Les statistiques ne montrent rien de tel.
Madame Geoffroy, madame Fraysse, il existait à l'origine un seuil de gravité unique : le taux d'incapacité physique ou psychique supérieur à 24 %, évalué selon le barème du Concours médical. Cependant, des seuils alternatifs ont été définis : un arrêt de travail de six mois validé par un certificat médical – cette notion ayant été étendue aux personnes retraitées –, l'inaptitude totale à reprendre le travail, le décès, des troubles particulièrement graves dans les conditions d'existence – ce dernier critère étant laissé à l'appréciation des CRCI. À bien y regarder, ces seuils alternatifs permettent d'accepter toutes les demandes d'indemnisation qui portent sur des accidents médicaux ayant entraîné un taux d'incapacité compris entre 20 et 24 %. De fait, la moitié des indemnisations prises en charge par l'ONIAM concernent des accidents médicaux graves qui ont entraîné non pas un taux d'incapacité supérieur à 24 %, mais un arrêt de travail de six mois ou des troubles particulièrement graves dans les conditions d'existence. Quant aux contraintes particulières de certaines professions – si un artisan s'arrête de travailler pendant six mois, son affaire risque de couler –, les CRCI les prennent en compte au titre des troubles particulièrement graves dans les conditions d'existence.
Si l'on souhaitait abaisser le seuil de gravité actuellement fixé à 24 %, il faudrait donc le faire de façon très importante pour que cela ait un impact. Cela soulève d'ailleurs la question de la vocation du dispositif, conçu à l'origine pour prendre en charge les accidents médicaux les plus graves. Or ce sujet dépasse ma compétence : seuls le Gouvernement et le législateur sont décisionnaires en la matière. Reste que nous devons avoir une réflexion sur les seuils de gravité. La question a d'ailleurs été examinée l'année dernière par un groupe de travail piloté par le Défenseur des droits, qui réunissait l'ONIAM, les assureurs, les associations d'usagers du système de santé et la CNAMed. À l'issue de ces travaux, le Défenseur des droits a fait des propositions sur lesquelles il a communiqué. Le sujet est donc sur la table.
Je ne suis pas sûr, monsieur Aboud, que nous assistions à une américanisation de notre système de santé. Si l'on se réfère à l'ouvrage de Didier Tabuteau – directeur de cabinet de Bernard Kouchner au moment où la loi relative aux droits des malades a été adoptée – et d'Anne Laude – spécialiste reconnue du droit de la santé –, qui a été publié il y a un an environ et qui présente une argumentation très solide du point de vue statistique et juridique, le nombre total de litiges relatifs aux accidents médicaux n'a pas augmenté, mais leur répartition a évolué : depuis 2012, la moitié d'entre eux – 4 000 sur 8 000 – sont portés devant le dispositif d'indemnisation amiable, alors que cette proportion était moindre auparavant. L'autre moitié reste portée devant les tribunaux. De même, l'étude réalisée par l'Observatoire des risques médicaux – créé en 2004, cet observatoire est placé auprès de l'ONIAM, et son rapport d'activité figure sur notre site internet – sur l'ensemble des accidents médicaux ayant fait l'objet d'une indemnisation supérieure à 15 000 euros de la part de l'ONIAM, de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et des assureurs montre que la sinistralité n'augmente pas.
Les professionnels de santé qui sont attraits devant les tribunaux pour un accident médical sont généralement ébranlés, compte tenu du caractère solennel de la procédure judiciaire et de la médiatisation qui l'accompagne. À cet égard, le dispositif d'indemnisation amiable constitue une voie alternative, qui permet de détendre la relation avec les victimes. L'ONIAM s'efforce de mieux se faire connaître des professionnels de santé. Ainsi que je l'ai indiqué, nous avons conclu des conventions de partenariat avec le Conseil national de l'ordre des médecins et avec celui des pharmaciens. Nous travaillons avec leurs bulletins internes, ainsi qu'avec What's up Doc ?, journal qui s'adresse aux jeunes médecins, dans lequel nous publions un article chaque trimestre. Nous travaillons également avec les fédérations hospitalières : nous tenons des réunions régulières avec les directeurs d'établissement et essayons de publier des articles dans les organes de presse de ces fédérations.
Je suis convaincu que nous pouvons encore réduire la part des litiges portés devant la justice. Tel est en tout cas le souhait du ministère de la justice. Un certain nombre de personnes recourent à la voie judiciaire avec tout ce qui s'ensuit – frais d'avocat, longueur des procédures –, parce qu'ils ne connaissent pas l'existence du dispositif d'indemnisation amiable. Cela étant, pour que le dispositif d'indemnisation amiable demeure « compétitif » par rapport à la voie judiciaire, il faut que ses paramètres demeurent « attractifs ». Parmi ces paramètres figurent la gratuité de la procédure – les frais d'expertise sont pris en charge et le ministère d'avocat n'est pas obligatoire –, la rapidité de traitement des dossiers – nous insistons beaucoup sur ce point en interne ; quant aux pouvoirs publics, ils doivent constamment faire un arbitrage entre les moyens attribués au dispositif et les délais d'instruction – et la validité de l'indemnisation.
À cet égard, comment calculons-nous le montant des indemnisations ? Et les sommes versées par notre dispositif se rapprochent-elles de celles qui sont fixées par les tribunaux ou en divergent-elles par trop ? De même que les juridictions, l'ONIAM applique le principe de la réparation intégrale du préjudice – principe général en droit français – en suivant la nomenclature dite Dintilhac. Les CRCI et l'ONIAM ne sont d'ailleurs pas liées par les doléances de la victime : il leur appartient d'évaluer, poste par poste, l'ensemble des préjudices subis, tant extrapatrimoniaux – déficit fonctionnel temporaire, c'est-à-dire avant consolidation, puis déficit permanent ; souffrances endurées ; préjudice d'établissement, à savoir l'impossibilité d'avoir des enfants ; préjudice d'agrément, par exemple l'impossibilité de pratiquer une activité sportive – que patrimoniaux – perte de salaire, reconversion professionnelle contrainte, perte de revenu au moment de la retraite, financement de l'assistance par une tierce personne. Nous passons tous ces postes en revue de manière systématique, puis nous appliquons le barème correspondant à chacun des postes – par exemple, un point de déficit fonctionnel permanent correspond à une somme précise en euros. Nous avons construit ce référentiel public en 2005 sur la base d'une moyenne entre les indemnisations décidées respectivement par les juridictions administratives, par les juridictions judiciaires et par les assureurs. Nous vérifions régulièrement que nos indemnisations sont toujours dans la moyenne et qu'elles ne « décrochent » pas par rapport à celles qui peuvent être obtenues par la voie judiciaire. Si tel était le cas, notre dispositif perdrait en attractivité.
Ainsi que vous l'avez relevé dans notre rapport d'activité, madame Poletti, le site de l'ONIAM est consulté de manière croissante, mais surtout lorsque sont évoqués dans l'actualité des problèmes de santé publique tels que l'affaire du Mediator ou la contamination par le VHC. Nous devons communiquer sur toutes les matières que nous gérons, y compris sur les accidents médicaux. Le site actuel privilégie les aspects juridiques. Nous nous employons à le rendre beaucoup plus pédagogique et à le mettre à la portée des victimes qui cherchent à se renseigner.
Certaines indemnisations dépassent en effet le million d'euros. Tel est le cas lorsque le préjudice est d'une telle gravité – paraplégie par exemple – qu'il nécessite l'assistance d'une tierce personne, que l'intéressé ou sa famille devra financer pendant toute sa vie. La somme capitalisée est d'autant plus importante que la victime est jeune. Quoi qu'il en soit, il est indispensable d'assurer une indemnisation légitime de ces situations.
La disposition visant à exclure les dommages imputables aux actes de chirurgie esthétique du champ de l'indemnisation par l'ONIAM a été introduite dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) par le Gouvernement. Monsieur Tian, l'ONIAM respecte les décisions de justice. Depuis sa création, l'office a considéré que les accidents médicaux liés à des interventions de chirurgie esthétique n'avaient pas vocation à être pris en charge par la solidarité nationale. Ayant pris mes fonctions en 2011, je ne suis pas l'auteur de cette doctrine. La question a été portée devant le juge judiciaire, et la procédure a duré plusieurs années. Dans un arrêt rendu au début de l'année, la Cour de cassation a donné tort à l'ONIAM : elle a considéré que les accidents médicaux liés aux actes de chirurgie esthétique entraient bien dans le champ de l'indemnisation. Dès que j'ai eu connaissance de cet arrêt, je l'ai fait expertiser. Ayant conclu qu'il était limpide, j'ai indiqué à la presse, qui m'avait sollicité, que l'ONIAM le respecterait.
La disposition introduite par le Gouvernement dans le PLFSS mettra donc fin à cette jurisprudence et confirmera la doctrine initiale de l'ONIAM. Nous nous conformerons bien évidemment à la loi. Au demeurant, nous n'avons que rarement à connaître d'accidents médicaux liés à des actes de chirurgie esthétique qui dépassent le seuil de gravité : nous sommes saisis d'un cas de cette nature tous les quatre ou cinq ans. Il s'agit le plus souvent d'accidents liés à l'anesthésie ou d'intoxications médicamenteuses de personnes stressées à l'idée de subir une intervention chirurgicale – tel était le cas d'espèce traité par l'arrêt de la Cour de cassation. Ces dossiers n'ont guère d'impact sur le plan budgétaire.
S'agissant des prévisions budgétaires, 4 000 demandes d'indemnisation sont déposées chaque année devant les CRCI. Environ 1 300, soit un tiers d'entre elles, donnent lieu à un avis positif. La moitié portent sur des accidents reconnus comme fautifs et sont donc envoyés aux assureurs. L'autre moitié – environ 700 – concernent des accidents non fautifs et relèvent donc de la solidarité nationale. En 2014, nous avons constaté une légère diminution – de 10 % – du nombre de dossiers adressés par les CRCI à l'ONIAM. La dotation de l'assurance maladie à l'ONIAM pour 2014 a été ajustée à la baisse en conséquence. Cependant, je ne suis pas du tout sûr que la décroissance du nombre de dossiers présente un caractère structurel. C'est pourquoi nous tablons, pour 2015, sur un retour à la situation de 2013.
Le dispositif d'indemnisation des préjudices imputables aux vaccinations obligatoires protège essentiellement les professionnels de santé. La mise en oeuvre de ce dispositif n'est pas décidée vaccin par vaccin ; il s'agit bien d'un dispositif générique : dès lors que le lien de causalité entre le préjudice subi et la vaccination obligatoire est établi par l'expert, l'indemnisation est prise en charge par l'ONIAM. La personne concernée fait l'objet d'une expertise individuelle.
La Belgique vient de mettre en place un dispositif d'indemnisation amiable très largement inspiré du nôtre. La présidente du Fonds des accidents médicaux belge siège d'ailleurs au conseil d'administration de l'ONIAM, ce qui a facilité la coopération entre les deux instances. À ce stade, le dispositif belge est trop récent pour que nous disposions d'éléments de comparaison concernant les dépenses. Il faudra attendre quelques années.
Votre question, monsieur Roumegas, se rapporte au quatrième objectif que nous nous sommes fixé pour les trois ans qui viennent : mettre à la disposition des autorités sanitaires chargées de la prévention le gisement de données dont nous disposons, dans des conditions qui garantissent le secret médical et le respect de la vie privée, afin d'éviter que ces accidents médicaux souvent dramatiques ne se reproduisent. Nous travaillons avec le ministère de la santé sur ce point. L'ONIAM ayant une mission bien identifiée – indemniser les victimes –, je ne me risquerai pas à prescrire telle ou telle mesure de pharmacovigilance ou d'hygiène. Il reviendra aux autorités sanitaires compétentes – le ministère de la santé au premier chef – de tirer d'éventuels enseignements de nos données, d'identifier des situations à risque, d'émettre des recommandations de bonnes pratiques et de mettre au point des programmes de prévention.
Monsieur Perrut, le rapport entre l'importance de la population d'un territoire donné et le nombre d'accidents médicaux qui y surviennent est relativement stable. On ne peut donc pas dire que telle ou telle région soit plus touchée qu'une autre. C'est en tout cas ce qui ressort de l'analyse réalisée par la CNAMed dans le cadre de son rapport d'activité, qui figure sur le site internet du ministère de la santé.
Le régime de prescription en matière d'accidents médicaux est prévu expressément par la loi de 2002 : il s'agit d'une prescription décennale. Pour les autres matières – contamination par le VIH ou par le VHC, vaccinations obligatoires –, dont la gestion a été confiée à l'ONIAM en tant qu'établissement public, la prescription est quadriennale, conformément à la loi de 1968.
Quelles que soient les matières concernées – accidents médicaux, VIH et VHC, Mediator –, notre intention n'a jamais été de supprimer des voies de recours en justice. Toute personne qui s'estime victime d'un préjudice a le choix de saisir soit le dispositif d'indemnisation amiable, soit la justice. Elle peut d'ailleurs se retirer du dispositif d'indemnisation amiable jusqu'au dernier moment, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'elle accepte notre offre d'indemnisation. Ainsi que je l'ai indiqué, 95 % de nos offres d'indemnisation sont acceptées par les victimes. Les 5 % de personnes qui les rejettent peuvent saisir la justice. De même, les demandeurs qui se voient opposer un avis de rejet par les CRCI – soit parce que le préjudice n'atteint pas le seuil de gravité, soit parce que le lien de causalité n'est pas établi – peuvent saisir la justice. Quant au préjudice de perte de chance de survie, qui est en effet reconnu par les jurisprudences judiciaire et administrative, les CRCI et l'ONIAM en tiennent compte : nous l'avons ajouté à la nomenclature, où il ne figurait pas initialement.
Il appartient aux autorités chargées de la pharmacovigilance et de la prévention de se prononcer en ce qui concerne le vaccin contre la grippe. À ce stade, nous n'avons jamais reçu de dossier concernant un préjudice qui aurait été causé par un vaccin contre la grippe saisonnière et qui atteigne le seuil de gravité. En revanche, nous instruisons actuellement une trentaine de dossiers portant sur des narcolepsies imputées au vaccin contre la grippe H1N1. Lorsque le lien de causalité est établi, nous indemnisons les victimes.
Monsieur Costes, les expertises sont réalisées ponctuellement par des experts médicaux rémunérés à la vacation ; une expertise est payée 700 euros. Notre objectif est de fidéliser les experts médicaux qui travaillent avec nous, d'autant qu'ils doivent suivre une formation spécifique. Nous souhaitons disposer d'un véritable vivier. En principe, les experts médicaux doivent remplir deux conditions : figurer sur une des listes d'experts judiciaires dressées par les cours d'appel et être inscrit sur la liste nationale des experts en accidents médicaux établie par la CNAMed. Cependant, lorsque le nombre d'experts inscrits sur la liste de la CNAMed n'est pas suffisant dans telle ou telle discipline, la loi a prévu, à juste titre, que les CRCI ou l'ONIAM peuvent recourir à des experts qui sont inscrits uniquement sur la liste d'une cour d'appel. D'autre part, l'article 51 du projet de loi relatif à la santé prévoit de supprimer l'obligation pour les candidats sélectionnés par la CNAMed d'être inscrits au préalable sur la liste d'une cour d'appel. L'enjeu pour nous est d'élargir le vivier de la CNAMed et, surtout, de former les experts non seulement à la réponse technique – ils maîtrisent généralement leur discipline – mais aussi à la gymnastique intellectuelle qui régit l'expertise médico-légale. Nous organisons ces formations avec la CNAMed et la FSM. Nous réfléchissons également à des dispositifs de tutorat, cette piste ayant été proposée par le groupe de travail animé par le Défenseur des droits.
Monsieur Lurton, il est exact qu'un certain nombre de victimes et de familles ont des difficultés à obtenir le dossier médical auprès des établissements de santé. Le groupe de travail a d'ailleurs discuté de ce point. Cependant, nous ne disposons guère de moyens en la matière. Parfois, la CRCI ou l'expert médical demande le dossier à l'établissement en lieu et place de l'intéressé ou de sa famille. Cela a plus d'impact, et l'établissement communique en général le dossier. Par ailleurs, il est arrivé que des établissements de santé facturent des frais de photocopie aux victimes. En particulier, une personne qui touchait une allocation aux adultes handicapés de quelques centaines d'euros avait reçu une facture supérieure à cent euros. Je suis intervenu auprès de la direction générale de l'offre de soins pour demander qu'il soit mis fin à ces pratiques, qui ne correspondent pas à l'esprit du dispositif d'indemnisation amiable, a fortiori lorsque le dossier est demandé par l'expert lui-même.
L'ONIAM ne sous-traite pas l'instruction des dossiers. Lorsque nous ne disposons pas de la compétence en interne – si nous voulions disposer de toutes les compétences nécessaires, nous devrions recruter des centaines d'agents –, nous confions à des experts liés par le secret médical et le secret professionnel le soin de réaliser des expertises. Ensuite, le processus d'émission des avis et de décision est entièrement interne à l'ONIAM.
À ce stade, nous n'avons jamais été saisis d'aucune demande d'indemnisation qui porte sur le non-respect par les caisses de sécurité sociale de leur obligation de soumettre leurs assurés à un examen médical tous les cinq ans.