des pôles de compétitivité autour des plus stratégiques d'entre eux, au risque de fragiliser les autres. Dès lors, quelles seront les perspectives de financement, par exemple, du pôle de compétitivité « Mont-Blanc Industries », qui accompagne les entreprises de la Haute-Savoie spécialisées dans l'activité particulièrement dynamique, innovante et mondialement connue du décolletage de la vallée de l'Arve, qui concentre à lui seul plus des deux tiers des emplois français du secteur ?

Dans de telles conditions de modération des moyens récurrents des laboratoires comme des appels à projets, le risque est grand de décourager les chercheurs. Dans un contexte mondialisé, cela peut même les conduire à s'expatrier pour aller chercher ailleurs des rémunérations plus attractives. Quelles mesures envisagez-vous pour revaloriser le statut des chercheurs ?

Le cadre budgétaire ainsi dessiné apparaît peu propice à conforter une politique audacieuse en matière d'emplois scientifiques, alors que nous sommes, dans ce domaine, à un tournant. Nous avons le choix, je le répète, entre stagner et régresser ou relancer les recrutements dans le secteur public et renforcer l'incitation au recrutement dans le secteur privé. Qu'en est-il de la prise en compte du doctorat dans les conventions collectives du secteur privé ainsi que dans les statuts de la fonction publique, comme le prévoit la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche ?

Mme Sandrine Doucet, rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles, pour l'enseignement supérieur et la vie étudiante. Je me réjouis que ce projet de budget traduise la priorité donnée par le Gouvernement à la jeunesse et au regroupement des forces vives de notre système d'enseignement supérieur. Les 1 000 postes qui seront créés l'année prochaine viendront conforter les dispositifs centrés sur la réussite étudiante et accompagner la vingtaine de projets de fusion d'universités et de communautés d'universités et établissements. Mon avis sur les crédits proposés pour l'enseignement supérieur ne pourra donc qu'être favorable.

Le thème d'investigation que j'ai choisi est directement lié à l'une des mesures phares de la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche : l'institution de quotas d'accès en faveur des bacheliers professionnels et technologiques. Au-delà de la question des quotas, j'ai souhaité me pencher plus largement sur le devenir des filières technologiques courtes qui sont à la recherche de nouveaux équilibres. En effet, les STS et les IUT traversent aujourd'hui une zone de turbulences que j'ai tenté de cartographier dans le rapport que j'ai présenté mardi. Je ne mentionnerai que deux enjeux.

Le premier est la démocratisation des filières technologiques, qui suppose la correction des flux de bacheliers à l'entrée des STS et IUT. Les distorsions actuelles faussent le contrat social proposé par la nation aux jeunes issus de la voie professionnelle, trop souvent orientés par défaut à l'université où ils sont en échec. L'objet des quotas d'accès prévus par la loi ESR est précisément de réguler ces phénomènes ; leur principe reste toutefois contesté par certains formateurs et employeurs. Pour accroître la légitimité de cette politique d'orientation privilégiée, ne faudrait-il pas rendre publics les quotas, expliquer leurs modalités d'élaboration, certes complexes et diverses, et expliciter leur articulation avec le second droit d'accès aux filières sélectives, prévu par la même loi ESR, qui est destiné aux meilleurs élèves par filière de chaque lycée ?

Par ailleurs, il apparaît qu'il ne suffira pas d'ouvrir plus largement la porte des IUT et des STS à certains bacheliers pour en démocratiser l'accès ; il faudra aussi accompagner ces mêmes bacheliers vers la réussite. À mon sens, cette politique d'accompagnement devrait mobiliser une large palette d'instruments, tels que l'établissement de bilans de compétences en fin de premier semestre, l'institution de modules passerelles entre la terminale et la première année ou les deux premières années de STS, une politique d'orientation des bacheliers professionnels qui prenne en compte le fait qu'ils réussissent mieux lorsque leur lycée accueille aussi des STS dans les mêmes filières, ou encore le recours au tutorat et le développement des parcours permettant d'obtenir le diplôme universitaire de technologie (DUT) en deux ans et demi ou en trois ans. Comment comptez-vous inciter les STS et les IUT à mettre en place de tels outils ? Vous n'avez pas, je le sais, la mainmise complète sur le processus de construction des parcours et des diplômes, qui accorde une large place aux discussions entre formateurs et employeurs. Mais, pour ne prendre qu'un exemple, ne faudrait-il pas que les contrats d'objectifs et de moyens (COM) conclus entre les universités et leurs IUT s'emparent de la question de l'accompagnement des bacheliers technologiques vers la réussite ?

Le second enjeu est la cohérence entre la formation et les besoins des entreprises. Ici, je dois avouer que les interrogations sont très nombreuses. Les entreprises et les formateurs s'inquiètent notamment du positionnement du BTS et du DUT et de la qualité des baccalauréats qui ont été réformés en 2009-2010. Par exemple, comment faire en sorte que le BTS ne se transforme pas en « super bac pro », ce qui pourrait le dévaloriser aux yeux de certaines PME ?

Par ailleurs, que faire du DUT, dont 87 % des titulaires poursuivent leurs études au détriment des besoins de recrutement de techniciens par les industries ? Faut-il transformer certaines spécialités d'IUT en classes préparatoires aux universités ? Ne faudrait-il pas plutôt réfléchir à l'institution d'une filière technologique complète à l'université, du post-bac jusqu'à la thèse ?

Enfin, la carte des formations de « bac pro », de BTS et de DUT n'est pas toujours optimale. Il est vrai aussi que tout le monde veut avoir un peu de tout partout alors que ce n'est pas possible ni même souhaitable. Par ailleurs, l'État et les régions n'arbitrent pas toujours en faveur des mêmes priorités : le bac et l'infra bac pour l'éducation nationale, contre les formations post-bac pour les régions. Comment mettre un peu plus d'ordre et de cohérence dans tout cela ?

M. Franck Reynier, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, pour les grands organismes de recherche. Je m'étais inquiété, l'année dernière, du ralentissement de l'effort financier en faveur de la recherche. Mes inquiétudes demeurent. Le projet de loi de finances pour 2015 est, une fois de plus, en deçà de nos espérances et, dans le monde de la recherche, l'actualité est à la contestation de la baisse des moyens financiers. Alors que l'innovation est au premier plan des trente-quatre mesures pour réindustrialiser la France et des sept ambitions pour la France de la commission Innovation 2030, force est de reconnaître, à la lecture du PLF 2015, que vous n'avez pas été en mesure de concrétiser votre ambition.

Certes les crédits de paiement dédiés à la recherche, d'un montant de 7,77 milliards d'euros, sont stables par rapport à l'année dernière, et j'ai conscience que le contexte budgétaire est particulièrement contraint. Et si, pour 2015, les crédits de l'ANR, opérateur principal du financement de la recherche sur projets, sont reconduits, la situation budgétaire de l'Agence n'en demeure pas moins difficile. La Cour des comptes, dans son rapport de juin 2013 sur le financement public de la recherche, préconisait d'amplifier le financement sur projets, qui souffre d'un retard grandissant par rapport à ce qu'il est chez nos partenaires étrangers. Pensez-vous que la France pourra continuer à ne pas faire de choix, à ne pas fixer de priorité pour la recherche, et à se contenter d'amputer ou de geler les crédits existants ?

De même, le nouveau document unique de programmation de l'ANR pour 2014-2015, couplé à son mode de sélection en deux temps, s'est traduit par une réduction sensible du taux global de sélection des appels à projets de l'ANR. Ce taux global de 8,5 % seulement en 2014, contraint malheureusement de plus en plus les industriels à renoncer à participer aux appels à projets. Vous devez endiguer cette désaffection des industriels pour les projets de l'ANR qui sont pourtant l'outil privilégié de la recherche partenariale, secteur dans lequel notre pays éprouve déjà des difficultés. Par ailleurs, où en est la conclusion d'un contrat de performance entre l'État et l'ANR ?

Au-delà de ces questions fondamentales pour l'équilibre de la recherche française, je souhaiterais, madame la secrétaire d'État, appeler votre attention sur certaines difficultés rencontrées plus globalement par les organismes de recherche.

Je commencerai par le problème récurrent de la réserve de précaution. Des efforts substantiels ont été demandés aux établissements et des taux semi-réduits ont été appliqués en 2014. L'application des taux normaux de 0,5 % de la masse salariale et même, en 2015, de 8 % des dépenses de fonctionnement et d'investissement les contraindrait à réduire encore la dotation affectée à leurs unités de recherche. Les établissements publics scientifiques et technologiques continueront-ils à bénéficier de taux réduits de mise en réserve ? Envisagez-vous d'en faire bénéficier l'ANR ? Qu'en sera-t-il pour les EPIC ?

Je reviendrai, à mon tour, sur les difficultés liées aux modalités des coûts de gestion induits pesant sur les établissements qui hébergent des projets issus de contrats conclus avec l'ANR. Comme ces charges fixes supplémentaires ne sont pas compensées par la prise en charge des frais généraux, ils doivent les imputer sur la subvention récurrente de l'État, ce qui a pour conséquence de réduire leurs marges financières. Augmenterez-vous la part des frais généraux de gestion et celle du préciput, comme le demandent de nombreux organismes ? Pourquoi ne pas élargir le volume des frais généraux éligibles au financement par projets, par référence aux taux mis en oeuvre dans l'Union européenne ?

La question du renouvellement de l'emploi scientifique et du recrutement de jeunes chercheurs suscite également des inquiétudes. Le Gouvernement compte-t-il amplifier son effort en faveur de l'emploi scientifique dans les prochaines années ? Surtout, peut-on espérer la création d'emplois supplémentaires afin de sauvegarder le recrutement de nos jeunes chercheurs ?

La très forte diminution à venir des ressources financières dédiées aux équipements de recherche est, elle aussi, préoccupante. Elle tient à l'achèvement de la phase d'investissement du PIA 1 en 2016 et à la diminution des financements des contrats de plan État-région, mais aussi à l'absence de capacité des programmes européens à financer les investissements. Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il mettre en place pour maintenir la qualité des équipements de recherche français, support indispensable au travail et à l'attractivité des laboratoires ?

Enfin, de manière plus spécifique, je m'attarderai sur la situation préoccupante du Commissariat à l'énergie atomique (CEA). Le montant de sa subvention, en baisse de près de 6 millions d'euros en 2015, est inférieur de 41,2 millions d'euros à celui prévu dans le contrat d'objectifs et de performance signé avec l'État, soit une différence de 3,8 %. Pourtant, le CEA devra assumer 91 millions d'euros de charges nouvelles à l'horizon 2017. En 2014, il a déjà dû réduire de 4 % le financement de ses unités de recherche, salaires compris. Quelles mesures prendrez-vous pour pérenniser ses activités ? Envisagez-vous un dégel des crédits dans le courant de l'année 2015 ?

En outre, le financement du démantèlement et de l'assainissement de certaines de ses installations nécessitera une budgétisation de fonds de plusieurs centaines de millions d'euros. Avez-vous déjà anticipé cette augmentation significative ?

Le CEA est particulièrement attaché aux contrats à durée déterminée à objet défini pour l'embauche d'ingénieurs. Le Gouvernement entend-il pérenniser ce dispositif ? Le cas échéant, par quelle mesure législative ?

Je regrette que le Gouvernement nous présente un budget sans vision structurante pour l'avenir : il n'opère pas de véritables choix, se contentant de maintenir ou de diminuer les dotations. Nous aurions pu espérer un budget plus ambitieux pour la recherche.

M. Philippe Plisson, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, pour la recherche dans les domaines du développement durable. Dans le contexte budgétaire tendu que nous connaissons actuellement, je ne peux que me réjouir de la préservation relative des moyens alloués à la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur, maintenus au même niveau que l'année dernière, ce qui traduit la priorité accordée par le Gouvernement à la recherche. Je proposerai donc à la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de cette mission.

S'agissant du programme 190 « Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables », le projet de loi de finances pour 2015 prévoit une hausse des autorisations d'engagement, de 1,13 %, et des crédits de paiement, de 0,97 %. Cette évolution est satisfaisante, compte tenu des contraintes budgétaires actuelles.

J'appelle néanmoins votre attention sur la situation préoccupante de beaucoup d'opérateurs du programme. En effet, à l'exception notable du CEA – dont la subvention augmentera de 7 % –, ils contribueront tous, bien que diversement, aux nécessaires économies budgétaires souhaitées par le Gouvernement.

Le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) s'apprête à connaître une année particulièrement difficile avec une diminution de près d'un quart de ses subventions. Certes, depuis cinq ans, cet établissement n'a plus le statut d'opérateur de l'État puisque ses ressources sont constituées de moins de 50 % de fonds publics. Pourtant, le rôle déterminant qu'il va être amené à jouer dans la mise en oeuvre de la transition énergétique, la faiblesse du taux de recherche et développement de la filière du bâtiment ainsi que les 1,8 million d'euros de gels et annulations de crédits intervenus au cours de l'année 2014, qui ont déjà sévèrement affecté ses activités, plaideraient plutôt en faveur d'un maintien de sa subvention, à tout le moins, d'une diminution moins importante. Ne serait-il pas souhaitable de relâcher la pression budgétaire qui lui est imposée afin de ne pas mettre en péril son rôle d'innovateur technologique en matière de construction, domaine crucial pour la transition énergétique ?

Je suis perplexe face à la suppression totale de la dotation budgétaire de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). Certes, les subventions allouées au titre des divers programmes ne financent qu'une partie des activités de recherche de cet opérateur, de nombreux projets étant soutenus par le PIA. Toutefois, je ne peux que m'interroger sur les conséquences de cette débudgétisation sur le rôle d'animateur clef de la recherche et de l'innovation environnementales confié à l'ADEME : ses missions devraient être plutôt encouragées pour contribuer à la mise en oeuvre de la transition énergétique. Les programmes financés par les investissements d'avenir relèvent surtout de l'innovation en aval de la recherche, alors que ceux qui étaient impulsés par le programme 190 concernaient principalement des thématiques amont, qui restent essentielles. L'ADEME prévoit de dégager quelques ressources issues de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) pour poursuivre certains de ses programmes amont, mais je crains que cela ne s'avère insuffisant.

Par ailleurs, les subventions aux programmes incitatifs, par lesquels le ministère de l'écologie mobilisait les acteurs de la recherche en amont des politiques publiques sur des thématiques émergentes pas encore traitées par les organismes scientifiques ou financées par les agences de financement de la recherche, ont été supprimées. Ces subventions, qui s'élevaient à environ 9 millions d'euros entre 2011 et 2013, permettaient une intervention efficace sur une vingtaine de thématiques prioritaires. Leur suppression à partir de 2015 ne risque-t-elle pas d'entraver la mise au point des innovations techniques nécessaires à la réussite de la transition énergétique ?

Je suis parfaitement conscient de la nécessité de contribuer au redressement budgétaire de notre pays, mais si, comme je le crois, la transition énergétique constitue l'une des priorités du quinquennat, ne faudrait-il pas envisager de répartir différemment les efforts budgétaires afin de préserver les programmes de recherche amont, indispensables à la réalisation de ce grand projet ?

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