Intervention de Marie-Anne Chapdelaine

Réunion du 5 novembre 2014 à 16:
Commission élargie

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Anne Chapdelaine :

laine, rapporteure pour avis de la commission des lois, sur l'immigration, l'intégration et l'accès à la nationalité française. Le budget de l'immigration s'élève, pour 2015, à plus de 655 millions d'euros en autorisations d'engagement, soit une augmentation de 1,32 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2014. Ce montant dit toute l'importance que notre pays accorde au séjour des ressortissants étrangers.

Je m'interroge néanmoins sur le montant des crédits inscrits à l'action 12 « Accompagnement des étrangers primo-arrivants ». Même en tenant compte du transfert à un autre programme du budget de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration (CNHI), ces crédits apparaissent en légère baisse. Je rappelle, à ce propos, que le projet de loi relatif au droit des étrangers lie le niveau de la langue à l'obtention du titre de séjour, et que la délivrance de la carte de résident sera conditionnée par l'atteinte du niveau A2 du référentiel « français langue d'intégration » (FLI). Pensez-vous, monsieur le ministre, que les crédits consacrés à l'enseignement du français dans le présent PLF seront à la hauteur des enjeux ? Déjà, des collectivités territoriales, comme la Ville de Rennes par exemple, sont obligées de compléter le dispositif de l'État.

De la même manière, l'action 11 « Accueil des étrangers primo-arrivants », qui correspond à la subvention pour charge de service public versée à l'OFII, est à peu près figée cette année, après avoir diminué l'année dernière. Ces moyens seront-ils suffisants pour permettre à l'OFII de faire face à toutes les missions qui lui seront confiées par les deux projets de loi relatifs à la réforme de l'asile et aux droits des étrangers en France ?

Si des économies doivent être recherchées, la fermeture d'un centre de rétention administrative (CRA) pourrait se justifier dès lors que le projet de loi relatif au droit des étrangers vise à mettre désormais l'accent sur les assignations à résidence. Dans le même souci, le délai maximum de rétention d'un étranger pourrait être ramené de quarante-cinq jours à trente-deux, dans la mesure où l'essentiel des éloignements a lieu avant trente-deux jours. En outre, la visite médicale obligatoire pour les étudiants pourrait être banalisée et effectuée auprès d'un médecin de ville ou des services de santé du CROUS.

J'en viens à mon avis budgétaire, que j'ai consacré cette année aux conditions d'accueil des ressortissants étrangers en préfecture. Confrontées à des flux massifs de demandeurs, ces dernières ont pu sembler débordées dans leur politique d'accueil. C'est ainsi que la préfecture de Seine-Saint-Denis, où je me suis déplacée, délivre plus de 84 000 titres de séjour par an. En outre, la régionalisation de l'admission au séjour des demandeurs d'asile n'a pas été sans effet sur l'engorgement de certaines préfectures de région.

Ce sujet a fortement attiré l'attention, tant des associations de défense des droits de l'homme, que des médias ou de vos services, monsieur le ministre. On a, en effet, pu voir, dans certaines préfectures, des files d'attente de plusieurs heures sans garantie d'accès aux guichets, des altercations à l'ouverture des portes et des trafics de tickets. Ce même constat avait été dressé par notre ancien collègue Matthias Fekl dans son rapport de mai 2013.

Face à cette situation, le Gouvernement n'est pas resté inactif. À la suite d'un rapport rendu en septembre 2012 par l'IGA, deux circulaires tendant à améliorer les conditions d'accueil des étrangers dans les préfectures ont été successivement publiées, l'une le 4 décembre 2012, l'autre le 3 janvier 2014. La seconde allongeait à six mois au lieu de quatre la durée de validité du premier récépissé de demande de titre de séjour, et uniformisait les listes de pièces justificatives à fournir. Une mission d'appui a été mise en place par votre ministère afin de veiller à la bonne mise en oeuvre de ces dispositions et d'assister les préfectures dans leur action. Moyennant quoi, de réels progrès ont été accomplis, salués par les associations. J'ai pu les constater moi-même, tant à la préfecture de Seine-Saint-Denis qu'à celle d'Ille-et-Vilaine, où je me suis rendue avec mes collègues Élisabeth Pochon et Erwann Binet.

Les enquêtes de satisfaction menées auprès des usagers montrent toutefois que toutes les difficultés ne sont pas aplanies. Les titres pluriannuels de séjour vont être développés dans le cadre du projet de loi relatif aux droits des étrangers. Quels bénéfices peuvent en être attendus au regard des conditions d'accueil des ressortissants étrangers en préfecture ?

Par ailleurs, afin de fluidifier le traitement des dossiers, il est utile d'extraire certains publics de la file d'attente.

S'agissant des étudiants, une adaptation des décrets semble nécessaire afin de transférer la compétence préfectorale du lieu de domicile de l'étudiant à son lieu d'inscription. Le Gouvernement a-t-il des intentions à ce sujet ?

Pour finir, je mentionne dans mon avis un certain nombre de bonnes pratiques ou de suggestions d'expérimentation : engagement d'une démarche de certification de qualité des préfectures ; expérimentation de mise en réseau des fichiers des différentes institutions ; développement de moyens de prévention des risques psycho-sociaux auxquels à l'intention des agents des préfectures ; développement de systèmes d'information permettant aux ressortissants étrangers de suivre sur internet l'état d'avancement de leur dossier, sans avoir à se déplacer en préfecture. Quelles suites concrètes pourraient être données à ces pistes d'amélioration ?

M. Éric Ciotti, rapporteur pour avis de la commission des lois, sur l'asile. Notre dispositif de l'asile est aujourd'hui à la dérive. La demande d'asile s'est accrue de plus de 85 % entre 2007 et 2013, passant de 35 520 demandes à 66 251. Cette explosion a entraîné un engorgement complet du système : aujourd'hui, 30 000 dossiers sont en attente à l'OFPRA ; la durée moyenne de la procédure est passée de 118 jours en 2009 à 204 jours en 2013 ; le délai global d'examen des demandes d'asile atteint aujourd'hui une durée moyenne de seize mois. La longueur des délais rend problématique l'éloignement des déboutés, ceux-ci ayant recours bien souvent à d'autres procédures d'admission au séjour. La procédure d'asile est ainsi détournée de sa fin légitime et utilisée délibérément par des filières d'immigration clandestine.

Pour accueillir tous ces demandeurs d'asile, le nombre de places en CADA demeure très insuffisant, malgré le quadruplement du nombre de places en dix ans. L'hébergement d'urgence, qui ne devait avoir au départ qu'un rôle annexe, est devenu le principal moyen d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile. Plus grave encore, on recourt de plus en plus souvent aux dispositifs d'hébergement de droit commun.

Les dépenses d'hébergement d'urgence, en particulier sous forme de nuitées hôtelières, se sont accrues de façon largement incontrôlée. La dépense liée à l'ATA, dont le versement est lié à l'hébergement d'urgence, a augmenté encore plus fortement : plus 367 % entre 2007 et 2013.

Depuis 2007, le poids budgétaire lié à la demande d'asile n'a donc fait que croître en proportion. Il est devenu particulièrement insupportable aujourd'hui, en l'état de nos finances publiques.

Le programme budgétaire 303 « Immigration et asile », qui était d'environ 480 millions d'euros en crédits de paiement dans le projet de loi de finances pour 2010, s'élève, dans le présent projet de loi de finances, à plus de 606 millions d'euros. Le Comité d'évaluation et de contrôle évalue le budget total de la politique de l'asile en 2014 à un montant prévisionnel de 666 millions d'euros.

Monsieur le ministre, selon l'exposé des motifs du projet de loi que vous nous avez présenté, l'on a pris la mesure des maux qui frappent le système d'asile actuel. Ma première question portera donc sur les effets réels que l'on peut attendre des nouvelles garanties procédurales. L'OFPRA devra, par exemple, apprécier la vulnérabilité du demandeur et adapter en conséquence ses conditions d'accueil. De même un tiers, avocat ou représentant d'une association de défense, pourra assister le demandeur lors de son entretien. Ces nouvelles garanties auront, par nature, pour effet d'allonger le délai de traitement des dossiers. Est-il réaliste d'attendre de la mise en oeuvre de ce projet de loi une réduction globale du délai de traitement de la demande d'asile ?

Par ailleurs, monsieur le ministre, il faut bien rappeler que, faute d'une véritable politique d'éloignement des déboutés du droit d'asile, tous vos efforts risquent de demeurer lettre morte. Entre 2011 et 2013, le taux global de déboutés a varié entre 75 et 78 %. Selon les estimations du rapport de la mission conjointe des trois corps d'inspection, IGF, IGA et IGAS, sur l'hébergement et la prise en charge des demandeurs d'asile, publié en avril 2013, moins de 5 % des déboutés du droit d'asile seront éloignés.

Comme je le montre dans mon avis budgétaire, les déboutés du droit d'asile, qui se maintiennent dans leur immense majorité sur notre territoire dans l'attente d'une régularisation, ont massivement recours à l'hébergement d'urgence. À ce propos, la société Adoma écrit : « De 2011 à 2014, la prise en charge de familles à l'hôtel par le Pôle d'hébergement et de réservation hôtelière (PHRH) du SAMU social de Paris a augmenté de 68 %, passant de 15 800 personnes hébergées chaque soir au sein de 376 établissements, à 32 000 personnes dans plus de 500 hôtels (…) Les principales raisons de cette forte augmentation du parc hôtelier résident dans l'accueil des demandeurs d'asile (…) et la mise à l'abri de personnes déboutées du droit d'asile ».

Allez-vous enfin engager une véritable politique d'éloignement des déboutés du droit d'asile, une fois leurs recours épuisés ? À défaut de donner automatiquement à la décision de rejet de l'OFPRA ou de la CNDA valeur d'obligation de quitter le territoire français (OQTF), on aboutira à ce que les demandeurs ayant obtenu le statut de réfugié soient traités peu ou prou sur le même pied d'égalité que les déboutés. Cela ne prive-t-il pas de pertinence l'ensemble de notre système d'asile ?

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