Intervention de Geneviève Fioraso

Réunion du 31 octobre 2014 à 9h00
Commission élargie

Geneviève Fioraso, secrétaire d'état chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Monsieur Bréhier, votre rapport nous a été utile quand nous avons réfléchi à l'insertion professionnelle des docteurs. L'industrie française en emploie quatre fois moins que l'industrie allemande, ce qui explique peut-être que la gamme de nos produits et de nos services industriels soit moins élaborée que celle de nos voisins. Si les ingénieurs excellent dans l'innovation incrémentale, qui vise à améliorer collectivement les processus de fabrication ou les services, les docteurs, même en sciences fondamentales, apportent des innovations de rupture, d'un retour sur investissement six à sept fois supérieur. Il est donc essentiel que nous nous efforcions de leur donner une place dans le privé.

Nous devons aussi convaincre la haute administration publique de les accueillir. En 2012, de manière candide, je m'imaginais qu'il suffirait pour y parvenir de prendre un décret. J'ai compris qu'il fallait négocier au corps à corps et corps par corps. Nous avons persuadé le Conseil d'État, ce qui était essentiel pour enclencher le mouvement. Sa seule restriction – sur laquelle on s'est trop focalisé – porte sur le déroulement des carrières.

Les industries ne réagissent pas différemment. Hier, des responsables de Schneider Electric m'ont expliqué que, s'ils embauchaient des docteurs au titre des CIFRE ou au terme de leur parcours universitaire, ils s'intéressaient surtout au potentiel de chaque employé, qu'il soit ingénieur, docteur, commercial ou technicien. Je note d'ailleurs que le président de cette grande entreprise internationale, extrêmement performante, n'est pas issu des grands corps.

Nous sommes donc vraiment très attentifs à la situation des docteurs ; en particulier, nous agissons fortement pour que la baisse de recrutements ne soit pas trop importante. Le nombre de chercheurs, je le redis, n'a cessé de croître – la hausse est de 10 % au cours des dix dernières années, public et privé confondus. Il en va de même pour les enseignants-chercheurs. Sans les mille créations de postes, je ne sais pas où nous en serions aujourd'hui ! De plus, ces postes sont fléchés sur nos priorités : premier cycle, numérique, innovation pédagogique, mais aussi relations avec les milieux socioéconomiques – les étudiants sont particulièrement attachés au renforcement des liens, sous forme de stages ou de formation en alternance par exemple, avec le tissu économique, les entreprises, les associations.

Il y a eu des gels de postes, c'est vrai, mais cela a toujours existé et la situation ne s'est pas aggravée. Au contraire, nous constatons un redressement des universités. Ainsi, l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, qui avait accumulé tous les dysfonctionnements possibles – partenariats public-privé mal négociés, recettes non avérées mais dépensées, entre autres – aura une trésorerie positive en 2015. C'est bien là le résultat d'un travail non dogmatique, mené sur le terrain. C'est aussi la preuve qu'il faut donner aux universités les moyens de leur autonomie, notamment par la formation des personnes qui doivent la mettre en oeuvre.

Si l'on voit une baisse des investissements, c'est parce que les travaux de Jussieu, qui coûtaient 100 millions d'euros par an, sont terminés. Nous avons, en revanche, relancé le plan Campus. Laissez-moi vous dire ma satisfaction de poser des premières pierres et d'inaugurer, en ce moment, des bâtiments neufs, à Bordeaux, à Lyon, à Marseille, à Grenoble, à Strasbourg, en Île-de-France. Le financement de ces projets a été diversifié, ce qui est très heureux : l'État, les régions, la Caisse des dépôts, les établissements eux-mêmes ont investi.

Monsieur Hetzel, vous évoquez la suppression des bourses au mérite. Mais, la méritocratie républicaine, c'est de permettre à davantage de jeunes issus des milieux modestes d'accéder à des diplômes de l'enseignement supérieur, ce qui multipliera par cinq leurs chances d'insertion professionnelle ! Aujourd'hui, notre système reproduit, aggrave même, les inégalités sociales : alors que 23 % de la population active appartient aux catégories modestes, c'est le cas de 13,5 % seulement des étudiants en première année d'université, de moins de 9 % des étudiants en master et même de moins de 5 % des doctorants. Les chiffres des grandes écoles sont encore plus déprimants. C'est donc tout un système qu'il faut remettre d'aplomb, tout un parcours de réussite scolaire qu'il faut rétablir. Tous ceux qui ont enseigné le savent : les inégalités se construisent dès le CP. C'est pourquoi nous avons apporté des moyens nouveaux à l'école élémentaire, rétabli la formation des enseignants, très fortement réduite lors du quinquennat précédent, et créé des postes là où ils étaient le plus nécessaires – notamment dans les quartiers sensibles, mais aussi dans les territoires les plus éloignés des métropoles. Nous soutenons également les pédagogies innovantes, notamment le numérique – qui n'est pas la panacée, mais un réel accélérateur. Voilà par quels moyens nous rétablirons la méritocratie.

Quand Claude Allègre a créé les bourses au mérite, il y avait moins de 3 % de mentions « Très bien » au baccalauréat ; il y en a plus de 12 % aujourd'hui. Et nous savons maintenant que ces bourses n'ont pas eu d'effet de levier. De plus, ceux qui en bénéficiaient étaient des boursiers sociaux, mais souvent issus des deux premières catégories, et pas des catégories 2 à 7 ; une fois passé le plafond de verre, ces élèves voient de toute façon s'ouvrir devant eux un avenir de réussite. Il était donc bien préférable de mettre les moyens en amont.

Nous avons préféré nous appuyer sur des critères sociaux et remettre à plat l'ensemble du système d'aides, en concertation avec les organisations étudiantes. Mme Pécresse, qui m'a précédée, avait d'ailleurs elle aussi constaté que ce système ne fonctionnait pas ; elle avait fortement diminué les aides au mérite pour les étudiants en master. Mais le système demeurait injuste – il est plus facile d'avoir un dix-huit en mathématiques qu'en sociologie, et les échelles de notation peuvent varier fortement en fonction des universités – et suscitait de nombreux recours contentieux. C'est donc une décision prise pour des raisons de justice sociale et d'efficacité : je l'assume totalement.

Le Conseil d'État a annulé pour cette année la suppression des bourses au mérite, pour des raisons de forme. Nous en tiendrons compte, bien sûr. L'extinction des bourses sera progressive : nous rétablirons donc les bourses en première année, cette année, pour un montant de 15 millions d'euros. Le montant global est de 39 millions d'euros. En revanche, nous ajoutons 458 millions d'euros sur deux ans pour les boursiers sur critères sociaux. Ainsi, ceux qui, étant à l'échelon 0, ne payaient pas de droits d'inscription mais ne recevaient rien sont désormais à l'échelon 0 bis, et perçoivent un millier d'euros ; nous avons également créé un échelon 7, ce qui a permis aux plus précaires de voir leur bourse augmenter de 15 %. Nous espérons de cette action massive, que nous poursuivrons si nous en avons les moyens, un effet de levier important. C'est, je le répète, une question de justice sociale mais aussi d'efficacité économique : l'exclusion de jeunes nombreux de l'enseignement supérieur n'est bonne ni pour l'économie, ni pour la cohésion sociale, ni pour l'image de notre pays.

Nous prendrons une décision sur les bourses au mérite dans les semaines à venir, de façon à ce qu'elles ne soient plus contestées sur le plan juridique et qu'elles soient efficaces sur le plan social.

Monsieur Hetzel, vous dites que tout va mal, que nous n'avons pas de vision : vous nous tenez tous les ans le même discours, ce que vous avez vous-même reconnu. Vous le tiendrez sans doute encore l'année prochaine.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion