Au temps où Patrick Ollier présidait la Commission des affaires économiques, j'avais du mal à prendre la parole, alors j'en profite aujourd'hui pour m'exprimer deux fois avant lui. (Sourires.)
Je voulais prévenir les membres de la Commission des affaires économiques que le vote sur l'excellent rapport d'Éricka Bareigts aurait lieu à l'issue de cette séance. Éricka Bareigts, qui était rapporteure du projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer, a aussi co-écrit un rapport d'information sur l'adaptation du droit de l'énergie aux outre-mer, ces zones insulaires non interconnectées comme on les désigne dans le jargon.
M. Patrick Ollier, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président de la Commission des affaires économiques, je vous ferais remarquer que, malgré toute ma pugnacité, je n'ai jamais réussi à vous empêcher de parler durant mes dix années de présidence. Je vous sais gré de me reconnaître une autorité que je n'ai jamais pu avoir sur vous…
Madame la ministre, je tenais à vous remercier pour la qualité des échanges que j'ai pu avoir avec vous et avec les membres de votre cabinet, ce qui nous a permis de travailler en confiance. Aussi ai-je été étonné des délais tardifs avec lesquels les documents budgétaires me sont parvenus, et tout particulièrement le document de politique transversale. Je n'ai pas été informé non plus du retard pris dans la mise en oeuvre des deux crédits d'impôt institués par la loi de finances initiale pour 2014, qui restent dans l'attente de la décision de la Commission européenne. Je n'ai pas pu obtenir les détails que je souhaitais à ce sujet. J'espère que vous ferez les remarques qui s'imposent afin que ces problèmes ne se reproduisent pas l'année prochaine.
Concernant la mission « Outre-mer », je me réjouis de constater une hausse de 0,3 % des crédits de paiement pour un budget qui s'élèverait donc à 2,06 milliards d'euros en 2015. Les autorisations d'engagement sont, quant à elles, en baisse de 2,3 %, ce qui ne sera pas préjudiciable à l'outre-mer, à condition que les perspectives du budget triennal prévoyant une progression de 4,7 % sur la période 2014-2017 soient respectées. Malgré la conjoncture économique, le budget de l'outre-mer est en partie épargné par les coupes budgétaires, ce dont, moi aussi, je me félicite : son caractère prioritaire pour le pays est ainsi reconnu comme nous l'appelions de nos voeux. Avec un taux de chômage qui dépasse 25 % et qui frôle même 60 % chez les jeunes, nos collectivités ultramarines ont plus que jamais besoin d'une politique responsable et efficace.
Aux crédits budgétaires s'ajoutent les dépenses fiscales qui représentent un effort supplémentaire de l'État à hauteur de 3,8 milliards d'euros. Si j'ai accepté d'être rapporteur spécial pour l'outre-mer, c'était précisément pour défendre le maintien de ces dispositifs de défiscalisation qui sont les seuls moyens de créer de la richesse et des emplois dans ces territoires, et qui ne méritent donc pas d'être qualifiés de niches fiscales.
Les dépenses en faveur de l'investissement productif et du logement social demeurent des leviers essentiels de mobilisation de l'épargne privée au service du développement économique. Représentant près de 1 milliard d'euros, elles confirment toujours davantage leur caractère incitatif pour les investisseurs et leurs effets bénéfiques pour les secteurs prioritaires de l'économie ultramarine. Je me réjouis donc de les savoir désormais consolidées.
De même, j'approuve la proposition du Gouvernement de majorer le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) pour les entreprises situées dans les départements d'outre-mer. Cette mesure, évoquée dans le rapport de la Délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale établi par Jean-Claude Fruteau et Daniel Gibbes, représentera sans aucun doute une aide précieuse pour les entreprises et un moyen supplémentaire de retrouver le chemin de la croissance et de l'emploi. Elle complète utilement les mesures d'exonérations prévues dans le cadre du programme « Emploi » pour un peu plus de 1,1 milliard d'euros. J'appelle cependant votre attention, madame ma ministre, sur le fait que le recentrage croissant sur les bas salaires constitue un levier important mais pernicieux : je crains qu'il entraîne l'emploi ultramarin dans un effet de trappe à bas salaires.
Je suis heureux que cette majoration soit également appliquée au crédit d'impôt recherche (CIR), conformément à la position que j'ai vivement défendue. La dernière étape à envisager serait d'étendre cette logique au crédit d'impôt innovation (CII) afin de cibler les PME qui en ont aussi besoin. Cette piste est-elle envisagée par le Gouvernement ?
Quel est l'avenir des deux dispositifs spécifiques que sont l'octroi de mer et la TVA non perçue récupérable ? Alors qu'ils constituent une réserve de ressources indispensables pour les collectivités et les entreprises ultramarines, leur pérennité ne semble pas assurée à court terme pour la TVA non perçue récupérable et à l'échéance de 2020 pour l'octroi de mer. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?
Je dois également vous faire part de mon inquiétude concernant les crédits dévolus à l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM), qui baissent de 17 % à périmètre constant. Lors des auditions, j'ai pu constater la volonté de la nouvelle direction de LADOM de moderniser les procédures et de rationaliser les dispositifs afin de participer à l'effort de maîtrise des coûts. Par ailleurs, j'ai conscience que le système de guichet illimité et « tout public » qui prévalait jusqu'à présent dans le dispositif de l'aide à la continuité territoriale ne pouvait perdurer au vu de la croissance exponentielle des demandes : elles ont augmenté de 10 % en 2014. La mise en place d'un droit triennal se justifie amplement afin d'éviter les dérives et abus en tout genre. Quelles sont les conclusions de l'étude d'impact menée sur le sujet ?
Enfin, je terminerai mon propos sur l'article 57 du projet de loi de finances qui propose la suppression de l'aide à la rénovation hôtelière dont le montant est de 3 millions d'euros. J'ai entendu les arguments du ministère visant à démontrer le caractère globalement inefficace de cette aide, mais je regrette qu'elle soit supprimée de manière brutale sans dispositif de sortie. Or cette aide est particulièrement utilisée par certains territoires, notamment par la collectivité de Saint-Martin dont l'activité touristique a besoin d'être soutenue pour résister à la concurrence de la partie néerlandaise de l'île et à celle des îles voisines.
Avec Daniel Gibbes, je présenterai donc un amendement visant à appliquer un taux majoré de 45,9 % aux travaux de rénovation et de réhabilitation d'hôtels réalisés à Saint-Martin. J'espère, madame la ministre, mes chers collègues, que cet amendement sera adopté.
Pour conclure, j'émets un avis favorable aux crédits de la mission.
M. Serge Letchimy, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques sur la mission « Outre-mer ». Dans le contexte actuel, il est appréciable que le budget des outre-mer soit stabilisé et que les crédits de paiement s'inscrivent même en légère hausse. Cela étant, la diminution des autorisations d'engagement – notamment en ce qui concerne le logement – nous invite à la vigilance.
Sur un budget de 18 milliards d'euros, la mission « Outre-mer » représente 2 milliards d'euros en crédits budgétaires et surtout 3,8 milliards d'euros en dépenses fiscales. S'agissant des crédits budgétaires, la baisse des crédits du Fonds de continuité territoriale et du Fonds exceptionnel d'investissement suscite mon inquiétude.
En quelque sorte victime de son succès, l'aide à la continuité territoriale voit ses crédits diminuer de 10 millions d'euros. Comme Patrick Ollier, je pense qu'il aurait mieux valu revoir les critères d'attribution que de procéder à une coupe sèche, d'autant que des conventions ont été passées avec les collectivités locales.
Les crédits du Fonds exceptionnel d'investissement baissent également de 10 millions d'euros, alors que le Président de la République avait promis que ce fonds serait doté de 500 millions d'euros en cinq ans, entre 2012 et 2017. L'abondement atteignait à peine de 25 millions d'euros la première année et il n'a jamais dépassé 50 millions d'euros par an. Personnellement, je plaide pour que l'engagement du Président de la République soit respecté. Qu'en pensez-vous, madame la ministre ?
Le projet de loi de finances pour 2015 comporte deux mesures fiscales qui me semblent très intéressantes : la majoration à 50 % du CIR et la majoration à 9 % du CICE. Cet effort en faveur du CIR est d'autant plus important que nous sommes dans une dynamique de recherche de filières économiques à exploiter et que la question de l'innovation est essentielle.
En ce qui concerne le CICE, le Gouvernement a été bien inspiré de reprendre la proposition de la Délégation aux outre-mer, présidée par Jean-Claude Fruteau. Pour les entreprises ultramarines, son taux passera à 7,5 % dès le 1er janvier 2015, puis à 9 % en 2016. Pour ma part, je plaide pour l'application d'un taux majoré de 12 % aux six secteurs d'activités que la Loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM) avait jugés particulièrement exposés à la mondialisation. Il ne faut pas le réserver au seul secteur du tourisme.
L'article 57 du projet de loi de finances prévoit la suppression de l'aide à la rénovation hôtelière (ARH), réservée aux établissements de moins de 100 chambres, que sa complexité a rendue quasiment inutilisable. Pourtant, il faut absolument maintenir une politique d'investissements, de rénovation et de construction d'hôtels. Outre son effet sur les comptes d'exploitations en termes de réduction des charges, le CICE doit aider les entreprises du tourisme à résoudre les trois problèmes auxquels elles sont confrontées : l'investissement, la formation professionnelle et l'approvisionnement.
C'est pourquoi je propose la création d'un nouveau type d'aide pour le tourisme, sur le modèle du programme d'action spécifique à l'éloignement et à l'insularité du secteur agricole. Avec ce « POSEI tourisme », il s'agit de subventionner l'effort d'approvisionnement en produits locaux, en partant du constat que plus de 80 % des produits consommés dans les hôtels sont importés, notamment de l'hexagone. Ce « POSEI tourisme » peut enclencher une véritable dynamique. Nous devrions avoir l'audace de mesurer les retombées d'un CICE à 12 % sur l'investissement, la formation professionnelle et l'approvisionnement.
Dans mon rapport, j'ai formulé dix propositions. L'une porte sur le désenclavement qui reste une question centrale, notamment depuis l'arrêt de desserte des Antilles au départ de Roissy qui avait pour but d'attirer des touristes internationaux. Une autre concerne l'assouplissement des procédures de délivrances de visas. Je préconise aussi une réforme du code du travail qui tienne compte de la saisonnalité : il faut accompagner les gens qui se forment en période creuse et leur accorder des droits. Enfin, nous devons préparer la session du Conseil national de promotion du tourisme, dédiée aux outre-mer, que vous avez appelée de vos voeux, madame la ministre, et qui va se tenir en 2015. Il s'agit d'entrer dans la dynamique d'une nouvelle ingénierie pour le tourisme.
Mon intervention a porté principalement sur le tourisme, mais tous les secteurs sont concernés par votre budget. J'invite d'ailleurs mes collègues à voter en faveur de ces crédits, en légère augmentation, de la mission « Outre-mer ».
M. René Dosière, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour les collectivités d'outre-mer, la Nouvelle-Calédonie et les terres australes et antarctiques françaises. Dans le bref temps de parole qui m'est imparti, madame la ministre, je me contenterai de vous poser quelques questions sur les territoires dont j'assure en quelque sorte le contrôle parlementaire.
S'agissant de la Nouvelle-Calédonie, nous entrons dans le processus de sortie de l'Accord de Nouméa, qui n'a rien d'une opération simple, en tout cas d'un chemin facile. Je voudrais vous interroger plus particulièrement sur la composition du corps électoral particulier retenu pour cette consultation de sortie, différent de celui qui existe pour les élections provinciales. Il conviendrait que tout soit mis en oeuvre afin de prévenir toute contestation sur la régularité de ce corps électoral. D'après le Conseil d'État, il faudrait modifier la loi organique. Qu'en pensez-vous ?
Pour ma part, je suis résolument hostile à ce qu'une mission de contrôle de l'Organisation des Nations unies, quelle qu'elle soit, vienne vérifier si nous appliquons correctement notre législation. J'aimerais que vous puissiez nous donner votre sentiment sur cette idée émise par certains indépendantistes.
Le processus de transfert de l'Agence de développement rural et d'aménagement foncier (ADRAF) aux institutions calédoniennes n'a pas encore été engagé. Pouvez-vous me dire quand et comment vous envisagez ce transfert ?
S'il est important que les Calédoniens – j'en profite pour saluer notre collègue Philippe Gomes – mettent en place une stratégie nickel à l'échelle de leur territoire, il importe aussi que la France ait une politique nationale et internationale dans ce domaine. Je souhaiterais que vous puissiez sensibiliser votre collègue de l'industrie sur ce point.
En Polynésie française, une page de l'histoire politique se tourne avec le départ quelque peu forcé de Gaston Flosse et l'arrivée d'Édouard Fritch. Le nouveau président de la Polynésie française peut s'appuyer sur une majorité renforcée et manifeste le souci d'entretenir avec le Gouvernement français des relations beaucoup plus directes, franches et cordiales que son prédécesseur. C'est un effort que je salue. Une mission vient de souligner les difficultés du régime social, tout à fait particulier, de la Polynésie française. Envisagez-vous de rétablir l'aide que la France accordait traditionnellement à ce régime jusqu'en 2007 ? Si oui, à quelles conditions ? Quels sont les efforts que la collectivité devrait réaliser pour que la France puisse à nouveau s'engager à côté de la Polynésie dans le financement de régime social ?
Concernant Saint-Martin, je voudrais vous rappeler la proposition intéressante de mon collègue Daniel Gibbes : la mise en place d'une instance institutionnelle de coopération entre les deux parties de l'île. À défaut, quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour éviter que les fonds que la France attribue à la partie française de Saint-Martin cessent de financer la partie hollandaise, sachant que des millions d'euros sont en jeu ?
Enfin, dans son dernier rapport sur la santé outre-mer, la Cour des comptes a insisté sur les difficultés et le fort endettement de l'agence de santé de Wallis-et-Futuna. Qu'envisagez-vous de faire pour résorber cette dette ?