Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 21 octobre 2014 à 17h15
Commission élargie

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

Je remercie les présidents des commissions ainsi que les rapporteurs, qui, ainsi que le montre la pertinence de leurs interventions, suivent ces questions de très près.

M. Terrasse a observé que l'euro bon marché avait des conséquences désagréables pour le ministère des affaires étrangères : cela affecte, en effet, les crédits de fonctionnement des postes, la rémunération des agents de droit local, nos contributions internationales. Cela n'a toutefois pas d'impact sur les rémunérations des expatriés, en raison d'un décalage dans la budgétisation. À question claire réponse claire : si le cours de l'euro continuait de baisser, il faudrait prévoir des abondements en gestion.

S'agissant des visas, si nous souhaitons développer l'attractivité de notre pays, il faut que les visas soient délivrés plus rapidement, dans des conditions respectueuses, et selon une politique claire. Il y a lieu de distinguer deux éléments, souvent mêlés par le passé, ce qui a placé les agents chargés de la délivrance des visas dans une situation difficile. D'un côté, notre pays, comme tous les autres, doit avoir une politique des migrations : à cet égard, il y a des pays qui ne présentent, comme on dit, aucun « risque migratoire », d'autres pour lesquels s'applique la formule, d'ailleurs souvent tronquée, de Michel Rocard, selon laquelle la France ne peut accueillir tout le monde. D'un autre côté, il est nécessaire de développer la délivrance de visas pour certains publics : les touristes, les talents, les chercheurs, les étudiants... Les deux actions doivent être menées en même temps, mais sans mêler les objectifs.

Je travaille, sur le sujet des visas, en collaboration avec le ministère de l'intérieur. Les chiffres ont bien progressé, notamment pour les visas touristiques, mais nous ne sommes pas encore au niveau que je souhaiterais. Si nous voulons que les visas soient délivrés plus rapidement, il faut renforcer les services. C'est ce que nous avons fait, malgré un contexte général dans lequel j'ai été obligé de rendre 220 emplois, en ajoutant vingt-cinq emplois aux services des visas.

Un boom extraordinaire du tourisme est en train de se produire – M. Woerth a rappelé les chiffres. Il faut en profiter. Dans quinze ans, le nombre de touristes dans le monde aura doublé. L'intérêt de la France est de capter une partie de ces personnes. Si nous plaçons les emplois affectés aux visas sous le plafond ordinaire, nous n'y parviendrons pas. Selon les projections, nous aurons en effet besoin, dans les années à venir, de 300 à 400 emplois. Je suis donc en discussion avec M. Eckert pour voir si nous ne pourrions pas adopter pour ces emplois une procédure spéciale, hors du contingent classique. De même, comme ces emplois rapportent de l'argent, ne serait-il pas possible d'en affecter une partie à Atout France ? La boucle serait ainsi bouclée.

Les taux de refus d'étudiants sont de 4 % pour la Chine, 1 % pour la Russie, 8,5 % pour le Maroc, 10,7 % pour la Tunisie, 31,7 % pour le Sénégal. Les différences sont importantes. J'insiste auprès de mes services pour que les procédures soient rapides et qu'en cas de refus, les décisions soient bien expliquées, car souvent les conditions de la délibération sont aussi importantes que l'issue de celle-ci. Il s'agit parfois, même si c'est regrettable, d'une question de finances disponibles ; d'autres fois, c'est le statut d'étudiant de la personne qui est contesté. En tout cas, il y a lieu de déployer un effort de simplification ; celui-ci a commencé.

Les crédits consacrés à la francophonie multilatérale s'élèvent à 49,3 millions d'euros. Nos contributions volontaires sont en diminution, et notre ami Abdou Diouf, d'ailleurs, s'en inquiète, mais nous veillons tout de même à rester, avec le Canada, le meilleur soutien de la francophonie. Dans le cadre des contraintes budgétaires qui sont les nôtres, je peux vous assurer de notre souhait de maintenir un soutien considérable à la francophonie, et par là même l'OIF, dont le siège est à Paris. Le rapport Attali présente sur le sujet des propositions intéressantes : l'idée que des groupes privés puissent s'intéresser à la question de la langue française ne me paraît pas absurde. Avec M. Darcos, nous y réfléchissons.

J'ai écrit aux ambassadeurs pour leur indiquer qu'ils doivent désormais s'occuper aussi du tourisme. L'ambassadeur est, à mes yeux, le patron de l'action extérieure de l'État. Cela ne signifie pas qu'il doive se substituer à tous les opérateurs, mais si nous ne voulons pas, comme le kantisme selon Hegel, avoir de belles mains mais ne pas avoir de mains, il faut donner à l'ambassadeur les moyens d'agir. Le sens de la réforme que j'ai demandée au Président de la République et au Premier ministre, et qu'ils ont bien voulu accepter, c'est que le ministère des affaires étrangères devienne petit à petit le ministère de l'action extérieure de l'État. Il faut qu'il y ait un patron, et vous connaissez la formule de Clemenceau : « Pour prendre une décision, il faut être un nombre impair de personnes, et trois c'est déjà trop. »

Il n'en demeure pas moins qu'Atout France dispose de peu de crédits, comparé aux organismes espagnols ou italiens, par exemple. Il faudrait qu'elle en ait davantage, notamment pour la promotion de la France à l'extérieur, d'où l'idée de récupérer sur les visas des sommes qui pourraient lui revenir. Par ailleurs, des crédits proviennent des régions. Il conviendrait de créer une synergie entre toutes ces sources, ce qui irait de pair avec notre démarche concernant les contrats de destination : la promotion de nos territoires doit se faire sur des noms et des sites qui veulent dire quelque chose à l'étranger, sinon c'est de l'argent perdu. En faisant masse de tout cela, nous devons pouvoir, malgré la faiblesse des moyens, être efficaces. Je rends d'ailleurs hommage aux personnels d'Atout France, notamment à son directeur général M. Mantei, comme à ceux d'UbiFrance et de l'AFII.

M. Woerth a posé la question des statistiques. Nous avons à ce sujet un problème : les statistiques arrivent très en retard et elles ne sont pas parfaitement corrélées avec d'autres données. J'ai demandé aux organismes qui s'occupent de la question, à l'instar de la Banque de France, d'entrer en concertation afin que nous puissions avoir les statistiques plus tôt. Il a fallu attendre l'été de cette année pour connaître les statistiques de 2012 : cela n'a pas de sens !

En ce qui concerne la taxe de séjour, un amendement gouvernemental sera soumis au Parlement, à la suite d'une réunion de concertation. L'Assemblée a réalisé un excellent travail sur ce sujet délicat. Une grille tarifaire sera établie. Certains auraient voulu que la réforme permette de dégager des sommes très importantes, mais on ne peut pas, d'un côté, plaider pour une attractivité forte et, de l'autre, augmenter massivement la taxe de séjour. Pour les hôtels trois et quatre étoiles, une augmentation est très sensible. J'ai pris publiquement position sur le sujet. Le texte comporte, en outre, une extension aux plateformes en ligne. La question du recouvrement est à l'étude, mais il faut éviter des procédures trop complexes ; je ne pense pas que nous parviendrons à réformer ses modalités cette année.

Je suis décidé à m'impliquer dans le secteur du tourisme, car je pense que c'est un secteur absolument majeur pour la France, pour l'emploi, pour notre balance commerciale, pour l'image de notre pays. En outre, c'est un sujet où nous sommes excellents. Le premier pays que les citoyens du monde disent vouloir visiter, c'est la France. C'est là un atout extraordinaire.

Je suis d'accord avec M. Baumel : le redéploiement des effectifs va encore trop lentement. Ce n'est pas facile, mais il faut poursuivre, faire davantage en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud, ce qui implique de prendre du personnel dans les autres zones. Nous le faisons avec les organisations syndicales.

La France possède à l'étranger un patrimoine immobilier considérable. Le ministère des affaires étrangères n'est pas un agent immobilier : pour savoir à quel moment il convient de vendre, et à quel prix, il doit s'adresser à des professionnels, pour éviter de mauvaises affaires, comme c'est arrivé par le passé. Tout le monde cite l'exemple de l'appartement de New York, vendu 70 millions de dollars, mais de belles opérations de cette nature ne sont pas possibles partout. J'ai obtenu, de haute lutte, que l'affectation des sommes soit intégralement reversée au ministère, à l'exception de 25 millions d'euros pour réduire l'endettement. Ces sommes sont très utiles pour renforcer la sécurité des postes. Un schéma de l'immobilier a été élaboré, mais il faut aussi tenir compte de l'état du marché. Le sujet est sensible quand il s'agit de lieux symboliques, historiquement, mais ces lieux peuvent aussi être impossibles à adapter fonctionnellement et coûtent beaucoup d'argent. Je suis revenu en arrière sur l'affaire allemande : une nouvelle étude a démontré que l'opération n'aurait pas rapporté grand-chose, et nous l'avons annulée. Mais nous ne pouvons pas rester sans rien faire. Nous sommes prêts, monsieur Baumel, à vous associer aux démarches.

Pour l'année prochaine, je souhaiterais, après la Chine, étendre l'opération de délivrance des visas en quarante-huit heures à l'Inde, aux pays du Golfe, à la Russie et à l'Afrique du Sud. Or l'Europe nous demande de passer aux visas biométriques dès l'année prochaine. Cela obligerait les demandeurs à se rendre en personne sur les lieux de délivrance, sans délégation possible, et il ne faudrait pas que cela tarisse le flux de touristes. Si le touriste chinois est obligé de se rendre à 2 000 kilomètres de chez lui pour obtenir son visa, il y renoncera. J'ai donc demandé aux autorités chinoises de nous autoriser à ouvrir huit nouveaux centres, mais celles-ci ne veulent de centres que là où se trouvent des consulats. Nous sommes donc face à un dilemme. Par le passé, nous avons voulu être en avance, en Inde, et nous avons été immédiatement sanctionnés : les gens ne demandaient plus de visas pour la France.

Dans mon esprit, la diplomatie économique n'est qu'une facette de l'action extérieure de la France : l'influence de notre pays repose à la fois sur l'économie, la culture, la science. La France est tout de même ce pays singulier qui reçoit, la même année, les Prix Nobel de mathématiques, d'économie et de littérature. Nous pouvons collectivement en être fiers.

S'agissant de l'enseignement français à l'étranger, l'expérience conduite au Maroc semble intéressante. Nous allons examiner s'il est possible de l'étendre. Le rapport de M. Attali sur la « francophonie économique » contient également un certain nombre d'idées.

En ce qui concerne l'Institut français, le nombre de pays prioritaires sera réduit – soixante-douze, cela n'a guère de sens. Je rends, moi aussi, hommage à M. Darcos. Nous avons nommé son successeur, M. Baudry, qui prendra ses fonctions le 1er janvier prochain. Il a fait un très bon travail à New York. J'attends ses propositions. Il ne faut pas, en effet, changer le système en permanence. Aujourd'hui, les choses sont à peu près calées.

L'expertise française était trop parcellisée : chaque ministère disposait de son propre opérateur. Nous avons jugé bon de les regrouper : M. Jean-Christophe Donnelier a été chargé de constituer l'AFETI au 1er janvier prochain. Tous les ministères compétents seront associés. S'agissant de la comptabilité, l'arbitrage n'a pas encore été rendu, mais elle devrait être privée, afin de faciliter le fonctionnement de l'agence.

Pour ce qui est des recettes des établissements français, le système actuel fonctionne. Je suis un des pères de la LOLF et j'estime qu'il ne faudrait pas mettre en place un système absurde et compliqué qui oblige les instituts à passer par Bercy lorsqu'ils perçoivent une somme en monnaie locale. J'ai demandé au secrétaire d'État chargé du budget de maintenir l'exception qui a été consentie jusqu'à ce jour.

Les IFRE font souvent un excellent travail. Nous avons réduit le nombre d'établissements de vingt-sept à vingt-trois, en fermant quatre antennes régionales, et réalisé un gain de quinze équivalents temps plein (ETP). Cette réforme, qui a été concertée avec les personnes concernées, vise non pas à supprimer le réseau, mais à le préserver.

Monsieur Apparu, la baisse de 2 % des subventions aux opérateurs est la règle qui a été fixée par le Premier ministre. Je l'ai donc appliquée.

Quant à la question que vous posez sur les rôles respectifs des ambassadeurs et des agences à moyen terme, les ambassadeurs doivent être les patrons. S'agissant des opérateurs, peut-être y a-t-il quelques ajustements à faire, mais les grandes réformes – l'Institut français, l'AFETI – ont été décidées. Je n'en vois pas d'autres à réaliser. Il faut désormais que les choses se stabilisent, et que le dispositif que nous avons mis en place fonctionne.

Monsieur Le Ray, le Conseil de promotion du tourisme, dont vos collègues Pascale Got et Didier Quentin sont membres, travaille sur un certain nombre de chantiers. La réunion de demain sera consacrée à la gastronomie et à l'oenologie. Un rapport sur le sujet a été préparé par M. Philippe Faure, ancien secrétaire général du Quai d'Orsay, et un certain nombre de professionnels, notamment des grands chefs – ils sont mieux placés que les responsables politiques pour poser les bonnes questions. Ce rapport conclut à l'opportunité de développer l'oenotourisme. Il convient notamment d'installer des hôtels à proximité des vignes. Quant au terme même d'« oenotourisme », il faudrait le remplacer par un autre, car personne ne le comprend. Enfin, notre système d'appellations et de « châteaux » est très compliqué. Des pays qui exportent plus de vin que la France, tels que l'Italie, ont une classification plus simple, basée sur les crus.

En matière de gastronomie, si la France est reconnue pour ses restaurants étoilés, un problème se pose pour le milieu de gamme : il y a de moins en moins de « bistrots à la française », alors même que ces établissements correspondent à la demande des touristes. Il conviendrait donc de développer un concept de bistrot français, où le touriste serait sûr de trouver une cuisine authentiquement française.

Dans mon esprit, c'est la région qui doit être chef de file et détenir l'essentiel de la compétence en matière de tourisme. Pour autant, il existe des initiatives communales et départementales. Les cinq pôles d'excellence touristique et les contrats de destination, dans le cadre desquels l'État va apporter son appui, nous permettront de faire travailler toutes les collectivités ensemble. Certaines régions nous ont déjà transmis des projets de contrats de destination.

S'agissant du financement des pôles d'excellence touristique, j'ai évoqué un montant de 15 millions d'euros provenant du Programme d'investissements d'avenir. J'en ai discuté avec M. Louis Schweitzer, commissaire général à l'investissement : l'idée est de financer les pôles d'excellence touristique dans le cadre de projets plus généraux déjà sélectionnés par le Commissariat général à l'investissement. Par exemple, le volet « e-tourisme » de certains pôles d'excellence touristique pourra être pris en charge à l'intérieur d'un projet de développement informatique plus large.

Pour résumer, le ministère des affaires étrangères s'est inscrit dans le cadre budgétaire général : il ne pouvait pas échapper aux contraintes, alors que tous les ministères sont appelés à faire des efforts. En tenant compte de nos priorités, nous avons essayé de réaliser des économies de manière non pas uniforme, mais astucieuse. Cela implique de changer certaines méthodes. En particulier, universalité ne signifie pas uniformité, d'où le format retenu pour les postes de présence diplomatique. Nous procédons à des redéploiements géographiques, certes de manière encore insuffisante. Nous préservons l'essentiel, en particulier les bourses. Nous utilisons une petite partie de notre fonds immobilier. Cette politique est menée avec le concours de toutes les directions du ministère et des organisations syndicales, qui préféreraient bien sûr que le montant des crédits soit plus élevé, mais qui comprennent la logique de notre action et font preuve d'une grande responsabilité.

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