Intervention de George Pau-Langevin

Réunion du 29 octobre 2014 à 16h15
Commission élargie

George Pau-Langevin, ministre des outre-mer :

Messieurs les présidents, messieurs les rapporteurs, je souhaite d'abord vous exprimer mes remerciements chaleureux pour votre mobilisation dans le cadre de nos travaux budgétaires. Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie d'être aussi nombreux, ce qui témoigne de l'intérêt porté par la représentation nationale aux outre-mer.

Vous m'avez signalé quelques retards de transmission, que je regrette. Je ferai part de vos remarques à mes services, mais il faut reconnaître qu'ils font en général ce qu'ils peuvent. Quant aux retards concernant les instances européennes, ils ne nous sont pas forcément imputables : nous entretenons un dialogue suivi avec la Commission qui nous répond à son rythme. Mais j'ai une bonne nouvelle : ce matin, après des mois d'efforts, le collège des commissaires a enfin adopté la proposition de décision concernant l'octroi de mer. Tout arrive… Nous allons pouvoir engager la procédure en vue de son adoption par le Parlement européen.

Tout en s'inscrivant dans un contexte de crise où des économies sévères sont demandées à la nation tout entière, le budget que je vous présente exprime l'importance accordée par le Président de la République et du Premier ministre aux outre-mer : il est en hausse. Nous réaffirmons ainsi la volonté de décliner dans les départements et collectivités d'outre-mer une stratégie pour la croissance et l'emploi qui est amplement nécessaire.

En 2015, les crédits de paiement de la mission « Outre-mer » s'élèveront à 2,064 milliards d'euros, ce qui représente une progression de 0,3 % par rapport à 2014. Dans le cadre du budget triennal, les crédits de paiement augmenteront de 5,5 % et dépasseront 2,170 milliards d'euros en 2017.

Cette progression de nos crédits est en réalité plus importante que ne le laisse entendre cette première présentation. En effet, une mesure de périmètre conduit à déplacer une partie des crédits pour la compensation des exonérations de charges sociales vers le budget de la Sécurité sociale. Si l'on réintègre ces crédits, la croissance du budget des outre-mer atteint 2,7 % cette année et 8,3 % sur la période 2015-2017. Je tiens également à souligner que les indicateurs de l'action de l'État en outre-mer, qui sont présentés dans le cadre du document de politique transversale (DPT), font apparaître la même évolution positive sur l'ensemble des champs d'intervention de l'État.

Le budget des outre-mer est tourné vers la création et le développement de l'emploi, dans la droite ligne des orientations définies par mon prédécesseur Victorin Lurel dont je salue l'action très positive. Quelque 1,129 milliard d'euros seront consacrés à la compensation des exonérations de charges sociales patronales. Ce poste va progresser d'environ 200 millions euros sur l'ensemble du quinquennat, ce qui montre l'ampleur de l'effort consenti pour améliorer la compétitivité des entreprises ultramarines et les aider à faire face à la concurrence régionale et internationale qu'elles doivent affronter.

Nous avons aussi souhaité renforcer le CICE de manière à ce que les entreprises profitent au maximum de l'effort que nous faisons pour alléger le coût du travail dans les outre-mer. Nous ne le faisons pas seulement par amour pour l'entreprise, ce qui en soit est tout à fait louable ; nous avons l'espoir d'améliorer la situation de l'emploi dans les outre-mer, proprement catastrophique comme vient de le rappeler le rapporteur.

En matière d'aide au premier emploi et d'accompagnement de l'économie sociale et solidaire, nous avons signé une convention avec la Caisse des dépôts et consignations, le 30 septembre dernier. Il s'agit de faciliter la création de petites entreprises dans ce domaine, et de les aider à embaucher un premier salarié. Cette initiative devrait contribuer à améliorer significativement la situation de l'emploi dans les outre-mer.

Dans ce budget 2015, nous réaffirmons aussi la priorité accordée à la formation et à l'insertion des jeunes. En ce qui concerne le service militaire adapté au profit des jeunes ultramarins sortis du système scolaire sans qualification (SMA), nous maintenons l'objectif de porter le nombre des bénéficiaires à 6 000 au cours du quinquennat. Ses moyens sont donc maintenus voire augmentés pour qu'il puisse accueillir un plus grand nombre de stagiaires encore.

Nous avons aussi consolidé les crédits de LADOM dont le travail en faveur de l'accès des jeunes à la qualification et à l'emploi mérite d'être salué. Les crédits de LADOM intègrent désormais la dotation de l'Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) de manière à assurer une unité de la formation des jeunes de l'outre-mer, avec en perspective l'accueil de 4 800 stagiaires.

Il me paraît indispensable de souligner la cohérence des choix opérés dans le cadre de ce budget. La priorité étant l'emploi, et notamment l'accès à l'emploi des jeunes, nous avons été obligés de sacrifier d'autres lignes budgétaires qui nous semblaient moins importantes.

S'agissant de l'aide à la continuité territoriale, nous avons préservé – voire augmenté – les crédits du passeport mobilité études et formation professionnelle. Nous considérons que les jeunes ont avant tout besoin de se former et d'accéder à un emploi ; il y va de leur dignité. Nous avons donc diminué les crédits de l'aide à la continuité territoriale « tout public », afin de préserver les moyens en faveur des familles les plus démunies et de la formation. Cette décision a provoqué un peu d'émotion dans les outre-mer, ce que je peux comprendre, mais nous avons besoin de nous concentrer sur l'essentiel. Nous verrons s'il est possible d'entendre certaines demandes, notamment des plus modestes ; reste qu'en multipliant les possibilités de voyage, notamment pour les familles des classes moyennes, certaines régions ont fait exploser le dispositif. Un coup d'arrêt s'imposait.

Ma troisième priorité, le logement, correspond à une aspiration profonde et à des attentes quotidiennes de nos concitoyens. Pour mener une vie digne, il est essentiel d'avoir un logement décent. J'ai eu beaucoup de plaisir à visiter récemment, avec Mme Gabrielle Louis-Carabin, députée maire du Moule, les opérations de résorption de l'habitat insalubre dans cette commune, en respectant les habitudes des gens, leur jardin, leur petite maison, etc. C'est un exemple tout à fait remarquable de ce qui peut être fait outre-mer pour apporter la modernité et le confort dans le respect des traditions locales.

Les crédits de paiement de la ligne budgétaire unique (LBU) sont stables mais affirmés en faveur de la construction de logements sociaux dont la ligne progresse de 2,8 %. Les capacités d'engagement en faveur de la construction neuve et de la réhabilitation sont intégralement préservées dans le budget triennal. Ce faisant, je réponds aux inquiétudes exprimées par le rapporteur car je n'ignore pas que la LBU, très importante pour les outre-mer, est scrutée par les élus et qu'il est très difficile d'y toucher.

Je connais aussi votre attachement au logement intermédiaire dont vous avez discuté ce matin avec Mme Pinel. Le ministère des outre-mer est bien évidemment à vos côtés pour maintenir ce logement intermédiaire qui marque souvent une étape dans le parcours d'une famille après le logement locatif très social et avant l'accès à une petite maison. Nous devons respecter ces trajectoires de vie. Vous avez demandé un relèvement du plafond à 18 000 euros et je suis persuadée que nous parviendrons à trouver une solution pour lever les contraintes qui s'imposent à ce dispositif.

Vous avez inscrit plusieurs autres amendements dans votre programme de travail : une meilleure adaptation au contexte particulier des outre-mer du crédit d'impôt de transition énergétique ; le recours au crédit d'impôt défiscalisation pour faciliter le désamiantage des immeubles locatifs sociaux de plus de vingt ans ; la levée des obstacles qui empêchent l'utilisation de l'aide fiscale à l'investissement pour la construction d'immeubles destinés à du prêt social de location accession (PSLA), ou encore le passage à un taux de 50 % du crédit d'impôt innovation.

Nous sommes en train de travailler ensemble sur un véritable plan logement, significatif et organisé, dans les outre-mer parce que nous avons besoin d'ordonner les nombreux dispositifs qui existent. Au passage, je salue Jean-Louis Dumont, le président de l'Union sociale pour l'habitat outre-mer (USHOM). Nous devrions essayer de faire mieux avec les lignes existantes et les montants de crédits en jeu.

Quatrième priorité de mon budget pour 2015 : l'investissement public qui bénéficie d'un effort substantiel. Certes, et cela ne vous a pas échappé, les crédits du Fonds exceptionnel d'investissement ne progressent pas. Cette ligne a donné lieu à une bagarre assez sérieuse avec les services du budget qui ne l'apprécient guère… En 2010 et 2011, elle était descendue à des niveaux inacceptables. Avec l'énergie qui le caractérise, Victorin Lurel était parvenu à la faire remonter. Cette année, elle a été maintenue à 40 millions d'euros et j'espère qu'elle sera augmentée au cours des prochaines années.

Les crédits de paiement de la politique contractuelle augmentent de près de 6 % entre 2014 et 2015, ce qui représente près de 11 millions d'euros. De surcroît, les outre-mer vont bénéficier de fonds structurels européens importants auxquels s'ajouteront les moyens issus du plan très haut débit à hauteur de plus de 80 millions d'euros et des plans séismes. Nous avons donc des possibilités pour améliorer la vie dans les outre-mer.

Cette revalorisation de nos autorisations d'engagement permettra aussi la préservation intégrale de l'effort consenti par l'État dans le cadre des contrats à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Martin et Saint-Barthélémy cette année, en Polynésie française en 2015, en Nouvelle-Calédonie en 2016 et à Wallis-et-Futuna en 2017. De même, j'ai souhaité que les collectivités puissent disposer de moyens suffisants pour assurer pleinement leur rôle de soutien de la commande publique qui, en outre-mer plus qu'ailleurs, joue un rôle essentiel pour l'emploi et les entreprises.

L'enveloppe de bonification des prêts de l'Agence française pour le développement (AFD) est préservée. L'effet levier des prêts consentis sera accru pour certains projets ; l'aide de l'État en faveur des constructions scolaires en Guyane et à Mayotte est maintenue. Certes, l'ampleur des besoins est telle, en Guyane notamment, que nous sommes encore loin du compte. Les crédits sont nécessaires mais encore faut-il être en mesure de les mobiliser : à Mayotte, par exemple, les réalisations ne suivent pas la mise à disposition des crédits.

Je suis pleinement consciente des effets de la baisse des dotations de l'État, notamment de la dotation globale de fonctionnement (DGF), et j'ai entendu les protestations des collectivités. Mon ministère sera à vos côtés pour faire en sorte que cette baisse soit limitée et que les ressources propres des régions n'en subissent pas les conséquences. De la même manière, j'ai demandé et obtenu que la dotation globale d'autonomie de la Polynésie française évolue de manière beaucoup plus favorable que ce qu'aurait imposé son alignement sur le droit commun de la DGF des régions métropolitaines. Je vous confirme à cet égard, monsieur le rapporteur spécial, que le Gouvernement entend bien préserver l'octroi de mer.

Serge Letchimy a fait un rapport extrêmement précis et documenté sur le tourisme. C'est un secteur qui va retenir toute notre attention au cours des semaines à venir : avec Laurent Fabius, nous allons préparer la session du Conseil national de promotion du tourisme, dédiée aux outre-mer. Ce secteur a souffert, notamment après la crise de 2009, mais donne des signes encourageants de reprise : la fréquentation s'améliore aux Antilles et en Polynésie française. Nous devons améliorer la valorisation des destinations en lien avec Atout France et moderniser les équipements touristiques.

Il est vrai que nous avons fait l'impasse sur l'aide à la rénovation hôtelière cette année. Comme Serge Letchimy l'explique très bien dans son rapport, la complexité de cette aide la rendait largement inutilisée : les hôteliers préféraient manifestement s'organiser autrement et passer notamment par des dispositifs de défiscalisation. Nous devons réfléchir ensemble à une nouvelle stratégie. Le rapporteur donne un exemple très intéressant, celui d'un hôtel de taille moyenne à la Martinique. Ces établissements, qui sont plus proches de leurs employés et de leur clientèle, réussissent peut-être un peu mieux que les grandes structures. En tout cas, cela vaut la peine que nous y réfléchissions.

Vous vous interrogez, monsieur le rapporteur, sur la mesure qui pourrait se substituer à cette aide et contribuer au renouvellement du parc hôtelier, tout en soulignant l'importance des investissements hôteliers pour Saint-Martin. À ce propos, je salue la manière dont les hôteliers de l'île ont effacé assez rapidement les conséquences de l'ouragan Gonzalo. En visitant Saint-Martin dimanche, j'ai été frappée de constater que les habitants avaient tout de suite retroussé leurs manches pour remettre l'île en état et être en mesure de démarrer la saison touristique dans de bonnes conditions. J'ai été très impressionnée.

Au-delà de la pérennisation de l'aide fiscale dans le domaine de la rénovation, le Gouvernement sera attentif à mobiliser tous les leviers, et notamment le CICE dont le taux va être majoré de 7,5 % à 9 %. Nous discutons d'une nouvelle majoration pour les secteurs exposés à la concurrence comme le tourisme. Nous avons saisi les instances européennes à ce sujet.

Pour répondre à M. Dosière, les questions institutionnelles relatives à l'avenir de la Nouvelle-Calédonie et aux suites à donner à l'avis du Conseil d'État du 6 février 2014, méritent d'être abordées dans un cadre dédié. Nous travaillons en liaison étroite avec les élus et les groupes politiques calédoniens sur des questions telles que la constitution de la liste électorale spéciale. Avec tous les acteurs politiques du territoire, nous avons créé des groupes de travail chargés de définir les conditions d'une consultation la plus efficace et la plus transparente possible.

Pour ma part, je ne pense pas qu'il soit indispensable d'avoir recours à des conseils extérieurs sauf, peut-être, si nous n'arrivons pas à nous mettre d'accord. Tous les acteurs du territoire travaillent à répondre aux questions qui se posent de la manière la plus équitable possible. Il est prévu que nous puissions déposer un projet de loi organique dès 2015, révisant la loi organique de 1999, de manière à résoudre les problèmes qui se posent quant à l'organisation de la consultation et à la composition du corps électoral. Le comité des signataires souhaite que l'on simplifie au maximum et que certaines catégories soient inscrites de manière quasiment automatique. J'espère que les groupes de travail pourront présenter assez rapidement des propositions.

Je précise également qu'un dialogue est engagé entre le ministère des outre-mer et le ministère de l'agriculture pour évaluer les modalités d'un redressement des subventions accordées par ce dernier à l'ADRAF.

Monsieur Dosière, vous m'avez aussi interrogée au sujet de la dette de l'agence de santé de Wallis-et-Futuna, relative notamment aux évacuations sanitaires. Comme je l'ai dit en Nouvelle-Calédonie, cette question relève de l'État, dans la mesure où c'est davantage une dette de l'État qu'une dette de Wallis-et-Futuna. Nous devons faire en sorte que le budget de cette agence de santé soit correctement calculé pour qu'il corresponde aux besoins et qu'il ne soit pas systématiquement sous-doté. Par ailleurs, nous avons fait des propositions pour apurer la dette ; les arbitrages sont en cours et j'espère qu'ils seront rendus rapidement.

M. Marie-Jeanne m'a posé une série de questions sur le système pénitentiaire. Comme lui, je pense que nous devons progresser en matière de prise en charge de la protection judiciaire de la jeunesse et de peines alternatives à l'emprisonnement. Pour l'instant, c'est encore un peu balbutiant.

L'immobilier pénitentiaire est dans un état extrêmement dégradé. Les arbitrages budgétaires rendus vont permettre de commencer à remédier à la situation : le budget triennal prévoit la création du centre de courtes peines de Koné, en Nouvelle-Calédonie, de même que la rénovation des prisons de Basse-Terre, de Faa'a-Nuutania et de Ducos – s'agissant de ce dernier établissement, la justice s'est condamnée elle-même, si j'ose dire, en jugeant les conditions de détention indignes. Enfin, une antenne du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) sera créée à Saint-Martin, ce qui comblera un vrai manque.

Pour conclure, dans le contexte national et européen que vous connaissez, le budget des outre-mer pour l'année 2015 me semble de nature à concilier les impératifs de solidarité gouvernementale dans la réduction des dépenses publiques et la volonté, réaffirmée par le Président de la République, de faire des outre-mer une chance pour la France. Nos priorités ont pu être préservées, et c'est désormais dans le cadre du débat que nous allons rechercher des marges de progrès. Comme je l'ai indiqué, le Gouvernement sera attentif aux amendements d'origine parlementaire et les soutiendra à chaque fois qu'elles seront de nature à améliorer ce budget tout en correspondant à l'intérêt général.

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